Nous sommes actuellement le 14 Mai 2024 7:21

Le fuseau horaire est UTC+1 heure [Heure d’été]




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 35 message(s) ]  Aller vers la page 1, 2, 3  Suivant
Auteur Message
Message Publié : 06 Mai 2007 13:28 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 16 Oct 2006 1:12
Message(s) : 177
Localisation : Paris et Toulouse
Sujet (à nouveau :lol: ) divisé de celui-ci

Vinc' a écrit :
Verchinine a écrit :
Toutes les sciences humaines ont besoin d'une perspective temporelle, et c'est en cela que je trouverais normal que tout soit plus ou moins sous la tutelle de l'histoire. Il est de ces guéguerres, des fois...

Je crois que vous vous lancez sur un terrain très dangereux ici. C'est ce que l'on a reproché fortement à Braudel et notamment Lévy Strauss. Cela serait alors une tentative impérialiste qui me paraît bien hasardeuse. Au nom de quoi estimer que les autres disciplines devraient être sous la tutelle de l'histoire

A la rigueur, l'ethnologie et la linguistique ont des contours scientifiques bien dessinés, encore que, pour la linguistique, je ne sais pas quel est le but scientifique exact de cette science. Etudier à un moment M la formation des langues, leur utilisation et mutation, par un corps social ou un groupe social donné, c'est aussi faire de l'histoire culturelle immédiate. En revanche, il est des domaines de recherche qui, selon moi, nécessite automatiquement un rattachement à une perspective historique large pour avoir un sens : les lettres par exemple. Savoir, comme j'ai pu l'entendre à une conférence de pré-colloque il y a quelques semaines, qu'on assiste à un retour prégnant de la présence augustéenne (Saint-Augustin) dans les écrits de La Rochefoucauld, Racine, et Madame de La Fayette, je trouve ça intéressant. Mais je ne peux m'empêcher de poser la question : "Et alors ?". Ces trois auteurs, avant d'être des écrivains hors pair, sont des hommes, et ce retour à l'augustinisme ne se conçoit justement que dans une recherche plus globale, à l'échelle totale des hommes, et à l'échelle d'un cadre chronologique donné. D'ailleurs, il est très fréquent que les chercheurs en lettres replacent une oeuvre dans un contexte historique : quel étudiant de L n'en a jamais fait l'expérience en Première et Terminale ?

Je ne crois qu'il s'agisse d'impérialisme. Il y a simplement un fossé entre une réalité épistémologique, et des querelles de chapelles qui sont, pour le coup, logiques, et même très intéressantes à étudier dans une perspective historique. Tout le monde est plus ou moins avide de créer sa propre branche, dès lors qu'elle diffère sur un bourgeon parmi les plus à l'extrémité, tout comme chacun est enclin à créer un parti politique dès lors qu'il est en contradiction sur un petit point. Volonté de puissance ? :roll:

_________________
L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 11:29 
Hors-ligne
Polybe
Polybe
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 13 Avr 2007 13:39
Message(s) : 67
Localisation : Isère
Verchinine, vous avez vraiment des arguments intéressants à avancer mais il mesemble que dans l'autre sens, l'histoire utilise aussi des sciences auxiliaires... Je crois que le mieux encore est une collaboration entre toutes ces disciplines, ce qui est loin d'être le cas :roll:


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 12:04 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 16 Oct 2006 1:12
Message(s) : 177
Localisation : Paris et Toulouse
Justement, les sciences auxiliaires sont des outils le plus souvent techniques, qui permettent au travail historien de faire un premier débroussaillage : paléographie, numismatique, etc. Mais les sciences auxiliaires n'ont pas de sens en soi : la numismatique, la paléographie sont indissociables elles aussi d'un rapport au temps. Elle participe à la compréhension globale des sociétés humaines.

C'est en ça qu'il n'y a pas vraiment impérialisme. Toutes les sciences humaines ont en commun d'avoir un rapport au temps, plus ou moins lointain selon les disciplines. Il s'agit moins de dire que l'histoire doit phagocyter ces disciplines que de dire que c'est presque à un "impératif épistémologique" que doit se faire la collaboration. Kant disait que "le temps et l'espace [étaient] les formes pures a priori de la sensibilité", et je crois que c'est sur la base de cette double division qu'il faut répartir les sciences humaines. Voilà pourquoi je suis enclin à penser que Lévi-Strauss a toujours eu raison d'opposer à "l'ailleurs temporel" de l'histoire son "ailleurs spatial" de l'ethnologie ; mais, en retour, c'est la raison pour laquelle je suis enclin à penser que la sociologie moderne ne tente que de faire gonfler artificiellement son ego en divisant superficiellement la notion de temps en passé / présent.

Oui, je sais, c'est l'optimisme du jeune étudiant. Mais je n'ai pas dit que je militais pour cet oecuménisme scientifique. :wink:

_________________
L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 15:16 
Hors-ligne
Polybe
Polybe
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 13 Avr 2007 13:39
Message(s) : 67
Localisation : Isère
Moi je reste sur le fait que l'histoire n'a pas avoir une position dominante sur les autres sciences humaines. Les autres sciences ont beaucoup de choses à apporter à l'histoire (sociologie, ethnologie, linguistique...) et inversement, l'histoire a beaucoup à apporter à ces sciences.

Ce sont tout de même des disciplines bien structurés avec leur cursus universitaire propre, il est impossible que les historiens ayent chambouler tout cela. Au final, tout le monde serait perdant car cela causerait beaucoup trop de désordres à mon sens.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 17:35 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 01 Mai 2007 11:29
Message(s) : 166
Localisation : Lugdunum
Glurps...
J'ai l'impression d'entendre ma belle soeur, MC en geochimie et geochronologie qui m'expliquait que seuls les géologues comprennent quelque chose dans la mesure où ils sont ceux qui ont le plus grand recul temporel...
Méfiance, l'histoire risque de devenir une sosu-discipline de la géologie !


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 19:09 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 05 Nov 2006 14:27
Message(s) : 135
Oui, l'histoire humaine est négligeable, ridicule à l'échelle des temps géologiques, à tel point qu'il est presque inutile de l'y soustraire, elle est trop insignifiante. C'est un bon exemple je trouve !
Donc bien sûr que des disciplines comme la sociologie, la numismatique, la littérature ont un rapport au temps, dans la mesure même où le temps est une donnée nécessaire de l'expérience humaine (cf ce cher Emmanuel !).
Mais en retour que serait l'histoire sans un rapport à la sociologie, à la numismatique, à la littérature ? D'une pauvreté rachitique. D'ailleurs en tant qu'étude stricte du temps humain (ce qu'elle n'est pas seulement), l'histoire peut apparaître plus pauvre qu'englobante. Heureusement que des disciplines qui se soustraient un tant soit peu au temps sont là pour l'étoffer !
La seule discipline qui pourrait renvendiquer (et à plus juste titre que l'histoire) cet "impérialisme" à mon avis, c'est plutôt la philosophie (qui intègre l'histoire autant que les disciplines scientifiques, la science politique, etc... mais sait aussi penser de manière universelle).
L'histoire est toujours tributaire d'un [i]présupposé[i] relativiste que la philosophie n'admet pas. Voilà pourquoi un "impérialisme" de la philosophie est bien plus fondé.
Mais bon, non seulement il n'est pas fondé dans les faits, mais je n'en vois pas l'intérêt même en théorie ;)

_________________
"L'insécurité, voilà ce qui fait penser."
Albert Camus


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 20:36 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 01 Mai 2007 11:29
Message(s) : 166
Localisation : Lugdunum
En relisant le message introductif je me demande sincèrement ce qui ne relève pas de "l'histoire culturelle immédiate".
Si vous ne voyez pas d'intérêt propre à la linguistique, je vous avoue que moi qui ne suis pas historien, je trouve cette notion d'histoire immédiate presque malsaine. Le temps présent est étudié par bon nombre de disciplines (sociologie justement, droit, psychologie sociale, science politique...) sans que l'histoire n'y apporte beaucoup plus. A vous relire, je me dis que tout peut être englobé sous le vocable "histoire culturelle immédiate", même les sciences dites "dures".
Pour finir sur la lingusitique, je crains que vous n'en voyez que l'aspect qui vous sert. Demandez à un orthophoniste de quelle manière il envisage la linguistique, et vous comprendrez vite que cette discipline ne se résume pas à la parenté des langues entre elles...Elle a une dimension médicale et psychologique très importante...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 20:45 
Hors-ligne
Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 13 Jan 2007 21:12
Message(s) : 576
Localisation : Région parisienne
J'adhère pleinement au propos de Plus Oultre.
Les exemples de la linguistique et de la littérature cités par Verchinine ne me semblent pas pertinents.
Etudier la structure et la construction d'une langue est un travail passionnant qui permet d'entrer dans un système de pensée, dans une manière de concevoir le monde en l'habillant de mots et de phrases. En ce moment même, on s'aperçoit que l'abandon de la grammaire dans les petites classes a créé un désastre pour les collégiens et lycéens actuels, dont le vocabulaire s'est appauvri, et qui ne savent plus exprimer clairement leur pensée. Et c'est désastreux pour toutes les matières (la compréhension d'un énoncé de maths, hein ? Et d'un sujet d'histoire ?). Et un grand nombre de sociologues donnent comme conséquence de cette destructuration grammaticale la destructuration de beaucoup de jeunes qui n'ont que la violence comme moyen d'expression.
Heu... je m'égare peut-être. Tout cela pour dire que la linguistique n'a pas besoin de l'histoire pour être une discipline scientifique à part entière, et si les contacts ou échange avec l'histoire sont enrichissants, l'inverse est valable aussi.

Pour la littérature, la problèmatique est sensiblement différente puisqu'on a affaire à l'oeuvre d'art. Or, l'oeuvre d'art ne se réduit en aucun cas à des courants de pensées historiques, elle a aussi une dimension "absolue" qui lui permet de traverser le temps et de rester actuelle, j'allais dire de rester "intemporelle" :D .

Evidemment, établir des cloisons étanches entre ces "matières" ou "sciences" et nier les apports des unes aux autres me parait le comble de l'inintelligence, mais ça n'entraine pas une tutelle de l'histoire ! :D

_________________
Ne parlez jamais sèchement à un Numide.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 20:48 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 01 Mai 2007 11:29
Message(s) : 166
Localisation : Lugdunum
Par ailleurs, je voulais ajouter que tout n'est que question de point de vue.
Pour un historien, le droit n'est qu'une "science auxiliaire" (comme vous les nommez) pour lui permettre de comprendre les rapports juridiques d'une société donné, dans un espace donné, à une période donnée. Cette aspect de ladite société n'étant qu'un aspect parmi d'autres.
Pour un juriste, l'histoire n'est qu'une science auxiliaire lui permettant de mieux appréhender une institution (au sens du Doyen Hauriou) en vigueur dans le droit positif...
Je rejoins par contre Plus oultre sur le "droit" à l'impérialisme dont pourrait se prévaloir la philosophie..


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 07 Mai 2007 23:20 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 16 Oct 2006 1:12
Message(s) : 177
Localisation : Paris et Toulouse
Aspasie mineure a écrit :
Etudier la structure et la construction d'une langue est un travail passionnant qui permet d'entrer dans un système de pensée, dans une manière de concevoir le monde en l'habillant de mots et de phrases.

C'est exactement le travail que fait l'historien. Etudier, par exemple, le langage verlan, ou l'évolution numérale des apocopes et élisions dans la langue française permet de déterminer à un instant T des structures de pensée propres à un groupe social ou à une société donnée. C'est YM Deshays qui donnerait le meilleur exemple avec les niveaux de conception du langage entre la langue anglaise et la langue française : beaucoup de mots français se forment par une abstraction conçue (ex : le luthier), alors que de nombreux mots anglais raisonnent par une transcription langagière d'une réalité plus "brute" (ex : guitar maker).

Ce qui a séparé l'histoire des autres sciences humaines, c'est sa "fin". L'histoire reste une discipline universitaire qui ne sert pas ou peu à d'autres fins, alors que la linguistique ou la sociologie ont cherché (avec réussite) à influer mécaniquement sur le monde actuel : l'ortophonie est un exemple, les ressources humaines en sont une autre.

Citer :
Pour la littérature, la problèmatique est sensiblement différente puisqu'on a affaire à l'oeuvre d'art. Or, l'oeuvre d'art ne se réduit en aucun cas à des courants de pensées historiques, elle a aussi une dimension "absolue" qui lui permet de traverser le temps et de rester actuelle, j'allais dire de rester "intemporelle"

Je reste peu convaincu de ceci, dans la mesure où l'oeuvre est indissociable de l'artiste et des conditions de production de l'oeuvre d'art. Et ces contingences matérielles que sont l'artiste, le matériau, et l'environnement de production rattachent automatiquement l'oeuvre d'art à un réel. Je conçois qu'il y ait de l'évasion à étudier le Misanthrope, l'intemporalité de ses thèmes, la perfection de la poésie, mais dans ce genre d'études techniques, on oublie souvent l'homme qui est derrière, et l'homme qui est derrière l'homme qui est derrière. :wink:

Pour la sociologie, le rapport qui s'établit à présent que l'histoire culturelle et des mentalités a le vent en poupe est le suivant : le passé à l'histoire culturelle, le présent à la sociologie. Je crois qu'il n'y a pas plus artificiel et arbitraire que cette inimitié de longue date. :wink:

Quant à la philosophie, elle pourrait être certes intéressante, mais elle ne résisterait pas, je pense, à un examen consciencieux des présupposés historiques. Quand Hegel bâtit sa philosophie de l'histoire et les rapports qu'entretiennent religion et groupement social, il part de la vie de Jésus. Or, au début du XIXe siècle, il ne dispose pas de l'apport de l'archéologie de pointe tel qu'aujourd'hui. Et dès lors, point par point, fil par fil, c'est tout un château de cartes qui pourrait s'écrouler.

Le mot d'impérialisme est exagéré. Les passerelles entre les sciences humaines, parce qu'elles participent à la connaissance des groupes humains et des sociétés, sont naturelles. Mais je suis encore enclin à penser que certaines disciplines (comme les lettres) ne tirent pas encore assez tout le suc qu'elles pourraient extraire. :wink: [/i]

_________________
L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 08 Mai 2007 9:28 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 01 Mai 2007 11:29
Message(s) : 166
Localisation : Lugdunum
Je suis au moins d'acoord sur le problème de la fin de l'histoire. Toute votre approche concernant "l'impérialisme de l'histoire" est d'ailleurs subordonnée à cette fin des sciences historiques. Votre approche des sciences auxiliaires est en effet une approche purement universitaire, qui se rapproche de ce que deux juristes (Chevallier et Loschak) ont appelé la "kleptomanie académique" de la prétention à la pluridisciplinarité.
Pour que l'histoire puisse être une science du présent, ne faut-il pas que l'historien comprenne que sa discipline n'est qu'un outil comme un autre, au même titre que les autres sciences (humaines ou non), dans la comprehension du réel. Je pense d'ailleurs que l'Université commence à le comprendre, puisque dans ma quête personnelle, je rencontre désormais beaucoup de master professionnel dont les enseignements me semblent viable en sortie (voir http://www.univ-artois.fr/francais/form ... e_mvp.html par exemple).
Pour terminer, vos analyses sur la philosophie et les lettres sont toutes empreintes de cette approche. Si vous ne voyez en Kant que quelqu'un qui risque de s'être planté car il n'avait pas toutes les données du problème, ou dans toute oeuvre littéraire que l'expression du contexte dans lequel elle a été écrite, je crains sincèrement que vous ne passiez à côté de quelque chose...


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 08 Mai 2007 11:53 
Hors-ligne
Thucydide
Thucydide
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 10 Juin 2006 13:43
Message(s) : 37
Verchinine a écrit :
Je reste peu convaincu de ceci, dans la mesure où l'oeuvre est indissociable de l'artiste et des conditions de production de l'oeuvre d'art. Et ces contingences matérielles que sont l'artiste, le matériau, et l'environnement de production rattachent automatiquement l'oeuvre d'art à un réel. Je conçois qu'il y ait de l'évasion à étudier le Misanthrope, l'intemporalité de ses thèmes, la perfection de la poésie, mais dans ce genre d'études techniques, on oublie souvent l'homme qui est derrière, et l'homme qui est derrière l'homme qui est derrière. :wink:

Bah dis donc, si selon toi une œuvre d'art quelle qu'elle soit ne s'explique que par son auteur, lire un roman ou regarder un tableau doivent te paraître bien fade… Je pense que vouloir enfermer l'art dans un tel déterminisme est vraiment une erreur, ça le limiterait à l'expression d'une individualité ou d'une société. Penses-tu par exemple que les poèmes de Baudelaire se limitent à l'expression du psychisme torturé de leur auteur ? Ou bien que Guernica n'est rien d'autre que le reflet des horreurs de la guerre d'Espagne ? Dans ce cas là comment pourrait-on apprécier des œuvres d'art dont les créateurs ont une sensibilité éloignée de la notre, je pense par exemple aux romans de Céline. Le personnage est détestable au vue des idées qui étaient les siennes, pourtant tout le monde sera d'accord pour dire que ces romans sont des chefs-d'œuvre de la littérature.
Une approche purement historique ou sociologique de l'art n'est pas fausse mais elle n'est pas suffisante car trop uniquement intellectualisante, s'y limiter revient à rater une dimension de l'art, celle qui fait que de tout temps un chef d'œuvre restera un chef d'œuvre, celle qui provoque ce que j'aurais envie d'appeler une émotion esthétique. C'est précisément là qu'est toute la différence entre une simple création et une œuvre d'art, la seconde s'élève au-dessus des explications historico-sociologico-psychologiques, émane d'elle une émotion particulière.

Verchinine a écrit :
Quant à la philosophie, elle pourrait être certes intéressante, mais elle ne résisterait pas, je pense, à un examen consciencieux des présupposés historiques. Quand Hegel bâtit sa philosophie de l'histoire et les rapports qu'entretiennent religion et groupement social, il part de la vie de Jésus. Or, au début du XIXe siècle, il ne dispose pas de l'apport de l'archéologie de pointe tel qu'aujourd'hui. Et dès lors, point par point, fil par fil, c'est tout un château de cartes qui pourrait s'écrouler.

Pour ce qui est de la philosophie, d'après moi la très grande différence qu'elle entretient avec l'histoire se trouve dans leurs points de vue respectifs. En effet la philosophie se donne une prétention universelle ce qui a pour conséquence de modifier son approche : il est évident qu'elle ne peut pas connaître tous les domaines du savoir, les autres disciplines dédiées à une champ du savoir plus restreint la surpasse sans aucun doute dans les domaines auxquels elles se restreignent. C'est pourquoi elle ne s'intéresse pas uniquement à la "réalité" ou à la "vérité", elle est plutôt une mise en perspective du discours, elle étudie les rapports qu'entretiennent les concepts.
Je pense par exemple à un sujet comme le "populisme", l'histoire parlera du populisme au XIXè siècle, ou bien du populisme dans l'URSS de Staline, bref elle ne parlera pas DU populisme mais DES populismeS. Et c'est exactement l'inverse pour la philosophie, qui elle cherchera à étudier le populisme en tant que concept indépendamment des conditions géographiques ou historiques.
Ca ne veut pas dire que ces deux disciplines soient condamnées à s'opposer, bien au contraire, les philosophes utiliseront les travaux des historiens dans leurs recherches et vice et versa, mais leur "point de vue", leur "angle d'attaque" restera différent.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 08 Mai 2007 14:56 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 16 Oct 2006 1:12
Message(s) : 177
Localisation : Paris et Toulouse
X-ray a écrit :
Votre approche des sciences auxiliaires est en effet une approche purement universitaire, qui se rapproche de ce que deux juristes (Chevallier et Loschak) ont appelé la "kleptomanie académique" de la prétention à la pluridisciplinarité.

Les sciences auxiliaires n'existent jamais comme tel, parce qu'elles ne sont que . Dans ma fac, le prof de paléographie est aussi prof de médiévale, de même pour celui de numismatique qui a aussi la casquette de prof d'histoire ancienne. L'un des seuls échappatoires d'indépendance de ces sciences auxiliaires, en prenant l'exemple de la numismatique, serait pour le collectionneur, l'antiquaire, ou le commissaire-priseur. On est assez loin des sciences humaines, ici.

Citer :
Pour que l'histoire puisse être une science du présent, ne faut-il pas que l'historien comprenne que sa discipline n'est qu'un outil comme un autre, au même titre que les autres sciences (humaines ou non), dans la comprehension du réel.

Cela voudrait-il dire que vous considériez qu'il n'y a pas que l'histoire qui est dépositaire de la notion de temps ? Si cela est, cela me semble bizarre . Car dans ce cas, je ne vois pas ce qui différencie au fond l'histoire de la sociologie. Les frontières sont plus clairement définies quand d'autres disciplines des sciences humaines ont une application plus "concrète", comme la géographie ou la linguistique, et ne sont pas des disciplines universitaires essentiellement intellectuelles.

Pour les oeuvres d'art, je n'ai pas dit, attention, qu'on devait abandonner l'étude artistique et esthétique d'une oeuvre. J'ai simplement dit qu'une fois cela étudié, se posait inévitablement la question du "Et alors ?". Derrière l'étude artistique, éthérée et intemporelle d'une oeuvre d'art, il y a une foule de questions qui surgissent. L'artiste est certes un homme unique, un génie, mais c'est pour moi une vision trop romantique de l'art. L'artiste est aussi pris dans un jeu de déterminisme à tous les niveaux (technique, idéologique, matériel, etc.) qui empreignent son oeuvre, et par-là même, constituent une source pour l'historien.

Je pense qu'il y a derrière l'étude chirurgicale d'une oeuvre, pour précise et érudite qu'elle soit, un énorme potentiel plus large qui l'ouvre aux sciences humaines, plus qu'elle ne l'est déjà, et qui passe justement par cette perspective. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut creuser par abandon : depuis la percée des Annalistes, de la Nouvelle Histoire, l'histoire se nourrit de tous les courants, de la perspective événementielle à une perspective plus globalisante. De même pour les lettres : la perspective artistique et stylistique d'une oeuvre est certes intéressante, mais il y a autre chose derrière, sans établir toutefois un rapport de subordination entre eux. De même enfin, étudier les caractéristiques, les réussites et les ratés du style gothique flamboyant méridional dans le Midi, c'est un champ de recherche très intéressant, mais il y a aussi derrière la question du "Pourquoi cela ?".

Quoi qu'il en soit, les prétentions oecuméniques de l'Histoire ne sont justement le fruit que de cette révolution épistémologique. Je ne crois pas que les frontières seraient floues entre certaines disciplines des sciences humaines si l'histoire n'avait pas connu la révolution des Annales, et les autres révolutions successives. C'est justement parce qu'elle a emprunté des éléments à d'autres sciences humaines qu'elle souhaite maintenant que ça soit systématique, ne trouvez-vous pas ?

_________________
L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 08 Mai 2007 15:00 
Hors-ligne
Plutarque
Plutarque
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 16 Oct 2006 1:12
Message(s) : 177
Localisation : Paris et Toulouse
Léo a écrit :
Je pense par exemple à un sujet comme le "populisme", l'histoire parlera du populisme au XIXè siècle, ou bien du populisme dans l'URSS de Staline, bref elle ne parlera pas DU populisme mais DES populismeS.

Oui, peut-être dans des monographies précises. Mais avec le concept d'histoire globale, entamé avec les Annalistes, et poursuivi par Le Goff, je crois justement que l'histoire tend maintenant à ne pas couper artificiellement le temps de l'histoire pour étudier certains concepts : Leroy Ladurie et son Histoire du climat, Ariès et ses pairs et son Histoire de la vie privée, Duby et L'histoire des femmes, etc.

_________________
L'histoire, c'est cool - Churchill
L'histoire, c'est tantôt du sucre glace, tantôt de la farine de blé - Citation perso


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
 Sujet du message :
Message Publié : 08 Mai 2007 15:09 
Hors-ligne
Modérateur Général
Modérateur Général
Avatar de l’utilisateur

Inscription : 20 Juin 2003 23:56
Message(s) : 8202
Localisation : Provinces illyriennes
Personnellement, je trouve le titre de ce sujet peu opportun... :?
Il n'y a que les sciences historiques pour s'occuper du "temps", de l'étalement temporel et chronologique ; si d'autres disciplines l'intègrent dans le cadre de leur réflexion respective ou afin de comparer divers champs d'étude, ce n'est qu'à titre d'exemple et non d'une analyse réflexive sur celui-ci.

Citer :
je crois justement que l'histoire tend maintenant à ne pas couper artificiellement le temps de l'histoire pour étudier certains concepts

Le temps de l'Histoire n'est pas "artificiellement coupé", mais ses bornes correspondent aux longueurs de certains mouvements, données - indirectement - par les sociétés humaines anciennes.

_________________
Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 35 message(s) ]  Aller vers la page 1, 2, 3  Suivant

Le fuseau horaire est UTC+1 heure [Heure d’été]


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 10 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB