Puisqu'on est quand même sur un forum d'histoire et que je j'aime / j'aime pas ne me semble pas particulièrement fructueux il faut quand même souligner le rôle historique de Truffaut, mais aussi son évolution. Il incarne la Nouvelle Vague (expression de François Giroud de 1957, mais qui ne concerne pas spécifiquement le cinéma) même si Godard, Chabrol ou Rivette peuvent lui disputer le titre. L'histoire a consacré finalement Truffaut et JLG. Historiquement, Rivette aurait signé le premier film de la Nouvelle Vague en 1956 mais on retient généralement comme manifeste de cette école le court métrage de 1957 de Truffaut,
Les Mistons, puis la consécration médiatique par
Les 400 coups (1959). JLG arrive toujours avec une longueur de retard (
Charlotte et son Jules, 1959 puis
A bout de souffle en 1960).
Les Mistons fait figure de manifeste : acteurs non professionnels (pour l'instant... Bernadette Laffont irradie ce film), scénario qui se limite à un canevas, liberté des acteurs, tournage en extérieur, son direct. Truffaut prend le contrepied de la qualité française d'alors (incarnée par Duvivier) qui tourne des scénarios très écrits, avec des dialogues léchés (Aurenche et Bost en sont les parangons), des acteurs bien caractérisés dans leurs personnages (Jean Gabin, Fernandel) au risque de cabotiner et dans des décors tout ce qu'il y a de pas naturels. Ce cinéma paraît poussiéreux et réactionnaire (il a eu son âge d'or sous Vichy pour des raisons + matérielles qu'idéologiques du reste) un peu comme le théâtre de boulevard. Truffaut veut un cinéma en prise directe avec la vie, et d'abord celle qu'il a vécue.
Les Mistons (des mauvais garçons) annoncent évidemment les
400 coups.
Une première partie de son oeuvre vise donc à inventer une autre manière de filmer, qui prend le contrepied d'un style trop artificiel, un peu comme les impressionnistes arrêtent de faire de la peintre d'histoire pour aller mettre leur chevalet dans les campagnes aux alentours de Paris. De ce point de vue, avec qq années de retard, il acclimate en France le néo-réalisme italien où on retrouve les mêmes éléments.
Mais Truffaut a un rapport + complexe que ce côté mauvais garçon. Il déteste le film de genre quand il est français mais l'adore quand il est américain, et en particulier le film noir type Hitchcock. Il a aussi une passion pour les films de Guitry dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ont des dialogues ciselés. Son cinéma va "s'embourgeoiser" d'où la rupture avec JLG qui reste lui un "pur" et a tracé une voie qui lui est totalement propre (Rivette aussi alors que Chabrol a un parcours à la Truffaut).
La rupture se fait avec
La Nuit américaine, qui est une déclaration d'amour au cinéma dans laquelle Truffaut entremêle beaucoup de ses films précédents. Il entame alors une nouvelle période où je pense qu'il retrouve (avec bonheur) beaucoup de ce qu'il critiquait chez ses aînés. Il revisite le film de genre y compris le film noir (
La Mariée était en noir), la comédie policière (
Vivement Dimanche) et "pire" encore le film en costume (
Le dernier métro) et la liberté fragile des débuts laissent la place à un art consommé de la réalisation. Il y a des chefs d'oeuvre de toute façon dans toutes les périodes.
Mes deux préférés sont
La Peau douce (tu parles : François Dorléac ! ) et
L'homme qui aimait les femmes mais son meilleur reste
La Nuit américaine. La scène d'ouverture est exceptionnelle. Le film naît sous nos yeux (d'abord la musique avec la voix de Delerue en répét) puis une scène hyper léchée et travaillée, à l'ancienne (le 2nd Truffaut), dans laquelle se glisse toute la liberté (qui prend l'apparence d'un reportage ) du Truffaut 1ère manière. Un des plus beaux hymnes d'amour au cinéma.
https://vimeo.com/200813773Avant d'être influencé par les commentaires qui me désespèrent ci-dessus
, regardez ces 7 mn de bravoure !