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Iconographie de l'entonnoir (!)
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Auteur :  Plantin-Moretus [ 27 Fév 2008 12:46 ]
Sujet du message :  Iconographie de l'entonnoir (!)

Fylgja a écrit :
Bosch est un peintre particulier. C'est le seul que je connaisse qui met des entonnoirs sur la tête des fous durant le Moyen Age.

Passionnant sujet...
Effectivement, la représentation de l’entonnoir est fréquente chez Bosch, mais est-ce que ce sont vraiment des fous qu’il coiffe ainsi ?
Vous voulez peut-être parler de L’excision de la pierre de folie, mais l’entonnoir n’y coiffe pas un fou mais un charlatan ; dans la morale qui est généralement associée à ce tableau, le fou est plutôt le patient ; il semble que chez Bosch, l’entonnoir symbolise plutôt la tromperie, la charlatanerie.

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On le retrouve aussi dans Le concert dans l’oeuf, sur la tête du personnage à lunettes (lunettes aussi symbole de tromperie, voir Larry Silver, Bosch, Citadelles et Mazenod 2006, p.318), tromperie qui apparaît d’ailleurs à deux reprises : le moine qui se fait dérober sa bourse, et la nature du chant, puisque contrairement à la première impression que peut avoir le spectateur, ce n’est pas un hymne religieux qu’entonnent ces personnages sous la direction de ce moine ou du personnage à lunettes, mais une chanson très profane qui a été identifiée.

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J’en recense encore trois : sur le paysan à califourchon sur le tonneau dans l’Allégorie de la gloutonnerie, qui a peut-être inspiré Bruegel pour le Combat de Carnaval et Carême (j’étais d’ailleurs presque sûr de trouver aussi chez Bruegel des entonnoirs, mais à ma grande surprise, je n’en ai pas vu ; mais comme Bosch, ses oeuvres sont tellement riches en détail qu’il m’en a peut-être échappé) :

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et deux fois dans le triptyque de La tentation de Saint-Antoine :
- l’oiseau-messager, sous le pont en bois en bas du volet gauche (tromperie encore : selon J.M. Massing, The devils under the bridge in the Tribulations of St Anthony, 1994, les documents qu’il transporte et dont l’un est lu par le moine sont un faux témoignage contre le saint, une liste des péchés qu’il est supposé avoir commis, voir note 37 de l’ouvrage de L. Silver)
- et dans le panneau central, au pied de la colonne ruinée, un monstre-chat ( ?) derrière le moine à lunettes à groin de port qui lit un livre, groupe qui rappelle celui du Concert dans l’oeuf.

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Mais par contre, aucun entonnoir là où l'on s'attendrait à le trouver, c'est à dire dans La nef des fous, du même Bosch...
Alors d’où vient cette association actuelle de l’entonnoir à la folie ? Peut-être y a t-il eu progressivement un glissement de l’interprétation « erreur, transgression » depuis le chapeau pointu porté souvent par les juifs très tôt au Moyen-âge et déjà représenté parfois de façon très proche d’un entonnoir pour coiffer les prophètes de l’Ancien Testament, par exemple dans ce psautier :

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On voit d’ailleurs chez Bosch ce chapeau pas encore sous la forme propre de l’entonnoir, porté par le juif qui accompagne le musulman, devant le cheval blanc du pape derrière le Chariot de foin :

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L’entonnoir n’aurait-il pas ensuite peu à peu servi à caractériser les personnages en marge, les élucubrations puis les fous ?
On le trouve un siècle plus tard ici dans le même contexte de fête transgressive, où le manant peut devenir roi d’un jour :
Das Bohnenfest (la fête du haricot, soit l’Epiphanie), Jan Steen, 1668, où, à l’extrême gauche du tableau, l’entonnoir coiffe un joueur de violon qui manie en fait son archet... sur un grill :

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Je n’ai pas été plus près dans le temps, mais il serait intéressant de savoir si l’entonnoir a encore été représenté plus tard dans l’art, je pense notamment aux surréalistes, si proches de Bosch par bien des aspects, qui auraient pu contribuer à fixer le symbole.

Auteur :  Escalibure [ 28 Fév 2008 21:38 ]
Sujet du message : 

Je pense que c'est à rapprocher du chapeau de Merlin, des sorcières, fée, magicienne.... Cela rappelle aussi la forme du fameux bonnet d'âne.

J'ai lu cela quelque part mais je ne me souviens plus où.

C'est un manière de marginaliser et de montrer éventuellement la bêtise de certain homme.



Un étudiant en histoire de l'art m'a parlé d'une autre théorie mais je pense qu'elle ne tient pas la route à la rigueur pour le représentant de la médecine et encore. Donc il m'a dit que l'entonnoir est le symbole de la sagesse au moyen âge. Et que Bosch désigne ainsi le personnage savant.
Personnellement je n'y crois pas d'autant que je n'ai rien trouver à lire sur le sujet.

Auteur :  Plantin-Moretus [ 29 Fév 2008 8:49 ]
Sujet du message : 

Citer :
Donc il m'a dit que l'entonnoir est le symbole de la sagesse au moyen âge. Et que Bosch désigne ainsi le personnage savant.
Personnellement je n'y crois pas d'autant que je n'ai rien trouver à lire sur le sujet.

Effectivement, on peut trouver quelques mentions à ce sujet, par exemple :
« L’entonnoir renversé a été interprété comme un signe de sagesse par les uns, de tromperie par d’autres » (Jérôme Bosch, R. van Schoute et M. Verboomen, Renaissance du livre, 2003)
Mais ils ne donnent pas de références précises, alors que l’interprétation de la tromperie est plus clairement étayée.

En sortant du domaine pictural, on peut aussi relever le personnage de « l’homme en fer-blanc » coiffé aussi d’un entonnoir dans le magicien d’Oz ».

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En étant un peu audacieux dans l’interprétation, on constate que comme les deux autres compagnons de Dorothy, le lion et l’épouvantail, il est le double « onirique » pourrait-on dire, des trois personnes (les trois ouvriers) qui peuplaient son environnement réel avant qu’il bascule dans le fantastique. Métamorphoses, faux-semblants, apparences, on n’est pas si éloigné de Bosch...

Auteur :  Deshays Yves-Marie [ 18 Mai 2008 19:41 ]
Sujet du message :  Re: Iconographie de l'entonnoir (!)

La position opérationnelle d'un entonnoir permettant de verser le maximum dans le minimum, la position inversée pourrait peut-être signifier "verser le minimum de savoir dans un maximum de vide" (cf. la formule "La culture, c'est comme la confiture : moins on en a, plus on l'étale" )?

Auteur :  Tristan Hylar [ 07 Déc 2008 16:57 ]
Sujet du message :  Re: Iconographie de l'entonnoir (!)

Bonjour à tous,

je m'étais aussi posé cette question il y a quelques temps sur l'origine de l'entonnoir comme coiffe des fous. J'ai quelques éléments supplémentaires pour ce fil.

Pour compléter la recension effectuée par Plantin-Moretus :

un autre entonnoir dans le Jugement dernier de Vienne (la photo est inversée) :

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Par ailleurs, les nombreux suiveurs de Bosch ne s'y sont pas trompés, qui souvent introduisent l'entonnoir dans des tableaux fortement inspirés - c'est le moins que l'on puisse dire - par le maître :

Un Jugement dernier (Bruxelles) : deux entonnoirs, l'un énorme (au milieu du panneau central) l'autre porté par une tête sans corps ni jambes (en bas du panneau central)

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Un Christ aux Limbes où deux entonnoirs sont présents : l'un, énorme, renversé à même le sol, l'autre porté par un ange démoniaque.

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le détail sur l'ange démoniaque :

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Une scène d'enfer : l'entonnoir est au milieu du tableau - image trouvée sur le web sans référence... si par hasard quelqu'un connaît au moins la localisation du tableau :?:

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Une Tentation de Saint Antoine (l'entonnoir est en bas à gauche, sur une barrique) :

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En ce qui concerne l'origine de l'entonnoir comme couvre-chef, voilà ce qu'on peut lire dans L'image des juifs dans l'art chrétien médiéval :

Citer :
Quant aux représentations du chapeau juif, elles fleurissent dans l'art chrétien, essentiellement germanique, où elles ne sont pas une nouveauté. Omniprésent sur les vitraux et les sculptures des cathédrales ou sur les enluminures de manuscrits, il apparaît sous des modes variés, surtout sous la forme d'entonnoir renversé : un cône étroit, presque une tige, surmontant une calotte aplatie. Le pileum cornutum semble constituer, par son aspect qui doit se vouloir ridicule, une forme d'exclusion sociale beaucoup plus visible que la rouelle, simple pièce de tissu pouvant être dissimulée sous un pan de vêtements. Les artistes des XIIIe, XIVe et XVe siècle, représentèrent volontiers des juifs portant le chapeau en entonnoir renversé. Deux explications peuvent être fournies, la première, globale, concerne l'art germanique qui demeure, dans son ensemble, violemment antisémite. La seconde concerne l'utilisation habituelle et ancienne de ce couvre-chef par les membres des communautés juives d'Allemagne, à une époque où les signes de différenciation entre groupes sociaux étaient chose normale, et bien avant que le concile de Latran ne le leur imposât. [...] la forme spécifique du pileum cornutum semble définie à partir de la première moitié du XIIIe siècle. [...] Le pileum cornatum accompagne désormais la plupart des scènes de la Passion, comme pour mieux mettre en avant le caractère déicide du peuple juif, tentant ainsi vers un antisémite propre à ces représentations.

Jean-François FAÜ, L'image des juifs dans l'art chrétien médiéval, Maisonneuve et Larose, 2005, p. 94-97.


Une illustration assez intéressante dans la problématique de Bosch, puisque l'on y trouve le pileum cornatum dans une représentation de l'enfer - Hortus Deliciarum (manuscrit alsacien du XIIe) :

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gros plan sur la scène en question :

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De mon côté, je m'étais fais la réflexion suivante : si l'entonnoir n'était pas à l'origine un entonnoir ? J'ai en effet pensé qu'il aurait pu s'agir d'un éteignoir à chandelle qui aurait perdu son manche :

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Le feu de la folie aurait ainsi pu être éteint par ce qui est finalement devenu un entonnoir. Mais je n'ai trouvé nul part une proposition d'explication dans ce sens. Cet entonnoir - peint pour la première fois en tant que tel par Bosch :?: - n'est donc sans doute qu'une évolution de la représentation du pileum cornatum, qui sert d'abord à identifier négativement le personnage qui le porte. En tous les cas, la bibliographie sur Bosch que j'ai consulté ne signale pas l'hypothèse de l'éteignoir et va dans le sens de celle citée par Plantin-Moretus :

Citer :
L'entonnoir renversé, [...] fut parfois considéré comme l'image de la distraction, le symbole de la sagesse, du savoir et de la science ou encore une allusion à la duperie. [...] La signification symbolique de l'entonnoir renversé utilisé comme couvre-chef reste un casse-tête chinois pour les auteurs.

R.H. MARIJNISSEN & P. RUYFFELAERE, Bosch, Editions Charles Moreau, 2007, p. 442.


Bonne soirée !

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