Inscription : 13 Mars 2006 10:38 Message(s) : 2476 Localisation : Lorraine
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Sujet restitué (février 2007)
Citer : Karolvs Un vif débat a été ouvert en France par la loi de 2005 qui imposait une lecture historique positive de la colonisation française et le développement des recherches sur ce sujet. Il me semble que les lois "mémorielles" n'ont pas encore été abordées sur Passion Histoire.
La France compte actuellement 4 lois "mémorielles" :
- Loi du 13 juillet 1990, dite Loi "Gayssot" tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Première des lois mémorielles, elle a été adoptée dans un contexte de publicité des thèses du négationniste Robert Faurisson remettant en cause le génocide des Juifs et de leur exploitation par l’extrême-droite. Son but était de lutter contre ce négationnisme et de reconnaître la douleur des survivants et des descendants des victimes face à ces remises en cause.
Les lois suivantes ont repris ces objectifs de lutte contre la négation de faits historiques avérés (génocide arménien, esclavage, traite négrière) et de reconnaissance symbolique des mémoires blessées :
- Loi du 29 janvier 2001 dont l'article unique affirme que la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915
- Loi du 21 mai 2001, dite Loi "Taubira", tendant à la reconnaissance, par la France, de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité
- Loi du 23 février 2005, dite loi "Mekachera", portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés
La loi peut-elle aller jusqu'à établir une vérité historique ? Ces lois n’incitent-elles pas à une "guerre des mémoires" ? Ne remettent-elles pas en cause les frontières entre histoire et mémoire ? Faut-il les abroger ? Citer : Méandre "l'action politique consciente de son histoire ne doit pas se faire pour l'histoire."
Article 8 de la constitution française ; "Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit"
"Nul n'est sensé ignorer la loi."
Elles sont peut-être belles ces lois, mais elles n'ont rien à faire dans le pléthorique appareil législatif. On a laissé des gens et des chefs de partis politiques dirent des choses abominables pendant longtemps au nom de la liberté d'expression, et aujourd'hui on légifère à tour de bras sur des questions historiques... Si les députés légifèrent en dehors du cadre constitutionnelle, alors ces députés sont, aux yeux du peuple qui délègue son pouvoir à des représentants par cette même constitution, des "délinquants".
La loi "Gayssot" ne me semble pas assimilable aux autres initiatives. D'ailleurs, un délinquant est un récidiviste d'un point de vue juridique. Citer : Fabien de Stenay
Citer : - Loi du 13 juillet 1990, dite Loi "Gayssot" tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. Première des lois mémorielles, elle a été adoptée dans un contexte de publicité des thèses du négationniste Robert Faurisson remettant en cause le génocide des Juifs et de leur exploitation par l’extrême-droite. Son but était de lutter contre ce négationnisme et de reconnaître la douleur des survivants et des descendants des victimes face à ces remises en cause. A noter que Faurisson avait pu être condamné déjà bien avant cette loi. Le contexte de cette loi est, d'autre part, également celui de l'effondrement du communisme en Europe de l'Est. Citer : Méandre Art 18: Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a estimé, le 8 novembre 1996, que la France n'avait pas violé le paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en condamnant Faurisson sur la base de la loi Gayssot (cour d'appel de Paris, 9 décembre 1992).
D'ailleurs, la loi Gayssot apparaît être limite limite puisque les Nations unies s'y intéressent, les autres lois n'auront probablement pas le même retour.
Enfin, les dérives des lois qui concernent la liberté d'expression apparaissent, actuellement, avec plusieurs procès d'animateurs télé pour propos raciste. C'est tout le problème, faire la différence entre un vecteur de préjugés et un vecteur de racisme. Bref, ces lois sont démagogiques et elles n'ont pas lieu d'apparaître dans nos lois. Nos lois sont bien faites, mais pratiquement personne ne les connait véritablement bien. Citer : Karolvs
Citer : "l'action politique consciente de son histoire ne doit pas se faire pour l'histoire." Article 8 de la constitution française ; "Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit" "Nul n'est sensé ignorer la loi." Elles sont peut-être belles ces lois, mais elles n'ont rien à faire dans le pléthorique appareil législatif. On a laissé des gens et des chefs de partis politiques dirent des choses abominables pendant longtemps au nom de la liberté d'expression, et aujourd'hui on légifère à tour de bras sur des questions historiques... Si les députés légifèrent en dehors du cadre constitutionnelle, alors ces députés sont, aux yeux du peuple qui délègue son pouvoir à des représentants par cette même constitution, des "délinquants". La loi "Gayssot" ne me semble pas assimilable aux autres initiatives. D'ailleurs, un délinquant est un récidiviste d'un point de vue juridique. Méandre, je me perds dans les méandres de votre argumentation. De votre intervention ci-dessus, je comprends deux choses: 1. - vous estimez que la loi Gayssot est rétroactive et, par conséquent, inconstitutionnelle et que les députés qui l'ont votée sont des délinquants 2. - les 3 autres lois mémorielles sont d'une nature différente de la loi Gayssot.
Sur le 1er point, vous vous trompez. La loi Gayssot n'est pas rétroactive ; seules les personnes qui ont lu trop vite l'article de loi en question (et celles qui ne l'ont jamais lu mais qui répètent ce qu'ils ont entendu dire par ailleurs), croient cela.
Jugez-en par vous même : « Art. 9. – Il est inséré, après l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un article 24 bis ainsi rédigé : "Art. 24 bis. – Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l'article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l'article 23, l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. (…)" ».
Vous pouvez constater qu'il n'est pas écrit "ceux qui ont contesté…", mais "ceux qui auront contesté…". Il n'y a rien de rétroactif dans cet article. Concernant votre couplet sur les "députés délinquants récidivistes", je me bornerai à faire une remarque : ne transformons pas ce sujet de discussion en un "défouloir politico-propagandiste".
Sur le second point, en revanche, vous avez raison : il y a 3 sortes de lois dans ces 4 lois mémorielles :
- la loi Gayssot crée un délit, la négation du génocide des Juifs, et prévoit des sanctions applicables par le juge. - la loi Taubira et la loi Mekachera ne créent aucu délit et aucune sanction, mais elles ont une fonction normative : elles énoncent des règles de droit qui posent des prescriptions : la loi Taubira permet par exemple aux associations de défense de la mémoire des esclaves de se constituer parties civiles dans des procès et la loi fixe les droits des Harkis dont celui de se défendre dans le cadre des lois déjà en vigueur contre les injures ou diffamations commises à leur encontre. - la loi du 29 janvier 2001, composée d'un article unique reconnaissant le génocide arménien de 1915, a une fonction uniquement déclarative. Elle matérialise un engagement symbolique.
Certains juristes estiment que les lois mémorielles, dans ce qu'elles ont de déclaratif, dénaturent la loi, dont le rôle est d'édicter des normes.
Citer : "Nul n'est cencé ignorer la loi." Elles sont peut-être belles ces lois, mais elles n'ont rien à faire dans le pléthorique appareil législatif. C'est un point de vue de juriste, que certains n'ont pas manqué de mettre en avant : les lois mémorielles sont essentiellement déclaratives ; elles dénaturent la loi, dont le rôle est d'édicter des normes, non de fixer la vérité historique.
Citer : Art 18: Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies.
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a estimé, le 8 novembre 1996, que la France n'avait pas violé le paragraphe 3 de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en condamnant Faurisson sur la base de la loi Gayssot (cour d'appel de Paris, 9 décembre 1992). Exact. Mais notre sujet n'est pas de savoir si la loi Gayssot est constitutionnelle ou pas, ni de refaire les procès de Faurisson, qui a déjà été condamné 4 ou 5 fois.
Citer : D'ailleurs, la loi Gayssot apparaît être limite limite puisque les Nations unies s'y intéressent, les autres lois n'auront probablement pas le même retour.
Enfin, les dérives des lois qui concernent la liberté d'expression apparaissent, actuellement, avec plusieurs procès d'animateurs télé pour propos raciste. C'est tout le problème, faire la différence entre un vecteur de préjugés et un vecteur de racisme. Bref, ces lois sont démagogiques et elles n'ont pas lieu d'apparaître dans nos lois. Nos lois sont bien faites, mais pratiquement personne ne les connait véritablement Hors-sujet. Les questions qui nous intéressent dans ce forum sont les suivantes : La loi peut-elle aller jusqu'à établir une vérité historique ? Ces lois n’incitent-elles pas à une "guerre des mémoires" ? Ne remettent-elles pas en cause les frontières entre histoire et mémoire ? Faut-il les abroger? Citer : Bergame A mon avis, et si je peux me permetre, Karolus, il y a un biais dans la manière dont vous posez la question. Vous dites : "Une loi n'a pas à fixer la vérité historique." C'est bien clair mais, de fait, aucune loi ne fixe aucune vérité. Ce n'est pas le rôle de la loi de définir la vérité, dans quelque domaine que ce soit. Le rôle de la loi c'est de fixer les normes reconnues institutionnellement.
C'est une nuance, mais je pense que dans le contexte, elle est importante. Car autrement dit, poser la question dans la perspective de l'histoire n'est peut-être pas si pertinent. Car il s'agit plutôt ici, je pense, de protéger ce qu'on estime être les droits d'une ou de plusieurs catégories de citoyens. Beaucoup plus que de vérité historique. A mon sens. Citer : Méandre Cher Karolus, votre argumentaire me convient.
Alors je répondrai précisément aux questions posées ;
La loi peut-elle aller jusqu'à établir une vérité historique ? Oui, mais seulement une fois pour la pire des horreurs.
Ces lois n’incitent-elles pas à une "guerre des mémoires" ? Oui et non, elles ont un terreau démagogique car elles sont ciblées sur des sensibilités communautaires qui n'ont rien à faire en justice. Mais je veux bien admettre que la constitution en partie civile semble une bonne chose.
Ne remettent-elles pas en cause les frontières entre histoire et mémoire ? Faut-il les abroger? Oui et oui sauf la première. Citer : Florian Personnellement, je suis assez opposé à toutes ces lois mais il me semble intéressant de verser au débat une contribution de Bernard-Henri Levy (dont je ne suis pourtant pas fan) qui a le mérite de faire réfléchir. C'est une tribune parue dans Le Monde il y a quelques semaines:
Citer : Arménie : loi contre génocide
Le négationnisme est le stade suprême du génocide. C'est vrai de l'Arménie comme de la Shoah. Il est essentiel que le législateur empêche l'effacement de cette mémoire
On dit : « Ce n'est pas à la loi d'écrire l'Histoire »... Absurde. Car l'Histoire est déjà écrite. Que les Arméniens aient été victimes, au sens précis du terme, d'une tentative de génocide, c'est-à-dire d'une entreprise planifiée d'annihilation, Churchill l'a dit. Jaurès l'a crié. Péguy, au moment même où il s'engage pour Dreyfus, parle de ce commencement de génocide comme du « plus grand massacre du siècle ». Les Turcs eux-mêmes l'admettent. Oui, c'est une chose que l'on ne sait pas assez : dès 1918, Mustapha Kemal reconnaît les tueries perpétrées par le gouvernement jeune-turc ; des cours martiales sont instituées ; elles prononcent des centaines de sentences de mort. Et je ne parle pas des historiens ni des théoriciens du génocide, je ne parle pas des chercheurs de Yad Vachem, ni de Yehuda Bauer, ni de Raoul Hilberg, je ne parle pas de tous ces savants pour qui, à l'exception de Bernard Lewis, la question de savoir s'il y a eu, ou non, génocide ne s'est jamais posée et ne se pose pas.
Il ne s'agit pas de « dire l'Histoire », donc. L'Histoire a été dite. Elle a été redite et archi-dite. Ce dont il est question, c'est d'empêcher sa négation. Ce dont le Sénat va discuter, c'est de compliquer, un peu, la vie aux insulteurs. Il y a des lois, en France, contre l'insulte et la diffamation. N'est-ce pas la moindre des choses d'avoir une loi qui pénalise cette insulte absolue, cet outrage qui passe tous les outrages et qui consiste à outrager la mémoire des morts ?
On dit : « Oui, d'accord ; mais la loi n'a pas à se mêler, si peu que ce soit, de l'établissement de la vérité car elle empêche, lorsqu'elle le fait, les historiens de travailler. » Faux. C'est le contraire. Ce sont les négationnistes qui empêchent les historiens de travailler. Ce sont les négationnistes qui, avec leurs truquages, brouillent les pistes. Prenez la loi Gayssot. Citez-moi un cas d'historien, un seul, que la loi Gayssot, sanctionnant la négation de la destruction des juifs, ait empêché de travailler.
C'est une loi qui empêche Le Pen ou Gollnisch de trop déraper. C'est une loi qui met des limites à l'expression d'un Faurisson. C'est une loi qui gêne les incendiaires des âmes type Dieudonné. C'est une loi qui, par parenthèse, nous évite des mascarades du type de ce procès du super-négationniste David Irving qui eut lieu à Londres il y a sept ans et où, précisément faute de loi, l'on vit juges, procureurs, avocats, journalistes à scandale, affairés à se substituer aux historiens et à semer, pour de bon, le trouble dans les esprits. Mais c'est une loi qui ne s'est jamais mise en travers de la route d'un seul historien digne de ce nom. C'est une loi qui, contrairement à ce que nous disent, je n'arrive pas à comprendre pourquoi, les « historiens pétitionnaires », les protège, oui, les protège de la pollution négationniste. Et il en ira de même avec l'extension de cette loi Gayssot à la négation du génocide arménien.
On dit : « Où s'arrêtera-t-on ? Pourquoi pas, tant qu'on y est, des lois sur le colonialisme, la Vendée, les caricatures de Mahomet ? Est-ce qu'on ne s'oriente pas vers des dizaines de lois mémorielles dont le seul résultat sera d'interdire l'expression des opinions non conformes ? » Autre erreur. Autre piège. D'abord, il n'est pas question de « lois mémorielles », mais de génocide ; il n'est pas question de légiférer sur tout et n'importe quoi, mais sur les génocides et les génocides seulement ; et des génocides, il n'y en a pas cent, ni dix - il y en a quatre, peut-être cinq, avec le Rwanda, le Cambodge et le Darfour, et c'est une escroquerie intellectuelle de brandir l'épouvantail de cette multiplication de nouvelles lois attentatoires à la liberté de pensée.
Et puis, ensuite, soyons sérieux : il n'est pas question, dans cette affaire, d'opinions non conformes, incorrectes, etc. ; il est question de négationnisme, seulement de négationnisme, c'est-à-dire de ce tour d'esprit très particulier qui consiste non pas à avoir une certaine opinion quant aux raisons de la victoire d'Hitler ou des Jeunes-Turcs, mais qui consiste à dire que le réel n'a pas eu lieu. Pas de chantage, donc, à la tyrannie de la pénitence ! Arrêtons avec le faux argument de la boîte de Pandore ouvrant la voie à une inquisition généralisée ! Le fait que l'on punisse le négationnisme antiarménien n'impliquera en aucune façon cette fameuse prolifération, en métastases, de lois politiquement correctes.
On dit encore : « Attention à ne pas tout mélanger ; il ne faut pas prendre le risque de banaliser la Shoah. » Ma réponse, là-dessus, est très claire. Il est vrai que ce n'est pas pareil. Il est vrai que, et le nombre de ses morts, et le degré d'irrationalité atteint par les assassins, et le type très particulier de rapport à la technique qu'implique l'invention de la chambre à gaz, il est vrai, oui, que tout cela confère à la Shoah une irréductible singularité. Mais, à cette évidence, j'ajoute deux remarques.
Primo, ce n'est peut-être pas « pareil », mais le moins que l'on puisse dire est que cela se ressemble. Et le premier à le savoir, le premier à en prendre acte, fut un certain Adolf Hitler, dont on ne dira jamais assez combien le génocide antiarménien l'a frappé, fait réfléchir et, si j'ose dire, inspiré. Ce génocide arménien, ce premier génocide, le fut - « premier » - à tous les sens du terme : un génocide exemplaire et presque séminal ; un génocide banc d'essai ; un laboratoire du génocide considéré comme tel par les nazis.
Et puis j'ajoute, secundo, cette autre observation. Lorsque je me suis plongé dans la littérature négationniste touchant les Arméniens, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que c'est la même littérature, littéralement la même, que celle que je connaissais et qui vise la destruction des juifs. Même rhétorique. Mêmes arguments. Même façon, tantôt de minimiser (des morts, d'accord, mais pas tant qu'on nous le dit), tantôt de rationaliser (des massacres qui s'inscrivent dans une logique de guerre), tantôt de renverser les rôles (de même que Céline faisait des juifs les vrais responsables de la guerre, de même les négationnistes turcs expliquent que ce sont les Arméniens qui, par leur double jeu, leur alliance avec les Russes, ont fait leur propre martyre), tantôt, enfin, de relativiser (quelle différence entre Auschwitz et Dresde ? quelle différence entre les génocidés et les victimes turques des « bandes armées » arméniennes ?)
Bref. A ceux qui seraient tentés de jouer au jeu de la guerre des mémoires, je veux répondre en plaidant pour la fraternité des génocidés. C'est la position de Jan Patocka, le philosophe de la « solidarité des ébranlés ». C'était la position des pionniers d'Israël, qui, tous, se sentaient un destin commun avec les Arméniens naufragés. La lutte contre le négationnisme ne se divise pas. Laisser une chance à l'un équivaudrait à ouvrir une brèche à l'autre...
On dit enfin - et cela se veut l'argument définitif : « Pourquoi ne pas laisser la vérité se défendre seule ? N'est-elle pas assez forte pour s'imposer et faire mentir les négationnistes ? » Eh bien non, justement ! Parce que ce négationnisme anti-arménien a une particularité que l'on ne trouve pas, pour le coup, dans le négationnisme judéocide : c'est un négationnisme d'Etat ; c'est un négationnisme qui s'appuie sur les ressources, la diplomatie, la capacité de chantage, d'un grand Etat.
Imaginez un instant ce qu'eût été la situation des survivants de la Shoah si l'Etat allemand avait été, après la guerre, un Etat négationniste ! Imaginez leur surcroît de détresse s'ils avaient eu, face à eux, une Allemagne non repentante menaçant ses partenaires de rétorsions s'ils qualifiaient de génocide la tragédie des hommes, femmes et enfants triés sur la rampe d'Auschwitz ! C'est votre situation, amis arméniens ; et il y a là une adversité qui n'a, cette fois, pas d'équivalent et à laquelle je ne suis pas sûr que la vérité, dans sa belle nudité, ait assez de force pour s'opposer.
Un tout dernier mot. Vous vous souvenez d'Himmler créant, en juin 1942, un commando spécial, le commando 1005, chargé de déterrer les corps et de les brûler. Vous connaissez les euphémismes utilisés pour ne pas avoir à dire « meurtre de masse » et pour effacer donc, jusque dans le discours, la marque de ce qui était en train de s'opérer.
Eh bien, cette loi qui est celle de la Shoah, ce théorème que j'appelle le théorème de Claude Lanzmann et qui veut que le crime parfait soit un crime sans trace et que l'effacement de la trace soit partie intégrante du crime lui-même, cette évidence d'un négationnisme qui n'est pas la suite mais un moment du génocide et qui lui est consubstantiel, tout cela vaut pour tous les génocides et donc aussi, naturellement, pour le génocide du peuple arménien. On croit que ces gens expriment une opinion : ils perpétuent le crime. Ils se veulent libres-penseurs, apôtres du doute et du soupçon : ils parachèvent l'oeuvre de mort.
Il faut une loi contre le négationnisme parce que le négationnisme est, au sens strict, le stade suprême du génocide. Bernard-Henri Lévy
_________________ Tous les désespoirs sont permis
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