Mettons un terme à cette divergence et "re-vergeons". J'ai trouvé ce topic ancien passionnant, et un certain nombre de choses utiles peuvent être dites.
Tout d'abord, il convient de choisir une traduction qui respecte les temps des phrases. En effet, dans la langue hébraïque, le présent est seulement un instant, ou, s'il l'on veut le point de retournement du futur en passé, et la langue ne connaît réellement que deux modes d'expression des objets et des phénomènes, le futur ou le passé, ou encore l'inaccompli et l'accompli. Aussi, une phrase du style "Dieu dit: Que la lumière soit!" n'a pas la même signification que la phrase "Dieu dit : la lumière sera". Dans le premier cas, on pourrait interpréter que Dieu fait la lumière en même temps qu'il le dit, alors que dans le texte hébreu, il ne fait que concevoir que la lumière sera faite (au cours d'un processus)".
La deuxième remarque concerne la traduction du mot hébreu Elohim. Si l'on se réfère aux racines, El signifie "cela", "ce". C'est quelque chose d'indéfini dont on a besoin dans le cadre du langage et qui permet de désigner ce qu'on ne peut pas décrire ou identifier. Eloah est "ceci de cela", et malgré l'indéterminisme, on dispose là d'un degré supplémentaire de précision, comme si "ceci" pouvait être "montré du doigt", malgré qu'on ne peut toujours pas l'identifier, ni le décrire. Quant à Elohim, cela signifie littéralement "ceux de ceux-ci", et là, on s'aperçoit que nous manquons de perspective d'interprétation.
Or qu'est-ce qu'Elohim ? C'est le point de départ de la création, et donc la question revient à élucider ce qui peut bien être avant que l'on conçoive une chose. Avant d'être créée, une chose n'existe pas. Cependant, elle est malgré tout possible et on peut seulement la percevoir comme une possibilité d'être, car si elle était impossible, nul ne pourrait la concevoir. Cette possibilité de chose se trouve mêlée à toutes les autres possibilités de choses concevables. Et donc Elohim est l'état possible de toutes les choses à l'Infini, avant même qu'elles soient conçues, la phase de conception déterminant ensuite ce qui caractérise la nature de toute chose, et qui décrit et identifie chacune.
Aussi, si je veux concevoir une maison, je vais extraire du possible toutes les choses possibles nécessaires à élaborer mon schéma qui doit décrire parfaitement le produit fini. Toutes les possibilités utilisées seront examinées, déterminées et décrites exactement, puis ordonnées afin d'obtenir le schéma de ma création, ou le discours descriptif (Verbe). Ceci prévoit naturellement les phases de la construction effective de la maison. Qu'ai-je réellement besoin pour élaborer tout cela ? Il me faut des idées (les bonnes de préférence), une méthode ou façon de formaliser ces idées et enfin une matière première à transformer. Or la formalisation de ces idées en une création cohérente, et qui correspond au schéma, ne peut se faire que si je suis capable de lire ce schéma et de le projeter, afin de le perfectionner et de faire en sorte que le schéma descriptif soit le plus conforme au schéma idéal. C'est là le rôle de la conscience. La conscience vérifie, discerne et identifie chaque possibilité composante, chaque concept, puis relie ces différents composants abstraits en un schéma formel, puis ensuite la conscience peut présider à partir du schéma, à l'élaboration matérielle et concrète du produit créé.
Ce principe est général, voire même universel. En effet, si on remonte la logique en sens inverse et qu'on élimine de la Création toutes les choses créées, on abouti à vider complètement tout objet manifesté de façon concrète, on élimine aussi toutes les idées qui y étaient manifestées, et tout repart dans un état non manifeste, incréé, informe, mais possible.
Le chapitre 1 de la genèse est donc le principe universel de toute création, dans sa phase conceptuelle. Le chapitre 2 de la genèse est alors l'élaboration du schéma de synthèse, définissant la nature et le rôle de chaque composante, le chapitre 3 est la lecture et le déchiffrage du schéma par la conscience et le chapitre 4 démarre la phase de construction matérielle ou de réalisation concrète des choses créées.
Elohim désigne toutes les possibilités qui entrent en composition d'un projet de création, et comme Elohim est illimité et infini, on peut envisager que ce principe de conception, soit globalement celui de la manifestation de l'Infini lui-même, mais alors dans un état constamment inaccompli, puisque par déduction logique, l'Infini est ce qui est inépuisable. Et c'est d'ailleurs face à ce caractère inépuisable de la Possibilité universelle que l'on parle d'abîme, de puits sans fond des possibilités. Aussi, Elohim est un état Potentiel pur et comme il contient à l'infini tout ce qui est potentiel, on dit qu'il est tout-puissant. Toutes ces notions se retrouveront dans la suite du texte.
Aussi, si l'on examine le premier verset du chapitre 1, on peut lire :
Au commencement Elohim créait les cieux et la terre.
Dès le début on s'aperçoit que l'on a plusieurs cieux et une seule terre. Et bien, il est possible en effet, que la prise en compte de ce qui est abstrait et théorique soit le résultat de plusieurs étapes de conception et de schématisation, alors que le produit fini est destiné à être unique. Ainsi, pour une maison, je peux étudier plusieurs schémas, et même hiérarchiser ces schémas en les ordonnant, selon le référentiel de chaque schéma et selon le nombre des études qu'il me faut réaliser. Mais la maison construite sera comme un unique résultat matérialisé. Et donc, c'est là un autre principe universel, que face à une forme matérielle, il peut correspondre plusieurs étapes intellectuelles et conceptuelles. Il y a donc plusieurs cieux (niveaux de composition théorique et schématique) pour une seule forme réalisée et manifeste. Et notamment, les différents niveaux conceptuels partent nécessairement de rien, puisqu'au départ, rien n'était conçu. Ensuite, le verset indique que les étapes intellectuelles précèdent logiquement l'étape de réalisation formelle, et entre les deux, il y a le schéma global.
Seulement avant même d'extraire du possible toutes ces possibilités et d'entamer la conception proprement dite, la terre, c'est-à-dire le produit fini, n'est pas réalisée. L'aspect matériel du projet est encore informe et vide. Et cet état spécial de la matérialité de toute création est typique de l'état Elohim qui précède la conception. Ainsi, un sculpteur va devoir penser sa sculpture avant de la commencer réellement dans le bloc de matière. S'il shunte cette étape conceptuelle, il risque de devoir recommencer souvent l'étape matérielle, un peu à la façon de ces écrivains, qui, n'ayant pas toutes les idées en place, écrivent puis froissent ce qu'ils ont écrit. Au bout de plusieurs essais, soit ils abandonnent, soit ils réfléchissent. (Je reviendrais sur ce dysfonctionnement, car il explique le temps et notamment, pourquoi nous vivons toute une succession de vies matérielles).
Au commencement de chaque création, les possibilités nécessaires sont posées à travers plusieurs étapes de conception (les cieux) suivie d'une construction formelle et matérielle (la terre).
Et le verset 2 :
La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.
Et là, nous retrouvons ce néant existentiel, car avoir une matière première sans forme et vide de choses est l'état de la matière qui répond le mieux à représenter ce qui est possible. Et c'est un peu comme certains étudiants devant une feuille blanche. Il leur manque un point de départ. Avec une feuille blanche, on peut envisager de tout écrire et tout est possible. Mais quand on a commencé à écrire quelque chose, alors la suite du texte doit être judicieusement sélectionnée dans tout le possible restant et dépend de ce qui a déjà été écrit. Par ailleurs, tant qu'on a rien écrit, rien n'est clair et compréhensible, car tout ce possible est emmêlé et certains étudiants se perdent dans l'abîme des possibilités de leur imagination. Il leur manque un guide ou un début de quelque chose. Et c'est cela qui est exprimé par l'expression "et l'esprit sacré se mouvait au-dessus des eaux", sorte de mécanisme logique initial.
Le point de départ ne peut être qu'une opération logique. Je reviendrais sur cette notion plus tard. Les eaux sont le champ de conscience et en réalité, ce champ de conscience est soit orienté vers les idées conceptuelles et la théorie, soit vers la sensibilité des formes déjà manifestées. C'est pourquoi, par la suite, ces eaux seront séparées en deux.
Les deux premiers versets évoquent donc un état sans matière visible et sans forme manifeste, sans concept clairement établi et ordonné (notion de chaos logique), sans compréhension ou éclaircissement de ce qui va être créé et devenir éclairé et lumineux par la suite, incompréhension à laquelle se heurte une Possibilité sans limite, tel un abîme sans fond.
Nous avons là la point de départ de toute création et aussi de toute science.
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