Je te cites et je réponds :
« je ne vois pas en quoi on pourrait en invoquant ces singularités lui refuser l’appartenance à la Renaissance, même s’il lui manque le thème central de l’intérêt pour la culture antique. »
La Renaissance est celle des formes artistiques de l’Antique (recomposées d’un point de vue artistique) et de la culture antique (interprétée à la sauce Renaissance). Ce n’est pas faire offense à la peinture flamande de ne pas vouloir la faire entrer dans le courant Renaissance. A moins que tu ne considères que le Gothique est barbare ; et que le terme de Renaissance à une connotation positiviste. Aujourd’hui, la valeur morale attribuée aux noms de périodes doit normalement avoir disparu de tous propos, même si il est bon de noter les origines de la nomenclature utilisée. L’œuvre de Van Eyck n’est pas une Renaissance car simplement elle ne correspond pas aux caractéristiques qui se développent en Italie à la même époque (lieu de naissance de la Renaissance). Je répondais également à la question du premier post de savoir si cette œuvre de van Eyck est une œuvre à placer dans la Renaissance. On se doit de répondre NON. Ce qui ne veux pas dire (et c’est manifeste dans mon post précédent) que le courant Renaissance ne va pas toucher l’ensemble de l’Europe. Cela veut simplement dire qu’il y a une chronologie dans la diffusion.
« une rupture nette avec l’époque médiévale, comme l’intérêt pour l’individualité (portraits) »
En ce qui concerne les portraits, il n’y a pas une vrai rupture. Le retour des images individualisées représentant des personnages historiques (la définition d’un portrait) se manifeste dès le Gothique International au XIII° siècle dans des séries de donateurs d’églises.
« le désir de rendre les images du monde visible crédibles et accessibles, une démarche naturaliste en rupture avec le symbolisme médiéval, en résumé l’humanisation de l’art et de la culture qui caractérise dans un cadre plus général la Renaissance »
Le naturalisme (avec l’usage de recettes antiques) est de retour dès le XIII° siècle en Europe dans le Gothique International (cf. la décoration des églises). Le courant narratif dès la naissance du Gothique est de plus en abandonné ; les scènes religieuses perdent une bonne part de leur valeur pédagogique.
Là, je dois dire que tes exemples sont un peu particulier. Généralement - si je me souviens bien - Giotto fait en effet figure de tournant entre Gothique International et Quatrocento, mais il me semble que Duccio est considéré comme peintre du peintre Gothique International tardif. Quant à Broederlam, si je ne m’abuse il est classé dans le Gothique International. Je ne disconviens absolument pas des relations entre Italie et le reste de l’Europe (les foires de Champagne ne dataient pas de la veille). De plus, le Gothique International est INTERNATIONAL comme son nom l’indique. Ceci est particulièrement visible dans les schéma de composition. L’annonciation par exemple se retrouve chez Memmi, chez Giotto, sur les vitraux de la cathédrale d’Amiens avec la même composition. Non, ce qui différencie les différents foyers culturels européens du XV° siècle, ce sont les techniques et les façons de les appréhender. Quoiqu’il en soit il est en effet très intéressant de faire une comparaison entre les trois sur le rendu de la 3° dimension, pour voir ce qui se passe dans ce domaine à la veille des travaux de Brunelleschi. Dans mes souvenirs (peut-être trop vieux), les œuvres de Duccio et Giotto, ne sont pas marqués par un éclatement des points de vue, mais par une assez grande unité dans la réalisation de la profondeur. L’œuvre de Broederlam que tu présentes présente cette multiplicité des points de vue et des points de fuites. Et ceci est visible même quand on rajoute la 2° moitié du retable, qui, en rééquilibrant la composition, atténue la discordance de ces éclatements.
Le Palais Ducal d’Urbino est réalisé en perspective, ce qui est l’innovation du début de la Renaissance Italienne. Le trompe-l’œil n’est en effet pas inconnu des italiens. Précédemment, l’image en trompe-l’œil de statues était présente dans l’art. Tu en retrouve chez Van Eyck (ou chez Giotto). Son développement durant la Renaissance italienne est à mettre en parallèle avec la redécouverte de la perspective (travaux de Pietro della Francesca) et des peintures de l’Antiquité Romaine (en particulier des styles II, III et IV). La marqueterie ici est à mettre en relation avec ceci. Créer l’illusion de la forme d’un objet et en recréer la matière de façon illusionniste sont deux choses différentes. Si tu avais une photo plus large tu pourrais observer le rendu peu réaliste des statues dans les niches.
http://www3.ac-clermont.fr/pedago/arts/ ... ntelli.htm
Hugo van der Goes est connu pour être une exception parmi les peintres flamands, et d’avoir VU très tôt des peintures italiennes. Le terme clair-obscur pour désigner la portée de l’ombre sur la colonne me paraît peu approprié et même assez décalé chronologiquement. Le triptyque fut commandé par un Italien pour une église italienne (Sainte Marie Nouvelle de Florence), ce qui explique ces grandes dimensions exceptionnelles même dans la peinture de van der Goes.
Ta comparaison entre Bosch et de Vinci est certes intéressante mais hors de la chronologie et de la question posée sur l’appartenance ou non de l’œuvre de van Eyck à la Renaissance. Tout de même tu noteras que le dessin de de Vinci est fait d’après nature et est une recherche sur l’anatomie du visage. D’où le placement des muscles par rapport à une grimace. Chez Bosch (c’est une détail que tu présentes), ces grimaces ne sont pas placés suivant une exactitude anatomique. Le propos de Bosch est de créer une ambiance « décalée » par rapport au recueillement du Christ sur le chemin de la crucifixion. Je rappelle également que Bosch n’est plus depuis longtemps considéré comme l’archétype du peintre médiéval mais comme l’héritier d’un certain nombre de traditions, ce qui n’exclut pas nombre d’innovations dans ses peintures. Ce foyer du Nord gardant une identité forte mais en qui est en rapport avec la Renaissance européenne au XVI° siècle est il me semble décrit dans mon précédent post :
« Au XVI° siècle, la Renaissance [italienne] prendra le pas sur le courant nordiste et s'imposera en Europe. Des survivances fortes du courant gothique seront restreint à la Flandre (Holbein, Bruegel). ... et l'histoire continue.... »
Enfin, le dépouillement des scènes et l’aération des personnages est déjà initié dans le Gothique International (cf. vitraux de la cathédrale d’Amiens).
Enfin pour finir, je terminerai par cette remarque générale : le vocable de Renaissance dépendant essentiellement de ce que tu veux dire. Si en effet on prend une classification très générale de l’art Antiquité – Moyen Age – Renaissance – Baroque, on est en effet en droit de se poser des questions sur l’appartenance de Van Eyck à telle ou telle période, mais chacune de ces périodes est découpée en période plus restreinte qui permet une analyse plus fine de la situation.
Cordialement.
PS. Bon courage pour la lecture. C'est dense ...