Le Monde du 24-25 mai 2009 publie sa nécrologie sous la plume d'Olivier Christin :
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Historien de la Renaissance et des Réformes religieuses du XVIe siècle, Thierry Wanegffelen est mort, lundi 20 avril à Clermont-Ferrand, au terme d'une longue maladie. Né en 1965, issu d'un milieu étranger au monde académique, jeune agrégé sans être passé par les Ecoles normales supérieures, auteur rapidement reconnu sans avoir jamais enseigné dans une des grandes universités parisiennes, il rejoint en 1995 l'université de Clermont-Ferrand, où il restera jusqu'en 2006.
Sa carrière proprement dite commence en fait, après quelques articles prometteurs mais brefs, par un livre, Ni Rome ni Genève. Des fidèles entre deux chaires en France au XVIe siècle, paru en 1997 (Champion) et devenu presque sur-le-champ une référence obligée.
Cette somme retraçait la trajectoire de dizaines de théologiens, de clercs, d'humanistes, de lettrés qui n'avaient jusque-là jamais fait l'objet d'une étude systématique ou qui avaient été considérés comme des francs-tireurs atypiques et inconstants. Elle renouvelait l'histoire de la formation des confessions modernes, et plus précisément du calvinisme et du catholicisme. Elle rendait sa place à la foule des chrétiens indécis et inquiets, ballottés entre les orthodoxies rivales qui se constituaient, tentés de bricoler pour eux-mêmes, de simuler et de dissimuler leur foi, de changer de bord, parfois à plusieurs reprises.
STATUT SINGULIER
Ces chrétiens sans Eglise, ou plus exactement ces chrétiens incapables de se satisfaire des Eglises qui s'affrontaient devant eux sans répondre à leurs attentes spirituelles, ces vaincus de l'histoire, condamnés au silence et souvent aux fers et au feu, retrouvaient leur voix grâce au brio et à la sympathie de Thierry Wanegffelen.
Lui-même, croyant sincère, s'était successivement converti au catholicisme puis au calvinisme.
Thierry Wanegffelen laissera le souvenir d'un inlassable découvreur et lecteur de textes difficiles ou ambigus dans lesquels il savait déceler de subtiles inflexions religieuses. Au total, c'est tout un paysage religieux, infiniment plus complexe qu'on ne l'avait cru jusque-là, qui se dévoilait ici.
La suite confirmera le statut singulier que Thierry Wanegffelen s'était acquis par ce livre fondateur. Il alterne ainsi manuels (nouvelle édition avec Jean Delumeau du classique Naissance et affirmation de la Réforme, PUF, 1997) et livres de recherche (Une difficile fidélité : catholiques malgré le Concile en France, XVIe- XVIIe siècle, PUF, 1999). Il aborde tour à tour l'histoire de la tolérance (L'Edit de Nantes : une histoire européenne de la tolérance, XVIe-XXe siècle, Librairie générale française, 1998), l'histoire des grandes figures de la politique de pacification des troubles comme Michel de L'Hospital et Catherine de Médicis (Catherine de Médicis. Le pouvoir au féminin, Payot, 2005) et enfin l'histoire des femmes au pouvoir (Le Pouvoir contesté. Souveraines d'Europe à la Renaissance, Payot, 2008).
Mais la diversité des territoires parcourus en quelques années ne retire rien à la cohérence du projet inauguré avec Ni Rome ni Genève, dont l'intuition originelle est prolongée de livre en livre : écrire une histoire du sujet agissant dans l'histoire, des marges de manoeuvre que lui ménagent les contraintes du monde, des tourments que cette liberté même soulève chez celui qui veut agir en conscience.
Thierry Wanegffelen annonçait une biographie d'Elisabeth Ire et une réflexion sur la naissance du monde moderne : il faut espérer qu'il avait eu le temps de les avancer assez pour qu'ils voient prochainement le jour.
Olivier Christin historien, président de l'université Lyon-II.
http://www.lemonde.fr/carnet/article/2009/05/23/thierry-wanegffelen-historien-specialiste-du-xvie-siecle_1197143_3382.html#ens_id=1192584