jean claude de guire a écrit :
Sans vouloir souffler un cadre en ce début de forum, j'aimerais simplement préciser que l'approche de Panofsky est dite linéaire et progressive et qu'un de ses critiques modernes qui a su décanter l'oeuvre en faisant ressortir ses origines éclatées est Warburg.
Avant de laisser place au débat très intéressant que vous initiez, je voudrais apporter quelques précisions sur votre 2ème post :
Parlez-vous bien d’Aby Warburg (1866-1929) ?
Effectivement, les approches de Panofsky et de Warburg sont différentes et telles que vous les résumez ; cependant je doute qu'il faille considérer Warburg comme un « critique moderne » de la méthode de Panofsky :
D’abord parce qu’il est de la génération précédente (Panofsky : 1892-1968) ; Warburg d’ailleurs connaissait bien Panofsky, dont il fut en quelque sorte le mentor, et fut avec lui un des initiateurs de l’université d’histoire de l’art de Hambourg (institut Warburg). Il est vrai que Panofsky a appliqué les idées de Warburg dans un sens plus traditionnel, restant dans le domaine traditionnel de l’historicité de l’art ; mais son essai « Idea, a concept in art theory », en 1924 (disponible en français : « Idea » chez Gallimard, 1989) montre que Panofsky n’est pas prisonnier des périodisations et des contextes historiques, et c’est un hommage à la pensée de Warburg. Celui-ci, mort à l’âge de 63 ans, est en fait assez tôt disparu après l’élaboration tardive de sa théorie ; on peut dater sa « conversion » ou sa « prise de conscience » de sa conférence sur « Le rituel du serpent », tiré de son expérience américaine en 1896 où il a observé les rituels des Indiens Hopis. L’institut Warburg ne commence à fonctionner (avec Panofsky donc) qu’en 1921, et Warburg lui-même n’y est actif que de 1925 à 1929 (il souffrait de graves troubles psychiques). On peut donc dire que Panofsky a contribué à pérenniser la pensée de Warburg.
Pour résumer, disons que Warburg pensait que l’oeuvre d’art ne devait pas être considérée comme une fin en soi, réduite à son expression esthétisante, analysée, « charcutée » et expliquée par le seul contexte historique ou la biographie de l’artiste. Au contraire, l’historien d’art devait prendre en compte toutes les dimensions culturelles, anthropologiques, psychologiques, ethnologiques, mythologiques, littéraires etc... dans lesquelles l’oeuvre baigne (Il l’avait d’ailleurs déjà pressenti dans sa thèse sur Botticelli en 1893 quand il met en relation « Le Printemps » avec l’oeuvre de Politien).
Pour permettre ce décloisonnement et ce croisement des savoirs, il faut un outil ; Warburg avait commencé à réunir une bibliothèque considérable dès 1909, mais dans les années 20, elle prend un nouvel essor (60 000 volumes en 1933). Bibliothèque très déroutante d’ailleurs car en conformité avec sa théorie du savoir « éclaté »en quelque sorte, elle n’avait pas de classement précis. Lui même disait que la réponse n’était jamais dans le livre consulté, mais dans celui d’à côté, car chaque réponse appelle une nouvelle question.
Projet compromis par sa disparition, mais que l’informatique a permis de faire renaître en 1997 avec la création de la Warburg Electronic Library (voyez ici :
http://www.welib.de/), car l'informatique se prête admirablement au système de raisonnement de Warburg (on a tous fait l’expérience des recherches en cascade sur Internet, qui est la définition même de l’éclatement du savoir, déconstruit, reconstruit, recombiné en fonction d’une recherche précise, c’est-à dire exactement ce que voulait en faire Warburg)
Grâce à ce nouvel outil, les idées de Warburg ont pu trouver un nouvel écho, et être donc confrontées récemment avec celles de Panofsky, et je pense que c’est le sens de votre remarque. Mais ce sont les exégètes de Warburg et Panofsky qui construisent cette opposition ; en fait, quand il l’a élaboré, Warburg ne concevait pas sa théorie comme une critique de celle de Panofsky, car elle lui est antérieure, Panofsky commençant à peine à construire la sienne ; si l’on veut vraiment opposer Warburg à quelqu’un, il me semble que ce serait plutôt à Wolfflin, l’historien d’art suisse pour qui l’art était uniquement un langage visuel, un mode indépendant de connaissance. Mais il faudrait dans ce cas plutôt associer Warburg et Panofsky face à Wolfflin.