Nebuchadnezar a écrit :
Il est dit et représenté partout que le soldat romain a transpercé Jésus de sa lance pour vérifier qu'il était mort. ...
Quel texte en parle ? Ce n'est pas dans les Evangiles canoniques. Un apocryphe peut-être ?
Comme l'a fait remarqué Finrolf Sarmate, la réponse est bel et bien dans les évangiles :
- celui de Marc (Mc 15, 37-39) :
37 Mais Jésus, poussant un grand cri, expira.
38 Le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas.
39 Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! »
- celui de Luc (Lc 23, 46-47) :
46 Alors, Jésus poussa un grand cri : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » Et après avoir dit cela, il expira.
47 À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : « Celui-ci était réellement un homme juste. »
- celui de Jean (Jn 19,30-37) parle de soldats, pas explicitement du centurion, mais évoque bien le coup de lance :
30 Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit.
31 Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes.
32 Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus.
33 Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes,
34 mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau.
35 Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez.
36 Cela, en effet, arriva pour que s’accomplisse l’Écriture : Aucun de ses os ne sera brisé.
37 Un autre passage de l’Écriture dit encore : Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé.
Il apporte un élément intéressant, le verset 35 (
"Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez."), une expression qui, habituellement (de l'avis des spécialistes - chrétiens ou non- des textes religieux), signifie que le témoin en question est devenu chrétien par la suite. La tradition chrétienne suppose qu'il s'agit du centurion, mais le texte en question ne permet évidemment pas de conclure.
Les évangiles apocryphes ne nous apportent rien de nouveau. Il n'est pas fait mention du centurion dans l'
Évangile de Pierre, et les
Actes de Pilate ne donne qu'un détail supplémentaire assez insignifiant (11,1c-2a) :
À la vue de ce qui était arrivé, le centurion glorifia Dieu, disant : "Cet homme était un juste !". Et les foules qui étaient accourues pour assister au spectacle, s'en retournaient en se frappant la poitrine.
Le centurion rapporta les événements au gouverneur. Alors, Pilate et sa femme entrèrent dans une profonde affliction ...
La Légende Dorée (Tome 1, 348-349), mise par écrit par Jacques de Voragine, nous en dit un peu plus. Il est probable qu'elle reprenne des récits légendaires, dont certains fort anciens ... Elle nous apprend que le centurion s'appelait Longin, et qu'il se convertit au christianisme :
Longin fut le centurion qui, debout avec les soldats près de la croix, par l’ordre de Pilate, perça le côté du Sauveur avec une lance. En voyant les miracles qui s'opéraient, le soleil obscurci et le tremblement de terre, il crut en surtout depuis l’instant où, selon le dire de certains auteurs, ayant la vue obscurcie par maladie ou par vieillesse, il se frotta les yeux avec du sang: de N.-S., coulant le long de sa lance, car il vit plus clair tout aussitôt. Renonçant donc à l’état militaire, et instruit par les apôtres, il passa vingt-huit. ans dans la vie monastique à Césarée de Cappadoce, et convertit beaucoup de monde à la foi par sa parole et ses exemples. Ayant été pris par le gouverneur et refusant de sacrifier, le gouverneur lui fit arracher toutes les dents et couper la langue*. Cependant Longin ne perdit pas l’usage de la parole, mais saisissant une hache, il brisa. toutes les idoles en disant : « Si ce sont des dieux, nous le verrons. » Les démons étant sortis des idoles, entrèrent dans le gouverneur et tous ses compagnons: Alors se livrant à toutes sortes de folies, et sautant comme des chiens, ils vinrent se prosterner aux pieds de Longin qui dit aux démons : « Pourquoi habitez-vous dans les idoles? » Ils répondirent : « Là où le Christ n'est pas nommé ni son signe placé, là est notre habitatio. » Or, quand le gouverneur furieux, eut perdu la vue, Longin lui dit : « Sache que tu ne pourras être guéri qu'après m’avoir tué. » Aussitôt en effet que j'aurai reçu la mort de ta main, je prierai pour toi et t'obtiendrai la santé du corps et de l’âme. » Et à l’instant le gouverneur lui fit trancher la tête; après quoi, il alla, près de son corps, se prosterna avec larmes et fit pénitence. Aussitôt il recouvra la vue avec la santé et finit sa vie dans la pratique des bonnes œuvres.
saint Longin, le Bernin, 1635, basilique Saint-Pierre de Rome
Saint Longin est bel et bien vénéré dans les Églises catholique et orthodoxe (fêté le 16 octobre en Orient, le 15 mars en Occident), comme étant le centurion de l'Évangile, converti lors de la mort de Jésus. Ceci laisse à supposer que son nom pourrait avoir circulé dans les communautés chrétiennes naissantes, sans que l'historien puisse rien affirmer en la matière. Les détails rajoutés par les apocryphes et par la Légende Dorée ne sont pas pour autant des articles de foi pour les chrétiens, pas plus qu'ils ne sont pris au sérieux par les historiens. En revanche, les historiens de la littérature religieuse apprécieront la stratification et l'enrichissement progressif des textes et des légendaires.
Jean-Mic