Je pense d'abord que les bâtiments anciens qui ont survécu ne sont pas n'importe lesquels. Même les maisons apparemment ordinaires, celles qui constituent ces beaux centres villes ou bourgs à pans de bois : un coup d'oeil aux sculptures qui ornent parfois les encadrements de fenêtres ou les angles montre que ce n'était pas là, l'équivalent technico-socio-économique d'une barre de La Duchère ou du pavillon des Bidochon, mais des maisons construites avec un certain soin pour des gens aisés. Donc, "de bonne construction"... et jusqu'au XIXe, quand on construisait bien, on construisait beau, on donnait dans l'apparat, cela faisait partie du jeu. Pour le solide et néanmoins purement utilitaire, à part les fortifications, et encore... Ce que nous admirons, c'est quelque chose qui est déjà filtré; il y a un biais dans l'échantillon que nous avons sous les yeux.
Les maisons vraiment banales et laides, ont disparu. De plus, ces édifices nous sont montrés dans un environnement moderne propret : goudron/pavé, églises dégagées des immeubles avoisinants, ce qu'elles n'étaient pas au Moyen Age, quand il n'y a pas de zoulis z'espaces verts pour "mettre en valeur", et des biaux géraniums aux fenêtres des maisons XVe. (ajoutez une cigogne en plastique au faîte, et c'est la totale.)
J'ai dans un livre une photo panoramique de la rive gauche de Lyon (des Brotteaux à la Guillotière) dans les années 1850. Et bien, c'est très laid, et pas pittoresque du tout ! Les alignements réguliers de façades XIXe qui ont fait, quelques décennies après la photo, l'identité de ces quais, n'existent qu'à l'état de tronçons, entre lesquels s'empilent des maisons en mauvais pisé (par la suite, on le mêlera de mâchefer; ça devait donner des édifices réellement magnifiques
) avec çà et là une cheminée d'usine. On a là typiquement, l'ancien que nous ne trouverions pas beau, et comme par hasard, c'est celui qui ne nous est pas parvenu.
Oui, il y a un biais; depuis la Renaissance, les édifices anciens ont eu bien des malheurs; le Vieux Lyon a failli plusieurs fois passer à la casserole, pour combien d'autres vieux centres anéantis ? On a fait sauter Cluny, aussi... Ceux qui restent, sont ceux qui ont assez souvent ému les décideurs pour avoir la vie sauve, ce n'est pas un mince exploit, c'est donc "une élite" que nous avons là.
Et puis après tout, parmi ce qui est ancien et rare, on a toujours le droit de trouver des bâtiments laids ou pas tellement extraordinaires. Il y a parmi les églises romanes du Poitou une paire d'horreurs surchargées de décors orientalisants (d'époque ! je ne parle pas des restaurations-massacres du XIXe), des églises gothiques qui n'ont guère plus que de grands volumes pour impressionner, etc...