Pierma a écrit :
Souligner certaines caractéristiques nationales pour en faire une monarchie héritière d'anciennes dynasties est risible.
J'ignorais que la sacrosainte modération du forum faisait dans la condescendance. C'est quelque chose que je remarque dans beaucoup de forums et autres outils de discussions entre "passionnés" d'histoire, où chacun veut juste montrer qu'il.elle a raison quitte à être désagréable. C'est d'autant plus drôle que quand on discute avec des historien.nes, des doctorant.es, on rencontre parfois des personnes antipathiques, mais presque jamais méprisantes, alors que ces personnes détiennent pourtant la légitimité nécessaire pour l'être.
Comme je l'ai indiqué plus haut, ce ne sont pas des affabulations de ma part, mais des réflexions tirées de mes propres lectures. C'est Alain Delissen, l'un des principaux spécialistes francophones de la Corée, qu en parle, dans les chapitres consacrés à la Corée de la synthèse
L'Asie orientale et méridionale aux XIXe et XXe siècles (sous la direction de H. Rotermund, PUF, 1999), p.212.
"[Le concept de Juche] procède au contraire de la curieuse potentialisation – au sens où l’entend la médecine de deux principes actifs qui renforcent l’un l’autre leurs effets – d’un marxisme-léninisme fortement teinté de maoïsme et du confucianisme tel qu’il s’est acclimaté en Corée à travers plusieurs siècles. Quelque ambiguë que soit aujourd’hui la mobilisation idéologique de ce confucianisme en Asie, il désigne ici à la fois des principes généraux de philosophie politique et sociale, des pratiques et systèmes sociaux concrets (la famille et ses métaphores en constituant le registre le plus constant) et un passé d’attitudes et d’adaptations propres à la Corée.
Ainsi l’idée de Juche sur le plan international peut renvoyer à l’idée d’indépendance politique et d’autonomie économique du pays par rapport à ses voisins. Elle peut être assez réaliste cependant pour entretenir des liens avec les pays frères au nom d’un Juche du monde socialiste. Elle n’est pas sans rappeler, pourtant, les cinq siècles de fermeture du « Royaume ermite ». De même, l’investissement de Kim Ilsǒng ou de son fils Kim Chǒngil (n. 1942) dans le ressassement infini de leur philosophie orthodoxe et monolithique (yuil sasang) en charge des âmes de la nation n’est pas sans rappeler la figure paternelle-paternaliste des sages rois confucianistes du passé. Ainsi, lorsque l’un et l’autre visitent rizières et usines pour donner l’exemple, ils s’inspirent autant des formules du maoïsme que des précédents du grand roi Sejong (xve siècle) inspectant ses fonderies. Il n’est jusqu’au système du pouvoir central, du Parti des travailleurs, de la Nomenklatura et de ses cercles qui ne puisse résonner aussi avec la famille royale, la classe lettrée, l’antique bureaucratie et ses purges du Chosǒn (nom qu’a repris le Nord). Enfin, outre la valorisation éthique de la vertueuse frugalité ou de l’honnête pauvreté pour tous, le Juche implique la mobilisation individuelle de chacun. Elle fait écho aux principes fondamentaux du confucianisme qui subordonnent « la paix sous le ciel » à l’ « exercice constant de soi ». Il resterait sans doute à établir plus précisément par la philosophie sociopolitique ce qui rend ainsi possibles les affinités électives idéologiques du confucianisme et du marxisme-léninisme (Bruce Cumings propose la médiation théorique du concept de corporatisme)."
Dans le paragraphe suivant, il précise que cette grille de lecture ne doit pas faire oublier le caractère totalitaire et violent du régime et l'inspiration staliniste/maoiste de Kim Il Song, les purges, l'autocritique et les camps de travail. Il n'empêche que ce qui est précisément "risible", pour reprendre ce type de vocabulaire que pourtant je me refuse d'ordinaire à utiliser, c'est de nier l'essence monarchique du pouvoir en Corée du Nord, ou encore de penser que les vingt années de formation superficielle au marxisme dans sa version stalinienne et maoïste ont eu plus d'influence sur Kim Il Song que les 2000 ans de confucianisme ou les plus de 500 ans de tradition monarchique qui ont façonné la Corée. Imaginer que le confucianisme n'a eu qu'une influence limitée sur les Kim (comme sur le maoïsme d'ailleurs) relève de l'européocentrisme pur et simple. Mais je suis sûr que Pierma a de très bonnes raisons et des sources parfaitement fiables pour affirmer que les conclusions d'Alain Delissen sont risibles.
Je vous laisse débattre entre individus sûrs de leur fait au point d'en être désagréables et individus capables de les supporter : ce n'est plus mon cas.