Sans cherche à me parer de prétentions fumeuses, dans la mesure où je suis étudiant en histoire de l'art se spécialisant en Renaissance, je veux bien tenter d'ajouter des éléments objectifs sur ce sacré tableau:
La Joconde, ou Mona Lisa pour nos amis anglo-saxons, tire son nom en effet d'un certain Giocondo, un commerçant florentin dont le modèle féminin était l'épouse. Comme vous l'avez bien remarqué, le tableau a été peint vers 1503-1506, qui correspond au moment où Léonard revient à Florence après avoir été l'artiste de Ludovic le More à la cour de Milan entre 1483 et 1499. Parmi les autres oeuvres de ce qu'on peut appeler le second séjour florentin de l'artiste, on peut aussi citer une grande fresque pour le Palazzo Vecchio,
La Bataille d'Anghiari, hélas disparue tout comme l'oeuvre concurrente de Michel-Ange,
La Bataille de Cascina; ainsi que le carton pour la
Grande Sainte Anne, oeuvre stupéfiante aujourd'hui à la National Gallery de Londres, le tableau final étant au Louvre. Tout ça pour dire que Léonard ne chôme pas lorsqu'il revient dans la cité toscane, alors en pleine effervescence républicaine après la chute des Médicis et les années noires de Savonarole : certainement une des raisons pour lesquelles la Joconde ne sera jamais livrée à son commanditaire, et probablement achevée en France où Léonard l'amène dans ses bagages, avant qu'elle ne passe (à la mort de l'artiste en 1519) dans les collections royales et vous connaissez la suite...
Alors donc, pourquoi tant de mystère et de célébrité? Déjà, chaque oeuvre de Léonard est un peu une relique de son génie, tant son oeuvre peint est restreinte (dû au fait que Léonard a créé parcimonieusement, et aussi aux destructions), avec au total environ une quinzaine de tableaux autographes conservés tout au plus. Mais c'est un fait relativement accessoire à côté de l'époustouflante maîtrise technique du peintre : cette prouesse optique, où la forme semble fondue dans un brouillard éthéré, résulte d'une finesse de la touche telle qu'on ne voit pas du tout les coups de pinceau à l'oeil nu. Ce
sfumato explique donc l'impression de vie pouvant émaner des oeuvres de Léonard, allié au clair-obscur qui monumentalise les formes et semble les faire surgir d'une pénombre plus ou moins prononcée. D'où la forte présence physique de la Joconde, son regard d'un magnétisme presque absolu : bref une facture tellement poussée qu'on ne peut être totalement indifférent à cette oeuvre, même si on ne l'apprécie pas.
Et du côté de l'histoire de l'art? C'est un jalon majeur pour l'art du portrait, avec en effet ce rendu psychologique où chaque expression, tout mouvement fait sens et dévoile en partie la personnalité du modèle. Ainsi, ce sourire fascinant hésite entre la mélancolie résignée et un espoir incertain, comme nous l'explique bien Vasari dans ses
Vite : Mona Lisa venait en effet de perdre l'un de ses enfants au moment de l'exécution du tableau, et Vasari raconte que des musiciens essayaient de distraire la dame pour tenter de lui arracher un vague sourire, que Léonard a si bien rendu, tout comme son air recueilli et ses vêtements sombres font référence à ce deuil. D'autre part, au niveau des formes, c'est le premier portrait complètement de face de l'histoire de l'art occidental des Temps modernes, si je ne m'abuse : auparavant, on avait surtout des 3/4 voire des profils comme dans les représentations antiques; ici Léonard présente son modèle complètement face à nous, même s'il conserve le buste et le fameux parapet, mais qui lui sert ici à magnifier les mains du modèle, très plastiques et sensibles à la fois. Quant au paysage derrière, rien de bien ésotérique : les montagnes perdues dans le lointain évoquent tout à fait le paysage toscan près de Vinci, village natal du peintre, ici à la "sauce" léonardesque où la perspective atmosphérique sublime les formes déchiquetées et fantomatiques ; le motif de la rivière serpentant est un symbole tout à fait typique de la Renaissance : pouvant aussi prendre la forme d'un chemin courbe, il représente l'existence et ses aléas...
Après, je ne vais pas m'amuser à recracher l'histoire du vol par un italien au début du 20ème siècle, ni les délires de Dan Brown, ça serait trop facile!
Voilà, il me semble, la contribution que je pouvais apporter à ce sujet. J'espère que mon post n'aura pas paru trop long, ni pédant, surtout que je ne suis pas trop intervenu sur le forum pour l'instant. Enfin, si vous voulez en savoir plus ou même des références bibliographiques sur la question, n'hésitez pas.