Des archéologues allemands prétendent avoir retrouvé le palais de la reine de Saba en Éthiopie qui abriterait l'Arche d'Alliance. Mais cette découverte est loin de faire l'unanimité parmi les archéologues.
Citer :
ARCHÉOLOGIE • Le palais de la reine de Saba : le mirage éthiopien
Une équipe d'archéologues allemands affirme avoir retrouvé en Ethiopie les vestiges du palais de la reine de Saba. Entre mythe et sensationnalisme, le quotidien allemand Die Welt tente d'y voir plus clair.
Il se pourrait que toute cette histoire suive un scénario rédigé en plus haut lieu : la très sérieuse université de Hambourg a annoncé le 8 mai que ses chercheurs auraient retrouvé le palais de la reine de Saba. Qui serait aussi le lieu où aurait été un temps conservée l'Arche d'alliance.
Depuis 1999, le Pr Helmut Ziegert, de l'Institut d'archéologie de l'université, mène des fouilles sur le site d'Aksoum, dans le nord de l'Ethiopie. La fondation de cette cité, capitale politique et religieuse d'un empire du même nom, aurait été contemporaine de la naissance du Christ. Au IVe siècle, son élite se convertit au christianisme et devint un partenaire privilégié de l'Empire romain d'Orient.
Ziegert et son équipe s'intéressent aux débuts de ce lointain empire et de son Eglise orthodoxe éthiopienne, proche de l'Egypte copte. Sous le palais d'un dirigeant chrétien d'Aksoum plus tardif, les archéologues ont découvert une structure qu'ils datent du Xe siècle av. J.-C. Ziegert en est persuadé, "c'est le palais de la reine de Saba, par la datation, l'orientation et les détails que j'y ai trouvés". Menelek, le fils et successeur de la reine, l'aurait fait démolir pour ériger à la place un lieu de culte, avec un autel orienté selon la position de Sirius. Selon Ziegert, c'est ici qu'il aurait un temps conservé l'Arche d'alliance [qu'il aurait dérobée à Jérusalem], avant qu'elle ne soit placée dans l'édifice central du temple d'Aksoum.
Ces affirmations semblent d'autant plus incroyables que de nombreuses interrogations demeurent. Les plus anciennes découvertes archéologiques sur le site d'Aksoum remontent à la naissance du Christ. En quoi celles-ci peuvent-elles avoir un rapport avec une structure qui, mille ans plus tôt a priori, aurait été le lieu de résidence d'un souverain ?
Iris Gerlach, qui travaille à Sanaa pour le département Orient de l'Institut archéologique allemand, est sceptique. Selon elle, le centre religieux de Saba ne se serait pas trouvé en Ethiopie, mais de l'autre côté de la mer, à Sirwah [sur le territoire de l'actuel Yémen]. Vers 800 av. J.-C., des centres politiques se formèrent dans la région, dans les oasis alimentées par l'écoulement des eaux venues des hauts plateaux. Des travaux d'irrigation spectaculaires ainsi qu'un barrage géant permirent d'exploiter des terres pour des habitants de plus en plus nombreux. Ainsi les caravanes transportant vers le nord et la Méditerranée des marchandises de valeur comme l'encens pouvaient-elles se ravitailler. Ce négoce fut à l'origine de la richesse des "unificateurs des tribus", comme se nommaient les dirigeants de Saba, qui ne tardèrent pas à implanter des colons de l'autre côté de la mer [dans l'actuelle Ethiopie].
Mais, si Sirwah était bien la ville sainte des Sabéens, n'est-ce pas plutôt là, et non dans la lointaine Aksoum, que Menelek aurait fait entreposer la précieuse Arche d'alliance ? Iris Gerlach se refuse à tout sensationnalisme. Elle ne fait mention ni de l'Arche ni de la reine, entre lesquelles l'Ancien Testament établit un lien. Son collègue Ricardo Eichmann le dit lui sans détour : "La reine de Saba est aussi vraie que le roi Arthur."
Par leurs réserves vis-à-vis du témoignage de la Bible, les deux chercheurs rejoignent de nombreux théologiens et exégètes. L'Ancien Testament décrit effectivement la reine de Saba (premier livre des Rois, chapitre 10 et suivants) : "Elle arriva à Jérusalem avec une suite fort nombreuse, et avec des chameaux portant des aromates, de l'or en très grande quantité et des pierres précieuses." Mais, depuis, l'idée que les puissants rois David et Salomon puissent n'avoir jamais existé a fait son chemin. Vers l'an 1000 av. J.-C., Israël et surtout la Judée étaient plutôt des "potentats féodaux", suppose Christoph Levin, spécialiste de l'Ancien Testament. La visite d'une reine apportant des présents d'un pays riche et lointain relèverait davantage du lieu commun, emprunté au fonctionnement des grands empires qu'étaient l'Assyrie, Babylone ou la Perse, et qui aurait ensuite été repris dans la Bible. Dans ces empires, le fait que des porteurs de cadeaux et de tributs se présentent devant les grands rois était une réalité diplomatique et politique. Les rédacteurs de l'Ancien Testament, vers 500 av. J.-C., auraient aimé pouvoir se réclamer d'un passé aussi glorieux.
Mais revenons à l'université de Hambourg. La présentation de sa découverte sensationnelle a moins à voir avec la Bible qu'avec le Kebra Negest ("livre de la Gloire des rois") [datant du XIIe siècle], qui raconte pourquoi les Aksoumites commencèrent à ne plus vénérer "le soleil, mais le Créateur du soleil, le dieu d'Israël". Selon ce texte, Salomon et la Sabéenne auraient engendré Menelek, qui ensuite déroba l'Arche d'alliance à Jérusalem, la remplaça par un double et emporta l'original à Aksoum. En vertu de cette épopée nationale, tous les empereurs d'Ethiopie se firent couronner à Aksoum.
Les rastas ne sont donc pas les seuls à être convaincus de la véracité du Kebra Negest. L'idée que l'on puisse donc admirer en Ethiopie le lieu où le peuple d'Israël conserva autrefois le témoignage de son alliance avec Yahvé tient plutôt de la rumeur, une rumeur fondée sur des mythes religieux. Et elle ne rend guère service à l'archéologie.
Berthold Seewald
Die Welt
http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=85488