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Message Publié : 18 Mai 2007 17:49 
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Polybe
Polybe

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Que de passions déchainées ici!
Je voudrais revenir sur ce que disait Tom (je crois que c'etait de vous en tous cas :wink: ) sur le fait de reconnaitre son ignorance: je suis tout à fait d'accord avec vous, mieux vaut reconnaître son ignorance ou son incapacité à trancher plutot que d'inventer des réponses fantaisistes et surtout qu'on ne peut prouver... Cependant je ne vous suis pas totalement sur le fait qu'il ne faut pas poser de questions dont on ne peut avoir les réponses. Questionner est très stimulant intellectuellement, si l'on accepte l'idée que la démarche peut parfois valoir plus que la réponse.

Sinon, pour revenir au sujet, je vais poser une question (hé oui!) peut-etre un peu polémique: à partir de quand peut-on parler de Christianisme? En y réfléchissant, je me dis que c'est peut-être à partir du moment ou des païens adhèrent à cette foi nouvelle, sans passer par le Judaisme... Mais cela a lieu très tôt. Or parlait-on déjà de christianisme? qu'en pensez-vous?


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Message Publié : 18 Mai 2007 17:52 
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Polybe
Polybe

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Citer :
Cependant je ne vous suis pas totalement sur le fait qu'il ne faut pas poser de questions dont on ne peut avoir les réponses. Questionner est très stimulant intellectuellement, si l'on accepte l'idée que la démarche peut parfois valoir plus que la réponse

(hum...l'auto-citation, ça fait peut-être un peu étrange, non :wink: Bon, en fait, j'avais oublié un détail qui approfondissait ma pensée: comment savoir AVANT de poser la question et de mener un démarche intellectuelle qu'il n'y aura pas de réponse "possible", définitive...)


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Message Publié : 19 Mai 2007 13:39 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 26 Juil 2005 18:43
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Aspasie a écrit :
je pense que le christianisme dès l'origine cherche à se définir, comme tout mouvement religieux : il faut bien définir ce en quoi on croit, que ce soit en terme de dogme ou de pratique, ou les deux ! Comment expliquer autrement tous les écrits, évangiles, apocryphes ou non, lettres, discours qui fleurissent au cours des siècles et depuis le 1er ? Et comment expliquer par la suite les choix qui ont été faits pour l'établissement du Canon ?

Je pense quant à moi que le christianisme (du 1er siècle) n'a pas à SE définir. Par contre, son but est de REdéfinir le judaïsme. Le christianisme se pose comme un judaisme véritable renouvelé (par rapport aux pratiques pharisaiques de l'époque), purifié, rituellement simplifié (par rapport à la Torah et aux ajouts traditionnels comme la Mishnah) , et ouvert à l'humanité entière (et cela dès Jésus, contrairement à ce que disent certains).

_________________
Celluy est saige, (...) qui ne congnoist ennemy que soy-mesmes et qui tient sa volunté et son propre conseil pour suspect. - Marguerite de Navarre


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Message Publié : 20 Mai 2007 22:39 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 09 Août 2006 12:25
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Je pense que vous voulez redéfinir VOTRE christianisme.

Je ne vois pas en quoi il veut redéfinir LE judaisme, puisqu'il y avait plusieurs judaismes.
Je ne vois pas en quoi c'est une purification. Encore pour des sectes baptistes je comprendrais, mais le christianismes je vois pas. Et limiter la loi ... au contraire on assiste a un changement de la vision de la loi et non a une "purification".

Rituellement simplifié ? Par rapport a quoi ... si vous avez des documents exceptionnels sur les pratiques religieuses du judaisme avant la destruction du second temple merci de les indiquer.

Quand à la Mishnah, elle n'était pas encore compilé ... et ce n'est pas un ajout de la torah mais une interprétation.

Les chretiens sont des eschatologiques en premier lieu ... je vois pas en quoi ils pourraient avoir une vision de la refondation d'une religion alors que le lendemain c'est la fin du monde ...

Ouvert a l'humanité dés Jesus ... si vous avez des paroles ecrites par lui merci aussi de les donner a tous ici ... ca serait dommage de les garder pour soi.


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Message Publié : 21 Mai 2007 7:05 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges

Inscription : 09 Août 2005 17:34
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Il semble opportun, pour rééquilibrer le débat sur "le christianisme naissant", de réhabiliter les Pharisiens en les dégageant de l'image caricaturale que le Nouveau Testament a contribué à leur coller :
- La description que fait le NT du souci des pharisiens comme celui d'une simple application sèche et minutieuse de la loi juive est réfutée par le vaste corpus de la littérature talmudique qui montre la simplicité de l'attitude des sages dans leur conduite, leur préoccupation pour leurs corelligionnaires, leur croyance dans le libre arbitre humain, le respect en lequel ils tenaient leurs aînés, et leur engagement dans l'ensemble de la société juive. Flavius Josèphe note : "A cause de ces vues, ils sont [...] extrêmement influents parmi les habitants des villes" et que "le grand tribut" que la population juive paye à "l'excellence" des pharisiens, est dû à leur pratique des idéaux les plus élevés, aussi bien dans leurs discours que dans leur façon de vivre. (citation tirée de l'article "Pharisiens", pages 789-790 du Dictionnaire encyclopédique du JUDAÏSME publié sous la direction de Geoffrey Wigoder dans la collection "Bouquins" chez Cerf/Robert Laffont, 1996).
Quand le NT stigmatise "les Pharisiens" ou "les Juifs", il vise en fait "certains Pharisiens" et "certains Juifs" (les premiers fidèles de Jésus étaient tous des Juifs... et beaucoup se situaient dans la mouvance tout à fait respectable des Pharisiens). Il ne faudrait pas condamner "les Juifs et les Pharisiens" en bloc (c'est si commode...) à cause de quelques brebis galeuses, au risque de jeter le bébé avec l'eau du bain!

_________________
"Le doute est le premier pas vers la conviction" (al-Ghazali, mort en 1111).


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Message Publié : 21 Mai 2007 10:07 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 26 Juil 2005 18:43
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Montsegur a écrit :
Je pense que vous voulez redéfinir VOTRE christianisme.

Non, celui du 1er siècle simplement ... par rapport aux textes qui nous en reste : le NT ...

Citer :
Je ne vois pas en quoi il veut redéfinir LE judaisme, puisqu'il y avait plusieurs judaismes.

Dans ce cas le christianisme naissant veut redéfinir le judaime en l'UNIFIANT (Jésus est un rassembleur aussi, un nouvel "ecclesiaste").

Citer :
Je ne vois pas en quoi c'est une purification.

Par rapport au judaisme de l'époque que Jésus dans le NT considère comme souillé, déséché (voir par exemple l'épisode des marchands du temple, des tombeaux blanchis ou de la coupe et du plat, autant d'épisodes où Jésus condamne le judaisme de l'époque pour son impureté profonde par rapport à sa belle apparence).

Citer :
Encore pour des sectes baptistes je comprendrais, mais le christianismes je vois pas. Et limiter la loi ... au contraire on assiste a un changement de la vision de la loi et non a une "purification".

Je ne me souviens pas avoir parlé de limitation de la Loi. Jésus prétend purifier la vision biaisée qu'avaient ses pharisiens de la Loi : il entend en faire une rencontre directe entre Dieu et l'homme, et non plus le lieu de rituels formalistes.

Citer :
Rituellement simplifié ? Par rapport a quoi ... si vous avez des documents exceptionnels sur les pratiques religieuses du judaisme avant la destruction du second temple merci de les indiquer.

Veuillez lire l'Evangile selon Marc 7 : 1-13.

Citer :
Quand à la Mishnah, elle n'était pas encore compilé ... et ce n'est pas un ajout de la torah mais une interprétation.

Apparemment la Mishnah et ses traditions orales existaient déjà à l'époque de Jésus sous une forme ou une autre.

Citer :
Les chretiens sont des eschatologiques en premier lieu ... je vois pas en quoi ils pourraient avoir une vision de la refondation d'une religion alors que le lendemain c'est la fin du monde ...

Toute religion a une eschatologie, donc votre première phrase me semble dénuée de sens, à moins qu'il m'échappe ...
Quant à votre deuxième phrase, effectivement, le christianisme ne se prétendait pas une religion au sens généralement admis, puisque cela devait être une religion tout à fait temporaire préparant la venue très prochaine du Royaume du Christ.

Citer :
Ouvert a l'humanité dés Jesus ... si vous avez des paroles ecrites par lui merci aussi de les donner a tous ici ... ca serait dommage de les garder pour soi.

(Actes 1:6-8) 6 Or, quand ils se furent réunis, ils se mirent à lui demander : “ Seigneur Jésus, est-ce en ce temps-ci que tu rétablis le royaume pour Israël ? ” 7 Il leur dit : “ Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les époques que le Père a placés sous son propre pouvoir ; 8 mais vous recevrez de la puissance lorsque l’esprit saint surviendra sur vous, et vous serez mes témoins non seulement à Jérusalem, mais aussi dans toute la Judée et la Samarie, et jusque dans la région la plus lointaine de la terre. ”

(Jean 3:16) 16 “ Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique-engendré, afin que tout homme qui exerce la foi en lui ne soit pas détruit mais ait la vie éternelle.

_________________
Celluy est saige, (...) qui ne congnoist ennemy que soy-mesmes et qui tient sa volunté et son propre conseil pour suspect. - Marguerite de Navarre


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Message Publié : 21 Mai 2007 12:43 
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Plutarque
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Inscription : 09 Août 2006 12:25
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Alors Rapidement :

- Il existe des centaines de religions sur terre disparu ou toujours présente qui n'ont pas un gramme d'eschatologie.
Et comme je l'ai indiqué plus haut dans la reflexion, la notion de "fin du monde physique" n'est même pas accepter par le judaisme dans sa totalité.

- Les pharisiens que décrit Jesus n'est pas le seul judaisme. Je ne vois pas en quoi Marc 7 : 1-13 m'aide a connaitre les rites des pharisiens. Que Jesus d'apres les écrits ne soit pas content des actes de certains juifs je suis d'accord, qu'il veuille purifier la religion ? Je vois toujours pas d'ou peut venir cette vision. (enfin si je vois tres bien mais c'est une vision du second/troisieme siecle qui poursuit Gallate)

- Désolé mais les evangiles / actes n'ont pas été écrit par Jesus.
Citer des éléments du NT comme véritable parole du christ est valable en terme de foi sur des forums religieux mais invalide dans un forum historique.


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Message Publié : 21 Mai 2007 17:05 
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Polybe
Polybe

Inscription : 17 Avr 2007 19:48
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Localisation : à droite en dessous de la pile de livres...
Montsegur a écrit :
Alors Rapidement :

- Il existe des centaines de religions sur terre disparu ou toujours présente qui n'ont pas un gramme d'eschatologie.
Et comme je l'ai indiqué plus haut dans la reflexion, la notion de "fin du monde physique" n'est même pas accepter par le judaisme dans sa totalité.

Tout à fait daccord avec vous, et j'irai même plus loin: le Judaisme antique ne s'intéressait pas particulierement à l'eschatologie (en fait c'est une croyance qui éclot d'avantage vers -200, mais j'ai posté ce sujet par ailleurs donc ceux que ça intéresse... :wink: ).

Quant à la volonté de purification/simplification:
* si on va part du principe d'une simplification, il semble que la volonté des chrétiens de répandre leur religion sans forcément passer par le Judaisme (une conversion directe du paganisme au christianisme donc) ait abouti à des simplifications des nombreux interdits juifs, peut-être considérés comme trop compliqués à suivre
* quant à l'idee de purification du Judaisme,-ou dans le judaisme- ce n'est pas une nouveauté: voyez les Esséniens et le mouvement sectaire de Qumran...


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Message Publié : 21 Mai 2007 21:52 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 13 Jan 2007 20:12
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Localisation : Région parisienne
Brainstorm a écrit :
Citer :
Ouvert a l'humanité dés Jesus ... si vous avez des paroles ecrites par lui merci aussi de les donner a tous ici ... ca serait dommage de les garder pour soi.

(Actes 1:6-8) 6 Or, quand ils se furent réunis, ils se mirent à lui demander : “ Seigneur Jésus, est-ce en ce temps-ci que tu rétablis le royaume pour Israël ? ” 7 Il leur dit : “ Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les époques que le Père a placés sous son propre pouvoir ; 8 mais vous recevrez de la puissance lorsque l’esprit saint surviendra sur vous, et vous serez mes témoins non seulement à Jérusalem, mais aussi dans toute la Judée et la Samarie, et jusque dans la région la plus lointaine de la terre. ”

(Jean 3:16) 16 “ Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique-engendré, afin que tout homme qui exerce la foi en lui ne soit pas détruit mais ait la vie éternelle.


Les actes des Apôtres selon la tradition, ont été rédigés par Luc, compagnon de Paul, c'est donc un texte tardif, de la fin du 1er siècle. En outre, ni Luc, ni Paul n'ont connu le Christ. Et Paul, dans le christianisme, est le tenant de l'universalisme et de l'ouverture du christianisme aux non juifs. Comment s'en étonner, de la part d'un fonctionnaire de l'empire romain imprégné de culture gréco-romaine et de philosophie grecque ?
Les Actes des Apôtres ne définissent donc qu'un courant du christianisme primitif.
Qu'ils soient devenus un des piliers du NT, ça n'a été établi que plus tard.

Et l'évangile de Jean est le plus tardif des quatre évangiles canoniques, de la fin du 1er Siècle, les chrétiens eux-même ont connu des controverses pour savoir si le "disciple Jean" était bien le même que le "presbytre Jean", rédacteur supposé de cet évangile et aussi de l'apocalypse.

Les textes que nous avons gardés sont clairement le résultat d'un choix imposé bien après Jésus. On ne peut donc pas nécessairement déduire d'après eux ce qu'était le christianisme primitif.
Je prends la liberté de copier ici l'article d'un historien sur l'éviction progressive du judaÏsme dans le christianisme. Je n'adhère pas forcément à tout, mais l'article est vraiment intéressant :



Citer :
Extrait de Nunc, 3, 2003.




Exclure pour exister
L’antijudaïsme au fondement du christianisme


À la mémoire de Jules Isaac





Les rédacteurs du chapitre 25 de la Genèse ont tenu à insister sur le fait que le troisième Patriarche, fils d'Isaac et petit-fils d'Abraham, avant de recevoir à l'issue de son combat avec l'ange le nom d'Israël (« fort contre Dieu »), s'appelait Jacob, « le supplanteur ». Et ils n'ont rien caché de la façon tortueuse dont il a effectivement évincé son frère aîné mais tout de même jumeau, Ésaü#. Déjà, au chapitre 21, on avait pu lire comme Abraham, cédant aux instances de sa femme Sarah après la naissance d'Isaac, a chassé au désert sa servante Hagar et leur fils Ismaël. Au fondement de l'élection du Peuple, la Torah l'indique sans ambages, il y a l'exclusion d'un prochain, d'un frère, trop proche, trop semblable, au point qu'il a fallu l'éloigner de soi, le considérer comme irrémédiablement différent, le rejeter dans l'altérité.
Le fait vaut sans doute pour toute communauté, tout peuple, toute religion. Il faut exclure pour exister. L'histoire des divisions chrétiennes successives semble le confirmer — tout particulièrement la manière dont, au temps de la Réforme, à partir du christianisme occidental des derniers siècles du Moyen Age, le catholicisme et le protestantisme sont apparus et se sont développés en rivalité l'un envers l'autre#.
Ce fait, les rédacteurs de la Torah l'ont admis, sans mauvaise conscience mais avec objectivité. Les chrétiens divisés ont fini par l'accepter, plus ou moins volontiers, plus ou moins totalement. Ils commencent même à le reconnaître lorsqu'il s'agit de leur rapport aux juifs.

Et les chrétiens cessèrent d'être juifs : le drame de la rupture

On ne peut, en effet, plus ignorer que le judaïsme actuel et le christianisme sont les rejetons de la foi juive de l'époque du second Temple de Jérusalem. Le judaïsme, alors, regroupe des courants très divers, parfois même opposés. C'est dans ce contexte pluriel que le rabbin Jésus de Nazareth, vers l'an 30, développe une action à la dimension prophétique indéniable. L'historien Simon Mimouni a montré dans sa thèse d'habilitation de manière très convaincante comment les disciples de Jésus, un demi-siècle encore après la mort de celui-ci, se considèrent toujours comme des juifs — d'une tendance, d'un courant particulier parmi les autres courants juifs de l'époque# : « Avant 70, et dans une certaine mesure jusqu'aux environs de l'an 100, il est donc possible de considérer qu'il y a, parmi d'autres, des juifs chrétiens, comme il y a des juifs sadducéens, des juifs pharisiens, des juifs esséniens. » Une lecture attentive des épîtres de Paul, les plus anciens textes chrétiens puisque écrits dans les années 50 et 60, révèlent que même les païens convertis par l'apôtre ont alors le sentiment d'adhérer à la religion juive, d'être selon la formule « des prosélytes de la porte »#. On cite toujours, et avec raison, le chapitre 11 de l'épître aux Romains, où Paul compare Israël à un olivier domestique, donc qui donne des fruits, sur lequel on a greffé des branches d’olivier sauvage (les païens qui croient en la résurrection de Jésus-Christ) en même temps qu’on en a retiré « quelques-unes des branches ». Ces dernières renvoient clairement à des destins individuels de membres du Peuple d'Israël, mais l'élection de celui-ci dans son ensemble n’est pas remise en cause puisque : « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables. ».
La parole de Jésus sur la Torah qu'il est venu non abolir mais remplir, porter à son comble, conservée jusque dans l'Évangile selon Matthieu, illustre cette véritable « préhistoire du christianisme ». Cette dernière expression pourra étonner : il s'agit en fait de distinguer entre le christianisme, c'est-à-dire la religion chrétienne telle qu'est s'est construite à part du judaïsme, et en opposition à lui, et la foi chrétienne, celle du Christ et de ses disciples, tous juifs en leur temps, laquelle, bien sûr, a préexisté à cette construction de type confessionnel.
La destruction du Temple en 70 par les troupes romaines de Titus, et ensuite la répression de la seconde révolte juive en 135, ont fortement ébranlé le judaïsme. Vers l'an 100, les rabbins pharisiens de Jamnia tentent de sauver la situation en recentrant le judaïsme sur leur propre courant. Ils ne conservent comme authentique qu'une version hébraïque des Écritures, à l'exclusion des autres et, bien sûr, de la Bible grecque dite des Septante. Et ils prononcent l'anathème contre l'ensemble des minnim, à savoir tous les courants juifs non pharisiens, parmi lesquels le courant chrétien. La Synagogue, pour survivre à la perte du Sanctuaire, n'est plus que pharisienne.
Dans ces mêmes années, de leur côté, les chrétiens rejettent les juifs. Certains, les judéo-chrétiens, ont tenté longtemps encore de tenir les deux bouts de la chaîne#. Mais, majoritairement, les juifs et les chrétiens ont fini par refouler leurs points communs, et oublier qu'ils partagent la même religion. Au bout de trois siècles, l'Église, réunie à Nicée en 325, a inscrit dans sa profession de foi la croyance dans la divinité de Jésus, alors que c'est seulement vers 120 que le mot Dieu a été appliqué à ce dernier. La reconnaissance de la messianité de Jésus étant liée pour les chrétiens à la croyance en sa divinité, la Synagogue n'a pu que rejeter tout aussi bien la première que la seconde. L'intersection entre la foi de l'Église et celle de la Synagogue a été considérée comme vide. Du côté chrétien, on a même développé la théologie de la substitution, qui, on l’a vu, n’est pas paulinienne : l'Église, « nouveau peuple de Dieu », remplacerait dans le plan de salut divin l'« ancien » Israël, de même que le « nouveau Testament » (ou alliance) prendrait la place de l'« ancien »…
L'histoire de cette rupture a profondément marqué le christianisme. Fadiey Lovsky l'a mis en lumière à partir des années 1950#. Et déjà, peu auparavant, l'historien Jules Isaac, d'une autre manière, l'avait déploré#. Certes, les confessions chrétiennes expriment de plus en plus depuis une dizaine d'années leur repentance devant une histoire longue qui s'est conclue sur l'horreur de la Shoah. Et jamais le dialogue entre les Églises et le judaïsme n’a été engagé si loin. Et pourtant, on ne dit sans doute pas assez que l'antisémitisme en Occident n'a jamais été purement conjoncturel : ce n'est pas plus la haine d'Adolf Hitler contre les juifs ni la volonté néo-païenne des SS d'éliminer toute trace de la religion biblique (en commençant par le commencement, donc par le Peuple d'Israël), que les nouvelles actuelles du Proche-Orient et l'antisionisme pouvant en résulter, qui, hier ou aujourd'hui, expliquent à eux seuls les propos, les actions et les exactions antisémites, ainsi que les pogroms et la Solution finale. Car les Occidentaux n'ont jamais cessé au fond d'être antisémites. Et cela pour une grande part du fait de leur culture chrétienne, profondément antijudaïque.

Le refoulement chrétien

Cela, en effet, les chrétiens ont encore tendance à ne pas vouloir l'admettre. Récemment encore, Dominus Iesus n'accordait à Israël aucune place particulière dans l'histoire de la Révélation divine, confondant le judaïsme avec la masse des religions non-chrétiennes. Quant au document de la Commission biblique pontificale publié en novembre 2001, il a certes le mérite de poser la question si importante de savoir si « la façon dont le Nouveau Testament lui-même présente les juifs n’a […] pas contribué à créer une hostilité contre le peuple juif, qui a fourni un appui à l’idéologie de ceux qui voulaient anéantir Israël », mais il conclut finalement par la négative.
Reprendre dans les pages qui suivent les récits évangéliques de la Passion, rédigés entre 80 et 100, donc au moment de la rupture entre juifs et chrétiens, va permettre de montrer que l'antijudaïsme y est pourtant déjà présent, et que la machine infernale qui a abouti à la Shoah, au terme de dix-neuf siècles de haine et de persécution, au moins de condescendance et d'exclusion, y est déjà toute montée#. Jules Isaac, voici plus d'un demi-siècle, l'avait souligné. Démêler alors cet antijudaïsme des auteurs des Évangiles de l’authentique foi chrétienne révélée dans l'Évangile s’impose d’autant plus que la lecture de ces textes par les chrétiens a été dans l’histoire encore plus hostile aux juifs. Combien de prédications pascales ont vitupéré le « déicide » des juifs ? Même dans un traité, plus réfléchi et donc plus modéré qu’un sermon toujours plus ou moins improvisé, saint Augustin, au tournant des IVe et Ve siècles, outrepasse les Évangiles en écrivant# : « Telle est la fin du Seigneur. Les Juifs le saisissent, les Juifs l’insultent, les Juifs le garrottent, les Juifs le couronnent d’épines, le déshonorent de leurs crachats, le couvrent d’opprobres, le clouent sur la croix, le percent d’une lance et finalement l’ensevelissent. » Voilà attribué aux seuls juifs tout ce qui, dans les récits évangéliques eux-mêmes, était commis par les Romains !

Des Judéens aux juifs et à Judas : l'Évangile de la réprobation et de l'exclusion

Une remarque préalable s’impose. Proposer une lecture critique des aspects antijudaïques des Évangiles ne revient pas nécessairement à saper les fondements de la foi chrétienne, pour peu que l’on consente à considérer que ces textes présentent en fait, tout particulièrement lorsqu’ils racontent la Passion de Jésus, une véritable mise en intrigue d’un événement qui relève tout autant de la foi que de l’histoire : le salut en Jésus de Nazareth, le Seigneur. Les faits peuvent s’enchaîner différemment selon les Évangiles, voire être différents. Estimer tels ou tels d’entre eux arrangés, ou même inventés, ne vient pas remettre en cause la vérité de l’événement. Les historiens du temps des Évangélistes n’avaient pas d’autre souci que de rendre compte auprès de leurs lecteurs de cette vérité, et pour y parvenir, ils n’hésitaient pas à inventer des conversations privées ou des discours dont on n’avait rien conservé, voire des actions probables dont on ignorait tout. Et les Évangélistes, de même, dans leur œuvre rédactionnelle, n’ont été guidés que par leur compréhension (bien sûr dépendante du contexte et du climat mental) de la vérité qu’ils proclament. En ce sens, on saisira qu’inventer n’est pas mentir, bien au contraire, dans la mentalité du temps, ce serait souvent témoigner. Cela admis, on est en mesure d’aborder cette mise en intrigue avec l’esprit critique nécessaire, sans craindre pour autant de bousculer les réalités de foi auxquelles les Évangiles rendent témoignage.
Jacob-Israël a eu douze fils, parmi lesquels Juda, dont descend la principale des tribus d’Israël. Le territoire dévolu à cette tribu porte son nom (en grec Ioudas), qui désigne aussi le royaume du Sud, dont la capitale est Jérusalem. À l’époque hellénistique, cette région s’appelle la Judée (en grec Ioudaïa). Tout naturellement, ses habitants sont les Judéens (Ioudaïoi). Mais dans les Évangiles, le même terme en vient à s’appliquer aussi aux juifs, dans des passages souvent réprobateurs. La rupture est déjà en grande partie effective. Les juifs sont présentés — et donc perçus ? — comme différents des chrétiens. Il est à noter qu’au même moment le nom propre Ioudas est également porté par l’apôtre Judas (le s final qui le distingue du Juda vétéro-testamentaire n’est qu’une convention orthographique française).

1. Que disent des juifs les Évangiles ?
La culpabilité des juifs dans la mort de Jésus n’est toutefois pas posée dans les mêmes termes d’un Évangile à l’autre. Les choses semblent se radicaliser avec le temps. L’Évangile selon Marc, le plus ancien, met ainsi surtout l’accent sur le rôle tenu par « les grands prêtres, les Anciens et les scribes », formant « le Sanhédrin tout entier » (Mc 15, 1). Si « la foule » préfère voir Barabbas libéré par l’autorité romaine, c’est « excitée par les grands prêtres », et sans rien dire alors contre Jésus (Mc 15, 11).
L’Évangile selon Luc, quelques années plus tard, veut mettre davantage en accusation l’ensemble des juifs, sans employer ce terme collectif, mais en faisant comparaître devant Pilate « les grands prêtres et les chefs et le peuple » (Lc 23, 13). Il est aussi le seul à dire que les gardes d ‘Hérode ont revêtu Jésus d’un vêtement éclatant (Lc 23, 11). La réponse à Pilate qui leur offre de libérer Jésus est très violente : « Ils poussèrent des cris tous ensemble, disant : À mort cet homme ! Mais relâche-nous Barabbas. » (Lc 23, 18) On peut donc avec Jacques Schlosser insister sur l’intention de Luc de « renforcer considérablement la charge […] contre Israël dans son ensemble »# : « On ne peut guère échapper à l’impression qu’en Lc 23, 1-25, Israël est tout entier solidaire dans son opposition irréductible à Jésus. » Le contraste avec Marc est flagrant.
Un constat similaire vaut pour l’Évangile selon Matthieu : Roland Meynet remarque que les ajouts propres à Matthieu, comme l’intervention de la femme de Pilate ou le lavement de ses mains par le gouverneur et la prise de responsabilité de « tout le peuple » (« Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! », Mt 27, 25), « ont évidemment pour fonction d’atténuer la culpabilité du païen et, au contraire, d’aggraver celle des juifs »#.
Dans l’Évangile selon Jean, l’appellation collective « les juifs » renforce encore la charge, surtout quand, Pilate ayant dit aux grands prêtres et aux gardes « prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le, car moi je ne trouve en lui aucun motif de condamnation# », il est noté : « Les juifs lui répondirent : Nous avons une Loi, et selon la Loi il doit mourir parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » (Jn 19, 6-7) Et après la mort de Jésus, lorsque Joseph d’Arimathie vient demander à Pilate d’enlever le cadavre, il est précisé dans le seul Évangile selon Jean qu’il était « disciple de Jésus, mais caché par peur des juifs » (Jn 19, 38)
Dans certains passages de Jean, il faut noter que la polysémie joue encore à plein : lorsqu’il est dit que « les Ioudaïoi » ont crié à Pilate « crucifie-le », il faut tout à la fois comprendre qu’il s’agit des Judéens (puisqu’on est à Jérusalem) mais aussi des juifs (puisque vers 90 ceux-ci diffèrent des chrétiens). On serait même tenté de considérer que la connotation négative du terme provient de l’antagonisme qui existait du temps de Jésus entre Galiléens et Judéens. Ces derniers étaient volontiers condescendants, voire méprisants, à l’encontre des premiers. Au moment du triple reniement, Pierre se voit suspecter par une servante d’être justement un proche de Jésus à cause de son accent. Qu’en retour les Galiléens aient pensé et surtout dit du mal des Judéens, cela ne fait aucun doute. Et qu’on s’en soit souvenu, de manière confuse, plusieurs décennies plus tard, voilà qui est probable. Or, rappelons-nous que parmi les disciples, il était un Judéen, un seul : Judas l’Iscariote.

2/ L’apparition de Judas
De fait, une même évolution est repérable à propos de Judas. C’est là encore l’Évangile selon Jean qui le charge le plus, jusqu’à montrer Satan entrer en lui au moment de la Cène (Jn 13, 27), ce que ni Marc ni Matthieu ne disent, cependant que, chez Luc, le fait est donné sans rapport avec la Cène (Lc 22, 3). Si dans les Évangiles selon Marc et selon Matthieu, Judas marche avec le groupe venu pour arrêter Jésus (Mc 14, 43 et Mt 26, 47), dans Luc, déjà, il « vient devant eux » (Lc 22, 47), et dans l’Évangile selon Jean c’est lui qui « a pris la cohorte et des gardes de la part des grands prêtres et des pharisiens » (Jn 18, 3)…
Quant aux circonstances de la trahison, elles posent problème. En 1955, Marcel Pagnol déclare dans la préface de sa pièce Judas : « Du point de vue policier, des spécialistes (dont un juge d’instruction) m’ont dit : C’est une affaire qui ne tient pas debout, et il doit y avoir autre chose#. » Quelle était la nécessité du baiser au jardin des Oliviers, puisque, personnage public, Jésus est évidemment connu de ceux qui viennent l’arrêter ? Et que faire de ce qui est dit de l’argent, et qui n’est que la reprise d’un passage du prophète Zacharie, y compris la restitution du salaire aux grands prêtres en « jetant les trente pièces à la maison du Seigneur » (Za 11, 13) ?
Or, il faut noter que dans les textes néo-testamentaires les plus anciens (plus anciens que les Évangiles), c’est-à-dire dans les Épîtres de l’apôtre Paul, il n’est jamais fait mention de Judas, ni même d’un apôtre qui aurait trahi le Christ et se serait ensuite suicidé. C’est au contraire « aux Douze » que, conformément à ce qu’on lui a enseigné, Paul rapporte que le Ressuscité est apparu. L’élection de Matthias, apôtre de substitution, figurant au début des Actes des Apôtres, placée d’ailleurs après l’Ascension, est totalement absente des épîtres des années 50 et 60. Même dans les Évangiles, la mort de Judas ne fait pas l’unanimité. Seul Matthieu parle du suicide par pendaison (Mt 27, 5), ce qui est une reprise de la mort d’Ahitophel, seul cas de suicide dans la Bible hébraïque (2 S 17, 23), alors que dans les Actes des Apôtres, suite de Luc, il « tombe en avant, s’ouvre par le milieu, et ses entrailles se répandent toutes » (Ac 1, 18), en subissant ainsi symboliquement le sort promis aux impies qui n’ont pas compris le Juste dans le Livre de la Sagesse (Sg 4, 19). Dans l’Évangile selon Luc, lors de la Cène, et alors que Judas est censé être parti, Jésus promet aux apôtres : « Vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël », comme s’il s’adressait toujours « aux Douze » (Lc 22, 30) : et si l’Évangile conservait ici mémoire du fait qu’aucun apôtre n’a trahi# ? On penserait de même qu’aucun apôtre ne s’est suicidé après la mort de Jésus.
De fait, ce n’est qu’au moment de la rupture avec les juifs que les chrétiens se mettent à évoquer Judas, figure emblématique tout à la fois du Judéen, on l’a dit, et du juif, au sens désormais de l’adversaire, adepte d’une religion que l’on commence à ressentir et à présenter comme différente. Ioudas Ioudaïos.
Cela étant compris, la figure de Judas, enfin débarrassée de sa gangue d’antijudaïsme, peut incarner un type universel. On sera dès lors sensible à sa forte charge symbolique dans des Évangiles désormais lus sans haine de l’autre. Ainsi, dans son roman Judas, Lanza del Vasto a pu insister sur la dimension spirituelle de l’épisode en mettant en lumière le parallèle des attitudes de Pierre et de Judas au moment de la Passion# : l’un comme l’autre ont trahi le Christ. Et dans le roman, ce n’est pas seulement comme dans l’Évangile selon Luc, Pierre dont Jésus croise le regard, mais aussi Judas. Mais si le premier sait alors accepter le pardon divin, pleurant sur son péché et par là parvenant à ne pas en être prisonnier, le second s’enferme encore davantage dans son sentiment de culpabilité, jusqu’à ne plus être capable de vivre#. En 1955, Marcel Pagnol a constaté# : « ces textes sacrés furent écrits par des hommes qui n’étaient pas encore des saints. » En 1939, Lanza del Vasto, quant à lui, en postulait malgré tout l’inspiration divine. D’autres pourraient estimer trouver ici l’indice que, décidément, Dieu sait écrire droit avec des lignes courbes.

L'invention de Barabbas, ou l'Évangile de la haine

Tout autant que le personnage de Judas, celui de Barabbas pose bien des problèmes. La foule se voit offrir par Pilate, à l’occasion de la Pâque, la possibilité de lui demander la libération d’un prisonnier. La procédure n’est attestée nulle part ailleurs, et elle est hautement improbable compte tenu du droit romain et de la manière dont les Romains administraient leur Empire. Et plutôt que le nom de Jésus, que Pilate suggère, c’est celui de Barabbas qui retentit. « Libère-nous Barabbas ! ». Mais qui est ce Barabbas ? Que nous en disent les récits évangéliques successifs ?
Dans l’Évangile selon Marc, on le montre « enchaîné », tout comme Jésus (Mc 15, 1 et 7), et on précise : « avec les émeutiers qui avaient commis un meurtre dans l’émeute » (sans qu’on précise laquelle). Rien n’indique ici que Barabbas ait participé à l’émeute, encore moins qu’il en ait été l’un des organisateurs ou des leaders. L’Évangile selon Luc est sur ce point plus ambigu : « Celui-ci [Barabbas] avait été jeté en prison pour une émeute arrivée dans la ville et un meurtre » (Lc 23, 19). La syntaxe grecque, ici, laisse planer (volontairement ?) un doute, et au lieu de « pour une émeute […] et un meurtre », on pourrait choisir de traduire par « à la faveur d’une émeute et d’un meurtre ». L’Évangile selon Matthieu, lui, croit inutile de préciser les circonstances : « Or, ils [les Romains] avaient alors un prisonnier fameux, dit Barabbas. » (Mt 27, 16) Tellement fameux, au reste, qu’on n’en sait rien de plus que ce que les autres Évangiles en disent… Or, Jean s’écarte de Marc et Luc, ignore émeute et meurtre, et informe : « Barabbas était un brigand. » (Jn 18, 40)
Ces données prennent sens si on leur ajoute que dans certains manuscrits anciens de l’Évangile selon Matthieu, le nom complet du personnage est Jésus Barabbas. Or, quel intérêt des copistes auraient-ils eu à rajouter au texte cet élément de confusion ? Il faut estimer (c’est un principe de critique des sources) que cette variante « plus difficile » doit être authentique, et qu’au contraire les copistes ont ensuite préféré occulter un mot qui leur faisait difficulté. Et à quel point ! Puisque Bar Abba peut fort bien se traduire par Fils du Père (or, d’après l’Évangile selon Marc, c’est justement par ce dernier terme, l’équivalent de « papa » en araméen, que Jésus s’adresse à Dieu). Dès lors, voici la foule criant au gouverneur romain : « Libère-nous Jésus Fils du Père ! » Avec Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, on est en droit de se demander si « Jésus et Barabbas ne seraient pas à l’origine une seule et même personne »#. On peut toutefois ne pas les suivre dans leur conclusion que le « Jésus historique » aurait été un Barabbas prêt à mener la lutte contre l’occupant romain au nom de la religion (ce que dans le langage de l’époque, on appelle un zélote). Certes, il y a la mention de l’émeute, et cette accusation à laquelle Pilate tient malgré l’avis des grands prêtres (Jn 19, 9) : Jésus est condamné parce qu’il a été « le roi des Juifs ». Mais cela nous renvoie sans doute aux craintes de l’occupant romain, non à la vérité de l’action de Jésus, qui avait annoncé sa mort et imaginait sans doute qu’il finirait lapidé dans cette « Jérusalem qui tue ses prophètes ». Pilate, bon gouverneur, veille à éliminer toute occasion même simplement probable de troubles. Le plus ancien des Évangiles, celui de Marc, et encore celui de Luc, donnent à voir un « Barabbas » arrêté avec des émeutiers, à la faveur d’une émeute, comme si la répression romaine avait procédé par extension, afin d’éradiquer tout risque ultérieur.

Récit plausible de la mort romaine du rabbin et prophète Jésus de Nazareth

Mais s’il ne s’agissait pas de transformer, comme le supposent les auteurs de Corpus Christi, un Jésus violent en Jésus « chrétien » dont « le Royaume n’est pas de ce monde », qu’est-ce qui aurait bien pu pousser les Évangélistes à inventer de toute pièce le personnage de Barabbas ? Peut-être la persistance d’une tradition, dérangeante dans le contexte antijudaïque de la rédaction des Évangiles : le souvenir qu’après l’arrestation de Jésus de Nazareth, les habitants de Jérusalem s’étaient rassemblés sous les fenêtres du gouverneur romain et avaient crié d’une seule voix, et peut-être à plusieurs reprises : « Libère-nous Jésus Fils du Père ! » Souvenir dérangeant ? Plutôt incompatible avec la rupture entre l’Église et la Synagogue. Et à ce titre, proprement incompréhensible pour les chrétiens rédacteurs des Évangiles. Une telle hypothèse relève dans la démarche historique du domaine du plausible, une catégorie inévitable dès lors que les sources directes et irréfutables manquent pour une connaissance sans ombre du passé étudié. Elle révèle d’un jour cru la distance parcourue en quelques décennies, et la spirale de l’anathème réciproque. Elle confirme tout ce que Jules Isaac avait pressenti face à ces récits du procès de Jésus qui ne satisfaisaient pas en lui l’historien rompu à la méthode critique des sources et qui désolaient en lui le juif de très bonne volonté.
Reprenons pour finir ce que peut être un récit plausible de la mort du Christ. Le rabbin et prophète Jésus de Nazareth est allé jusqu’au bout de sa mission. Il a annoncé à ses disciples qu’il mourrait à Jérusalem. Il pense être mis à mort par les autorités religieuses, qu’il n’a aucun scrupule à malmener dans leur monopole spirituel et leurs profits économiques. N’agit-il pas en cela comme l’un de ces prophètes qui l’ont précédé ? Sitôt dans la ville, il va chasser du Temple les marchands d’animaux à sacrifier et les changeurs d’argent (parce que seul a cours pour les choses sacrées la monnaie du Temple). Mais voici que le peuple de Jérusalem l’accueille comme le Messie. Ce qui inquiète fort l’occupant romain, qui craint beaucoup l’exaltation politico-religieuse de la population à l’époque de la fête de la Pâque. Le gouverneur Pilate se déplace d’ailleurs exprès et s’installe dans la ville (qui n’est pas sa résidence habituelle) avec des troupes supplémentaires. Certains hauts dignitaires du Temple lui ont-ils signalé en Jésus un agitateur potentiel ? Ils ne l’ont certainement pas fait arrêter eux-mêmes : la population ne l’aurait pas admis. Et l’Évangile selon Jean ne parle pas d’une comparution devant le Sanhédrin. Le meilleur spécialiste actuel de la question, l’exégète Simon Légasse, a fini par estimer, après des années de recherches, que « le récit [qu’en donnent Marc, Matthieu et Luc] est une composition d’inspiration théologique, apologétique et polémique, mais qu’il ne décrit, en tant que procès ou séance, aucun fait réel# ». Ce sont les Romains qui ont arrêté Jésus, c’est le gouverneur romain qui a décidé de son sort. Ce dernier, ce faisant, a-t-il voulu débarrasser ses appuis dans la région d’un rival qu’ils trouvaient trop dangereux d’éliminer eux-mêmes, compte tenu de « ce peuple » dont ils craignaient les réactions ? Peut-être. Mais il est certain que Pilate avait de son côté d’excellentes raisons d’intervenir. Des raisons suffisantes à elles seules.
Il n’a pu qu’être alerté par des manifestations aussi publiques que l’entrée de Jésus à Jérusalem sous les acclamations de la foule ou l’esclandre que le prophète a fait au Temple. Et voici que survient une émeute. La ville et la région peuvent-elles basculer dans la révolte armée ? Oui, si celle-ci s’appuie sur la croyance dans la royauté messianique de ce prophète trop populaire. Alors, Pilate fait arrêter Jésus, et il le condamne à mort comme « Roi des Juifs ». Peu importe que Jésus n’ait en rien appelé à la révolte contre l’occupant, invitant au contraire à « rendre à César ce qui est à César », pour peu que l’acceptation de l’occupation n’occasionne pas l’infidélité religieuse (il faut en même temps « rendre à Dieu ce qui est à Dieu »). Peu importe que les zélotes n’aient pas trouvé leur compte dans un message plus spirituel que politique. Le Romain ne veut prendre aucun risque. Vis à vis de Rome, il ne peut pas se permettre d’en prendre. Et Jésus meurt crucifié entre deux des chefs des révoltés en puissance. L’un d’eux a-t-il compris juste avant de mourir que la vérité de Jésus dépassait, et de loin, ses entreprises trop humaines, trop violentes ? Son souvenir demeurerait alors dans les Évangiles à travers la figure du Bon Larron.

Que conclure donc de la responsabilité juive dans la mort de Jésus ? Si elle existe, elle ne concerne en définitive que quelques membres des élites sacerdotales. Encore n’auraient-ils pas agi contre Jésus à ce titre, mais en utilisant leurs bonnes relations avec l’occupant romain et contre le sentiment de l’ensemble de la population. D’ailleurs, le Credo se contente de dire de Jésus-Christ : « Il a souffert sous Ponce Pilate ». Vraiment, la foi chrétienne n'a nul besoin de la culpabilité juive.

Thierry Wanegffelen
Professeur à l’Université Blaise Pascal
(Clermont-Ferrand II)

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Message Publié : 21 Mai 2007 23:05 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges

Inscription : 09 Août 2005 17:34
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MERCI, Aspasie Mineure, pour cette contribution éclairante à plus d'un titre!

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Message Publié : 22 Mai 2007 7:14 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Inscription : 13 Jan 2007 20:12
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Merci.
Mais je viens de m'apercevoir que les nombreuses notes de l'article ont disparu dans mon copier-coller. Je le regrette car T. Wanegffelen y fournit ses références de manière circonstanciée. Je tâcherai de les donner cette semaine.

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 Sujet du message : Re: Le christianisme naissant
Message Publié : 23 Mai 2007 13:26 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 23 Mai 2007 12:42
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Belgarath a écrit :
Bonjour, je suis le petit nouveau du forum. Je ne dispose d'aucune compétence particulière en histoire : je suis biologiste de formation ! Mais depuis une dizaine d'années je me passionne pour certaines périodes de l'Histoire, notamment les origines du christianisme.

Dans la jungle de tout ce que l'on peut trouver, lire, ce n'est pas facile pour le néophyte de se repérer alors j'espérai obtenir une petite base sympa d'ouvrages ou de textes qui font relativement concensus autour de la question. Et ...si possible, à quoi peut on reconnaitre un ouvrage érroné ou quels sont ceux qui sont à bannir ?

AMHA, les thèses mythistes sont à bannir parce que leurs sources sont uniformes de part et d'autres de l'Atlantique. Elles puissent toutes dans Alfaric dont certains arguments sont des approximations. Par exemple, il affirme sans donner de preuve textuelle que les quelques historiens latins qui disent un mot d'un certain Christos sont toutes interpolées et il ne donne jamais la preuve de cette interpolation.

Accessoirement, lesdites thèses proviennent toujours du courant "fondamentaliste" de l'athéisme, celui qui considère que l'éradication des religions représenterait un progrès pour l'humanité en semblant ignorer que chaque bassin de civilisation a une ou plusieurs religions pour créer la communauté qui secrète la civilisation.

En ce qui concerne les origines du christianisme, on peut commencer par "histoire du Christianisme" ous la direction de Corbin au Seuil qui semble un "prospectus" pour l'encyclo du christianisme en N tomes sous la direction de Pietri chez Desclées. La faiblesse du bouquin est l'absence de bas de page et de bibliographie autre que l'encyclopédie citée ci-dessus.


On peut trouver moins cher : Aux origines du christianisme auteur : Collectif, Gallimard 2004 Folio.

Sur la séparation proprement dite entre judaïsme et christianisme, sûr que les épitres de Jean montrent un dissensus entre "les juifs" et ceux qui ne sont pas encore des chrétiens mais un courant eschatologique et messianiste du judaïsme. On peut consulter l'ouvrage "les enfances du christianisme" de Trocmé chez Noesis. Pour lui, la séparation commence avec l'introduction de la la "birkhat ha minim" dans la amida, c'est à dire de la bénédiction aux hérétiques, dont la tournure en fait une malédiction. Pour autant, l'ouvrage de Dan Jaffé Le Judaïsme et l'avènement du christianisme montre combien cette malédiction s'adressait à des groupes divers et pas seulement à ceux que l'avenir nommera chrétiens. C'est au CERF. Au CERF aussi, on peut creuser cette question de la séparation avec "le judéo-christianisme dans tous ses états", Actes du colloque de Jérusalem, 6-10 juillet 1998 ..., qui présente un nombre certains d'auteurs qui sont tous des fréquentations à cultiver. En particulier, Simon-Claude Mimouni qui pourrait être l'incarnation contemporaine de cette école juive du NT qui commence avec Klausner.

Tous ces auteurs pensent une séparation qui aurait lieu assez tôt et dont témoigne l'ouvrage de Justin de Naplouse "Dialogue avec Tryphon" (1erquart du 2ème siècle) dans lequel s'enacine le supersessionisme, c'est à dire l'idéologie du verus israël/vetus Israël. on consultera avc pofit aussi Étienne Nodet et Justin Taylor, Essai sur les origines du Christianisme, Éditions du Cerf, Paris, 2002 et # François Blanchetière, Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135), Paris, Éditions du Cerf, « Initiations », 2001,

La thèse de cette éole (qui comporte des chercheurs de l'école biblique et archéologique de Jérusalem, de l'EPHE, du CNRS mais aussi de Claremont en californie) est que cette séparation se pratique autour de 135, quand les pharisiens de Yabnah partent en exil en Perse.

L'école anglo américaine qui pourrait se définir par le groupe de chercheurs d'Oxford-Princeton réunis autour de Daniel Boyarin lors du colloque The ways that never parted. un bouquin en anglais et en allemand existe des actes de ce colloque. Il est actuellement introuvable et vaut plus de 100 euros. La thèse de cette école fait un parallèle entre l'école de Yabnah et les premiers conciles du 4ème siècle. Pour elle, le christianisme commence avec le processus de dogmatisation sous la direction de Constantin (que Paul Veyne désigne comme "président de l'Eglise chrétienne" puis de l'empereur tant qu'il y en a un dans l'empire d'Orient.

Quels sont les ouvrages à cultiver et ceux à bannir ?
AMHA, tous auteurs ayant un article dans l'un ou l'autre des recueils cités ci-dessus peuvent etre fréquentés et ceux qui n'y figurent pas peuvent être pris avec des pincettes.


Belgarath a écrit :
La récente publication de textes apocryphes brouille encore plus les pistes. Certains sont ils dors et déjà à mettre au placard ?


AMHA, il faut distinguer le processus de canonisation de l'histoire du christiansime débutant. Les textes dit "apocryphes" ne sont pas plus "faux" (et pas plus vrais non plus contrairement à ce que voudraient faire croire une troupe d'amateurs pas franchement éclairés réunis autour d'une paire de mythistes biens connus aux USA : Freke et Gandy) . Certains de ces textes furent lus durant les offices dans certaines églises orientales.

La constitution d'un canon reflète la création d'une autorité dont la légitimité est en voie de constitution. Pour le christianisme d'Occident, ce procesus se termine dans le milieu du 3ème siècle tandis que dans le christianisme d'orient, c'est la pratique comunautaire qui canonise et le processus s'achève vers le 6ème siècle.

Belgarath a écrit :
Je sais, je pose trop de questions qui n'ont pas de réponses. C'est comme ça que j'espère apprendre....

Merci,


S'il n'y a pas de réponse unique ou de consensus unique, une bibliographie existe qui donne des pistes interéssantes.

A votre service


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Message Publié : 23 Mai 2007 15:15 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges

Inscription : 09 Août 2005 17:34
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Localisation : Marseille
... et MERCI, Benoît Monfort, pour ce panorama bibliographique critique et précieux!

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Message Publié : 23 Mai 2007 19:55 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Inscription : 13 Jan 2007 20:12
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Localisation : Région parisienne
Effectivement merci !

Que signifie AMHA ?

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Message Publié : 23 Mai 2007 21:21 
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Hérodote
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Inscription : 04 Mai 2007 15:15
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Localisation : Lorraine
Aspasie mineure a écrit :
Que signifie AMHA ?


A Mon Humble Avis

Merci effectivement pour ces compléments bibliographiques. Vous savez vos débats me donnent le tournis :lol:


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