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Message Publié : 28 Mai 2009 20:22 
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Tonnerre a écrit :
Vous êtes sûr de l'avoir lu, cet article qui selon vous "date ses questionnements sur le coût de l'Empire de 1956?"

Lisez les quelques extraits suivants, vous verrez que Marseille y dit clairement que la période considérée date de bien avant et que le bilan financier négatif des colonies a été une affaire de longue durée.

"Deuxièmement, si les colonies avaient exporté vers l'étranger plus qu'elles n'en importaient. Dans ce cas, elles auraient procuré à la France des devises qui lui auraient été utiles pour équilibrer sa propre balance des paiements avec l'étranger.
En fait, ni l'une ni l'autre de ces hypothèses n'a été réalisée. En longue durée,au contraire, les colonies ont accumulé à l'égard de la France des déficits commerciaux dont le montant mesure le volume des crédits que cette dernière a dû consentir pour leur permettre d'équilibrer simplement leurs comptes.

Et donc ?

On parle ici de jugements moraux. Vouloir y répondre par une argumentation financière est HS, et d'ailleurs détestable. C'est le principe du "bilan globalement positif" selon Georges Marchais.

De 1870 à 1914, la population de l'Afrique noire a été divisée par 2. (Marc Ferro - Le livre noir du colonialisme.) Pas seulement du fait des massacres -pourtant nombreux- ou de pratiques accroissant la mortalité (par la faim, notamment) mais aussi à cause de l'extension géographique de maladies endémiques ou importées.

Par exemple, le chemin de fer du Haut Congo, 800 km vers le nord depuis Brazzaville, a causé 500 000 morts : le chantier lui-même, certes, exploitation brutale et sans ménagement de la main d'oeuvre locale, mais aussi la dissémination d'une maladie qui jusque-là restait isolée dans le nord du pays. L'amélioration des communications...

Savoir si cette voix ferrée a davantage couté que rapporté à la France n'est pas le débat.

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Message Publié : 28 Mai 2009 21:19 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Pierma, l'objet de mes citations était simplement d'établir que Marseille avait bien soutenu dans son livre que globalement, économiquement, la colonisation n'avait pas été une bonne affaire pour la France; il ne s'agissait certainement pas d'affirmer qu'il a raison '(ce bilan est des plus complexes à établir, tout dépend de ce qu'on prend en compte, ou pas).
Encore moins d'affirmer que l'aspect économique seul comptait , et que l'aspect victimisation était secondaire! 8-| :rool:

Un extrait de la préface que Marseille a écrite pour le livre de Lefeuvre sur l'Algérie:

« Tordant le cou à une complainte, dont la répétition finit par être lassante, Lefeuvre démontre que la France a plutôt secouru l’Algérie qu’elle ne l’a exploitée. »

Peut-on être plus clair?


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Message Publié : 28 Mai 2009 21:59 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

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Pas plus partial en tout cas, mais avec lui, on le sait, au moins...


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Message Publié : 29 Mai 2009 7:02 
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J'ai un peu l'impression que nous nous éloignons du sujet. :-|
Même si cette digression est fort intéressante, elle nous ramène (à nouveau) vers le bilan et le jugement du colonialisme.
C'est un peu comme si ces "jugements moraux" qui retiennent notre esprit et nos pensées doivent être uniquement ceux qui ont crée une polémique...
Une simple remarque cependant que je souhaite faire et qui me chagrine toujours : lorsqu'un intervenant s'interroge sur la question de la viabilité du système colonial français et de son possible enrichissement sur le dos des colonies en utilisant des travaux d'historiens spécialistes de la question - et que son honnêteté et sa droiture ne peuvent être remis en question (bonjour Tonnerre ! :wink: ) -, certains se mettent à parler d'esclavagisme et du mauvais comportement de la France dans son expérience coloniale pour tenter de le prendre en défaut. Soit ! Mais, est-ce seulement le sujet ? Est-ce le manque d'arguments qui pousse à agir ainsi ?
Finalement, ces interventions presque hors-sujet illustrent fort bien ces "jugements moraux anachroniques".

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 29 Mai 2009 10:16 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

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Ces hors-sujets nous ont tous été amenés, non pas par des intervenants maladroits mais par les principaux protagonistes du débat public sur ces questions de jugements moraux anachroniques. Questions qui en réalité ne sont posées QUE dans un contexte de repentance et de demande de réparations en tous genres. Finkielkraut nous avait balancés sur le foot, Marseille nous ramène au bilan de la colonisation, et on n'en sort pas : le débat tel qu'il est posé en France n'a rien à voir avec un débat historiographique, c'est un débat politique, médiatique, émotionnel, où des protagonistes hargneux font flèche de tout bois pour étayer des parti-pris, ce qui est très loin d'une méthodologie d'historien rigoureux.

C'est à cause d'eux que ce fil n'arrive pas et n'arrivera pas à en sortir : cela reviendrait à débattre du pourquoi et du comment dans une espèce de contexte éthéré sans rapport avec la vraie problématique, les raisons d'apparaître de ces jugements et de ces anachronismes. M'est avis qu'il faudra, ou bien en prendre acte - et peut-être dans ce cas déplacer ce fil dans Géopolitique contemporaine - ou bien ne jamais avancer à force de "recentrer"...


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Message Publié : 29 Mai 2009 10:41 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Citer :
les raisons d'apparaitre de ces jugements et de ces anachronismes

sont pourtant bien simples : faire flèche de tout bois (comme vous avez bien dit) pour avoir raison.
Ou l'utilisation de l'histoire (partielle, le point de vue qui arrange la thèse) comme outil dialectique. C'est vieux comme la politique.

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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Message Publié : 29 Mai 2009 11:02 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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Citer :
coloniale pour tenter de le prendre en défaut. Soit ! Mais, est-ce seulement le sujet ? Est-ce le manque d'arguments qui pousse à agir ainsi ?


D'abord, je regrette le détournement de ce fil, pour lequel j'ai déjà présenté des excuses "royales" B) à Huyustus; j'ai essayé de revenir dans le sujet, mais le débat est reparti sur la polémique autour du bilan colonial.
En effet, duc de Raguse, on peut se demander si le fait de toujours ramener la discussion de cette question brûlante à des jugements moraux n'est pas l'expression d'un manque d'arguments.
J'irais même plus loin: réduire obstinément une question complexe comme celle du bilan de la colonisation à des schémas dualistes du type bien/mal-bons/méchants est la manifestation d'un profond désintérêt pour la recherche de la vérité historique, l'histoire n'intéressant qu'à titre d' instrument falsifié au service d'une démarche politique.
Je ne sais pas si la thèse de Marseille peut être considérée comme ayant été démontrée de façon définitive, probablement pas en fait. Mais je lui sais gré d'avoir fait un vrai travail d'historien basé sur des sources, des éléments factuels et quantifiables en dépouillant les comptes de près de 450 sociétés impliquées dans l'économie coloniale, d'avoir analysé les chiffres de la balance commerciale, des prix d'achat des matières premières par la métropole, des crédits, investissements et coûts divers, subventions déguisées, aspects monétaires etc etc au lieu de s'en tenir à des notions impressionnistes, et aux bons sentiments et jugements moraux qui ont pendant longtemps ont constitué l'essentiel du débat sur cette question.
Je lui sais gré aussi d'avoir eu le courage de briser un tabou en assumant et en publiant les conclusions qu'il a tirées de cette étude, conclusions qui allaient complètement à contre-courant de la vulgate progressiste en vigueur sur la question au moment où il a publié son livre.
Certes l'approche systématiquement néo-libérale suivie par Marseille a ses limites et est devenue avec les années un nouveau prêt à porter théorique qui, à son tour, à passablement paralysé la réflexion critique mais dans les années 80, son livre a vraiment renouvellé le regard porté sur le fait colonial.


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Message Publié : 29 Mai 2009 12:10 
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Vous m'avez bien compris tous les trois... :wink:
Nous sortons en permanence de l'historiographie ou de l'épistémologie de la question pour parvenir à un problème de société actuel (même si le second peut influencer le premier...).
C'est ce qui me dérange. De plus si le sujet avait été l'esclavage antique cela aurait été préférable, mais non il faut à nouveau tout ramener à la traite négrière.
Par ailleurs, nous ne plaçons que nos jugements personnels dans la balance, sans fonder notre analyse sur des ouvrages scientifiques.
Là encore, je pense que ce sujet aurait devantage sa place dans le forum géopolitique. Je laisse le choix à l'inititeur du fil de trancher. :wink:

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Message Publié : 29 Mai 2009 14:32 
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Grégoire de Tours
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Je suis désolé, mais moi, cela m'ennuie qu'on utilise le travail de J. Marseille dans le sens où Tonnerre -et d'autres, nombreux autres- prétendent l'utiliser. Je suis tout à fait d'accord avec Duc de Raguse, je me permets, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, de dire que je considère Tonnerre comme un interlocuteur particulièrement honnête et modéré sur ce forum, j'ai eu l'occasion de le vérifier, et ce n'est pas le cas de tout le monde. Mais là, je ne comprends pas.
Aussi, pour mettre les choses à plat une bonne fois sur cette question, je me propose de rapporter la synthèse de la conclusion de l'ouvrage de Marseille, qu'au moins on me dise si c'est moi qui ne comprends pas ce que je lis, ou si vraiment l'espace public et les discussions autour de ce thème -particulièrement chaud c'est évident- sont abreuvés de désinformation -certainement à l'insu de beaucoup de ses intervenants, j'en suis convaincu.

Voici donc le chapitre intitulé "Conclusion Générale" de "Empire Colonial et Capitalisme Français" (Point Histoire, Albin Michel, 1984) :
p.367 : Le chapitre commence par un rappel de la question auquel l’ouvrage souhaitait répondre : « Quelle fonction avaient assumée les colonies dans la croissance et les transformations structurelles du capitalisme français ? »
La réponse que Marseille propose dans ce travail est structurée en deux parties, qui correspondent à deux périodes.
Je cite le texte.

1ère période :
« De 1880 à 1930, une minorité de Français convaincus conquièrent et occupent un empire auquel la France ne croit pas. »
p.368 : Mais : « Si, dans sa grande majorité, la France ne croit pas aux colonies, le monde des affaires, lui, en a rapidement saisi l’intérêt. »
« Contrairement à la thèse aujourd’hui encore dominante, l’empire colonial est bien devenu, dès avant la Première Guerre Mondiale, un champ d’expansion privilégié du capitalisme français.
A une époque où le marché intérieur métropolitain fait preuve d’une extrême rigidité […] les colonies deviennent la « béquille » d’un capitalisme concurrentiel qui se heurte au problème des débouchés. »
« Le domaine colonial assure aussi aux capitaux privés qui s’y sont investis des taux de profit particulièrement élevés. Le placement colonial cumule alors deux avantages majeurs, la rentabilité et la sécurité qu’offre la domination politique directe. […] En 1914, pour le commerce comme pour les placements de capitaux, l’empire se place au tout premier rang des champs d’expansion du capitalisme français. »

Au passage : On dit parfois que Marseille a réfuté la thèse marxiste de l’impérialisme (il a commencé son étude en voulant prouver les intuitions de Lénine, et puis finalement il a découvert que les chiffres lui donnaient tort, patati patata, on connait tous l'histoire). Certes. Mais il faut voir de quelle thèse sur l’impérialisme il s’agit :
p.369 : « Convaincus que le capitalisme était incapable d’élever le niveau de vie des masses populaires, les théoriciens marxistes voyaient dans la conquête des colonies la forme privilégiée d’expansion du capital financier.
La réalité qui nous est apparue est bien différente […] A travers l’industrie cotonnière, métallurgique et alimentaire, c’est le capitalisme concurrentiel des petites et moyennes entreprises qui impose finalement sa stratégie de « mise en valeur » de l’empire. »
Marseille montre donc dans cet ouvrage que, contrairement à ce que disaient Lénine et Luxembourg, l'impérialisme n’a pas consisté en l’expansion du capitalisme financier, mais du capitalisme industriel.
Je continue.

p.370 : « Ce n’est donc pas un hasard si la crise de l’impérialisme colonial coïncide avec celle de ce type de structure industrielle. Jusqu’en 1930, l’impérialisme colonial vivait en harmonie avec le capitalisme français dont il était un des éléments régulateurs. A partir de cette date, s’entame la procédure de divorce. »

2nde période :
La démonstration essentielle de Marseille dans cet ouvrage a consisté à montrer qu’en 1930, il y a un « croisement des temps historiques », celui de l’économie et celui des mentalités et de la politique : Alors que jusque là, les français étaient indifférents aux colonies, et que le capitalisme industriel y était très intéressé, en 1930, il s’opère une sorte de retournement : Des voix commencent à s’élever, peu nombreuses jusqu’à la guerre, mais de plus en plus ensuite, pour proposer une autre voie économique, tandis que les Français, eux, deviennent de plus en plus attachés à leurs colonies, surtout après la guerre, et la participation des troupes indigènes à la Libération :
p.371 : « L’image du tirailleur sénégalais et du soldat nord-africain versant leur sang pour la mère patrie avaient convaincu l’opinion que l’empire était bien le gage de la sécurité et de la puissance françaises. »
p.372 : « Tous les sondages réalisés dans les années 1950 confirment que l’opinion baignait alors dans un « optimisme irréaliste ». Que ce soit pour l’Indochine ou plus tard pour l’Algérie, les Français n’imaginaient pas dans un premier temps que puissent être remis en cause les liens politiques qui reliaient ces territoires à la métropole […]
Mais au moment même où les Français, dans leur majorité, pensaient que la France avait intérêt à garder ses colonies, la « béquille » coloniale tendait à devenir pour certaines branches du capitalisme un « boulet » […] Le développement de nouvelles formes de production, la pression de la concurrence internationale, l’ouverture de l’économie sur l’extérieur exigeaient des restructurations et des investissements massifs. »
p.373 : « En 1954, Pierre Mendès France avait été le premier à dire qu’entre l’Indochine et le redressement économique de la France, il fallait choisir. Il faudra toutefois attendre De Gaulle pour que s’imposent les thèses de ceux qui pensaient que la France ne pouvait appartenir en même temps à deux marchés communs, l’un avec l’Europe, l’autre avec l’outre-mer. »
L’ouvrage se termine donc sur une citation de De Gaulle.

Je formule donc plusieurs remarques :
1. Il n’est pas question dans cet ouvrage de coût global de l’Empire colonial, et par conséquent, il n’est pas question de dire si l’Empire a été globalement une bonne ou une mauvaise affaire économique et financière. C’est de l’affabulation !
2. La thèse de Marseille dans cet ouvrage est donc au contraire que l'empire colonial est plutôt une bonne affaire économique pour la métropole, en particulier pour son industrie, jusqu'aux années 30-40. Après la seconde guerre mondiale, il devient plus évident que la France n'a plus les moyens, à la fois d'assurer le coût de la reconstruction, et de garder son empire colonial.
3. De plus, Marseille ne développe dans ce travail que l’aspect économique. Il ne s'agit pas seulement d'y opposer les aspects humains -qui ne sont pas nécessairement convaincants, semble-t-il, très bien- il s'agit surtout de dire qu'un bilan de la politique coloniale qui ne prendrait en compte que l'intérêt économique des milieux d'affaires et d'industrie serait évidemment un bilan incomplet. Il faudrait aussi prendre en compte les aspects politiques, géostratégiques, militaires, diplomatiques. Si la France a trôné au sommet des puissances mondiales pendant cette période de son histoire, c'est, entre autres, parce qu'elle disposait du second empire colonial. C'est quand même une évidence.
4. Même si on en reste à ce seul point de vue de l'intérêt économique privé, l’ouvrage de Marseille n’est que l’un des nombreux travaux qui ont été publiés sur le sujet depuis 50 ans. La première partie de l’ouvrage, environ 150 pages, est d'ailleurs toute entière consacrée –comme de juste- à l’examen de cette littérature.
Or, ce qu'y dit Marseille, c'est que sa démonstration consiste en une tentative de réfutation des intellectuels et des historiens qui, avant lui, défendaient la thèse selon laquelle l’Empire colonial n’avait pas bénéficié d’investissements massifs de la part du capitalisme français. C’est ce qu’écrivaient par exemple des gens comme Raymond Aron à l’époque, afin de s'opposer à la thèse marxiste de l'impérialisme, sur le mode : "L’impérialisme n’était pas la cause du colonialisme, la preuve, les capitalistes n’investissaient pas dans l’Empire." L’originalité et l’intérêt de la thèse de Marseille, c’est donc d’avoir montré, au contraire, que le capitalisme industriel avait considérablement investi dans l’Empire, et qu’il en avait d’ailleurs largement profité : En 1929, juste avant la crise, l’Empire est le premier partenaire commercial de la France et le premier actif financier extérieur (p.155). Le fait qu’on interprète sa thèse totalement autrement aujourd’hui et qu’on invente que ces investissements ont été réalisés à perte ne ressort que d'un nouveau rebondissement rhétorique dans ce débat sans fin -et au sujet duquel, franchement, la seule question véritablement importante et à laquelle, à mon très humble avis, nous devrions nous efforcer de répondre, c'est plutôt : "Quel est exactement son objet ?"

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...que vont charmant masques et bergamasques...


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Message Publié : 29 Mai 2009 14:52 
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Duc de Raguse a écrit :
De plus si le sujet avait été l'esclavage antique cela aurait été préférable, mais non il faut à nouveau tout ramener à la traite négrière.


Peut-être parce que si nous ne sommes, en majorité, ni descendants des esclaves noirs, ni descendants des négriers, il nous est plus facile d'en parler. Mais prenons en compte le fait que statistiquement, nous sommes tous des descendants d'esclaves et que nous sommes tous des descendants de maitres d'esclaves. Quelque part dans notre arbre généalogique, il y a forcement quelqu'un qui à été esclave à l'époque antique et il y a forcement quelqu'un qui à été propriétaire d'esclaves. Quelle part de nous-même doit demander pardons à l'autre ?

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 29 Mai 2009 17:36 
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Duc de Raguse a écrit :
Une simple remarque cependant que je souhaite faire et qui me chagrine toujours : lorsqu'un intervenant s'interroge sur la question de la viabilité du système colonial français et de son possible enrichissement sur le dos des colonies en utilisant des travaux d'historiens spécialistes de la question - et que son honnêteté et sa droiture ne peuvent être remis en question (bonjour Tonnerre ! :wink: ) -, certains se mettent à parler d'esclavagisme et du mauvais comportement de la France dans son expérience coloniale pour tenter de le prendre en défaut. Soit ! Mais, est-ce seulement le sujet ? Est-ce le manque d'arguments qui pousse à agir ainsi ?
Finalement, ces interventions presque hors-sujet illustrent fort bien ces "jugements moraux anachroniques".

Voilà une remarque que je trouve osée, si elle fait référence à mon intervention. Comme si je cherchais à le "mettre en défaut" (??) en jetant du sang dans la balance !

Ce n'est pas le "manque d'arguments" qui m'a fait réagir à l'intervention de Tonnerre : sur le bilan financier de la colonisation, il est fort possible que Jacques Marseille ait raison.

Au passage, on peut faire dire ce qu'on veut à ce genre de statistiques, et il faudrait voir ce qu'il met dans ses chiffres : un biais classique de ce genre de calcul est de ne pas intégrer le développement induit en France. (On sait parfaitement, aujourd'hui, qu'une part de l'aide au développement nous revient sous forme de commandes de matériel, et qu'elle sert donc aussi à développer... des villes françaises. Rien de choquant d'ailleurs, par contre les retombées en France sont difficile à évaluer.)

Mais bon, Jacques Marseille n'est pas un extrémiste, et on peut penser que ses calculs ne sont pas extravagants. D'ailleurs, balance positive ou non, l'important est qu'il y a eu un volume important d'échanges, ce qui profite en général aux deux parties.

Mais l'essentiel n'est pas là. Il n'y a aucun jugement moral à porter sur un bilan comptable, ce serait ridicule ! Je n'en porte pas davantage sur l'opportunité de la colonisation. Je pense que ce serait précisément un jugement anachronique : il ne fait pas de doute que les bons républicains promoteurs de la colonisation agissaient avec la conviction d'apporter la civilisation. (On peut toutefois leur reprocher de n'être guère allés vérifier sur place comment se passaient les choses.)

Et je ne pense pas davantage que la colonisation n'ait eu absolument que des effets négatifs.

Simplement, quand j'ai eu envie de me renseigner sur les effets positifs de la colonisation, le premier bouquin qui m'est tombé sous la main est "Le livre noir du colonialisme" : si un honnête homme comme Marc Ferro a jugé utile d'écrire un livre sur ce thème, c'est qu'il y a problème.

Tout le débat de ce fil est de savoir comment on peut, aujourd'hui, porter un jugement moral sur des faits anciens sans tomber dans l'anachronisme.

Il me semble que c'est souvent possible. Par exemple, les colonnes infernales de Bugeaud en Algérie, tous ces villages de Kabylie incendiés, la licence donnée à la troupe de piller et violer... tout cela n'aurait sans doute pas provoqué l'enthousiasme de la métropole en 1831-32 si elle l'avait su. Mais la métropole n'en savait rien, qui chantait "la casquette du père Bugeaud."

Le fait qu'on ait caché, à l'époque, les méthodes utilisées pour la conquête de l'Algérie suffit à indiquer, même selon les "moeurs de l'époque" que ces méthodes n'étaient pas acceptables.

C'est bien le bilan humain, et ses pratiques d'infériorisation, qui posent le problème moral de la colonisation.

Plus tard, Lyautey colonisera et développera le Maroc avec cette idée permanente que l'Algérie de 1900 constituait un contre-exemple absolu, à n'imiter en aucun cas. Direz-vous que Lyautey manquait d'arguments et portait des jugements anachroniques ? Il était au contraire de plein-pied avec la réalité.

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Message Publié : 29 Mai 2009 19:57 
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Voilà une remarque que je trouve osée, si elle fait référence à mon intervention. Comme si je cherchais à le "mettre en défaut" (??) en jetant du sang dans la balance !

Ma remarque était d'ordre général et ne visait personne en particulier. D'autant plus que Cuchlainn, Tonnerre, Bergame et Narduccio ont fort bien compris où je voulais en venir : la tournure qu'a pris ce sujet n'a rien à voir avec l'historiographie ou l'épistémologie de la discipline.
A moins que l'on compare les travaux d'historiens d'époques différentes sur un sujet bien précis pour en observer les différences et les points communs, voire les nouveaux questionnements produits par de nouvelles mises en perspective.
Or, rien de tout cela ici.

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Message Publié : 29 Mai 2009 21:05 
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Il me semble que c'est souvent possible. Par exemple, les colonnes infernales de Bugeaud en Algérie, tous ces villages de Kabylie incendiés, la licence donnée à la troupe de piller et violer... tout cela n'aurait sans doute pas provoqué l'enthousiasme de la métropole en 1831-32 si elle l'avait su. Mais la métropole n'en savait rien, qui chantait "la casquette du père Bugeaud."


La thèse de Lefeuvre, que j'ai évoquée plus haut, est que c'est un anachronisme de penser que les guerres coloniales ont été exceptionnellement brutales; pour lui, elles n'étaient pas plus brutales que les guerres intra-européennes du XIXe siècle.
Tout le monde sait que les guerres de Vendée, et de Napoléon, en Egypte ou en Espagne, ont été particulièrement atroces. Je connais assez bien les horreurs républicaines en Vendée, mais pas grand'chose à ce qui s'est passé en Espagne une vingtaine d'années avant ces épisodes de la conquête de l'Algérie que vous citez.
J'ai donc fait une rapide recherche pour me documenter un peu sur les horreurs de la guerre d'Espagne et avoir une idée plus précise du niveau d'atrocités atteint; c'est incroyable. Le raffinement dans la torture et dans les cruautés, si l'on en croit l'article suivant, publié sur le site de l'Harmattan, dépasse l'imagination.
Raffinement plus du côté des guerillas, les Français se contentaient de violer et de massacrer en masse, sans trop fignoler, si j'ose dire.
Du côté des guerrillas: écartelements, mutilations, strangulation lente, soldats vivants calés entre deux planches et sciés en rondelles, un commissaire du gouvernement français en voyage , sa femme violée et son enfant éventré sous ses yeux, lui enterré vivant en face du cadavre de son enfant, le général René jeté dans une cuve d'huile bouillante, les cadavres des soldats français exposés le long des routes, mutilés, leurs organes sexuels dans la bouche, cloués par les pieds et les mains sur les portes des granges, la tête en bas et un feu allumé sous la tête, empalés, crucifiés, suspendus par les pieds et vidés comme un cochon, langues , nez, oreilles, yeux arrachés, une cartouche enfoncée dans l'oeil mise à feu qui fait exploser la tête.
Du côté français, villes rasées, comme à Torquemada, pillage des églises, tombes profanées, incendies des moissons et des oliviers, religieuses rassemblées pour être violées, dans une ville 300 femmes violées, dans une autre 150 prisonniers espagnols passés au fil de l'épée.
J'arrête là, c'est un catalogue d'horreurs.
Au vu de cela, je me demande si en effet Lefeuvre n'a pas raison et si la conquête de l'Algérie a dépassé ce niveau d'abjection.

http://www.harmattan.fr/index.asp?navig ... le&no=8185


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Message Publié : 30 Mai 2009 2:04 
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Tonnerre a écrit :
La thèse de Lefeuvre, que j'ai évoquée plus haut, est que c'est un anachronisme de penser que les guerres coloniales ont été exceptionnellement brutales; pour lui, elles n'étaient pas plus brutales que les guerres intra-européennes du XIXe siècle.
Tout le monde sait que les guerres de Vendée, et de Napoléon, en Egypte ou en Espagne, ont été particulièrement atroces.

Même si cette thèse est exacte, ça ne signifie pas que les contemporains considéraient ces atrocités comme normales.

Napoléon disait que la guerre d'Espagne avait "ruiné sa moralité en Europe." (son image personnelle)

Et les récits des Viennois, au moment d'Austerlitz, les montre plutôt étonnés que ces Français sans Dieu ne mangent pas les enfants. Ils les trouvent gros buveurs, plutôt bons enfants. Le détail qui fâche : les églises utilisées comme écuries.

Jusqu'à la campagne de Russie les soldats de Napoléon capturés (hors Espagne, et peut-être au Tyrol) ne font guère l'objet de vengeances, il me semble.

Duc de Raguse a écrit :
Ma remarque était d'ordre général et ne visait personne en particulier.

Au temps pour moi. Une bouffée de parano. :mrgreen:

Citer :
D'autant plus que Cuchlainn, Tonnerre, Bergame et Narduccio ont fort bien compris où je voulais en venir : la tournure qu'a pris ce sujet n'a rien à voir avec l'historiographie ou l'épistémologie de la discipline.
A moins que l'on compare les travaux d'historiens d'époques différentes sur un sujet bien précis pour en observer les différences et les points communs, voire les nouveaux questionnements produits par de nouvelles mises en perspective.
Or, rien de tout cela ici.

Honnêtement, il me semble que l'article de lancement (et son auteur) poussait à la disgression.

C'est pourtant une question intéressante. Mais pas évidente en termes de méthodologie. Il y a des atrocités à toutes les époques. Peut-être pourrait-on se demander à quelles conditions elles étaient perçues comme légitimes selon les époques.

Tonnerre cite les atrocités de Vendée : elles ont cela de commun avec celles de Bugeaud qu'on ne s'en vante pas. ça me semble une particularité moderne : les horreurs sont cachées, niées... Et même clandestines, comme dans le cas de la bataille d'Alger ou évidemment de la Shoah. Comme si, avec l'idée du progrès et de l'égalité apparaissait progressivement une norme de comportement. Quand on combat au nom de la Liberté, les atrocités deviennent injustifiables. (l'armée, qui devient symbole de la Nation ou de la République, doit désormais préserver l'image de son employeur. )

A l'époque royale, on ne faisait pas mystère de l'écrasement des jacqueries dans le sang. C'était même supposé servir de leçon. Alors qu'on aurait jugé atroce le massacre de familles nobles.

De même les Romains ne semblent pas avoir été scandalisés qu'on massacre une ville conquise. (C'était tout au plus un gaspillage d'esclaves potentiels.) Par contre on n'exécutait pas si facilement des citoyens romains, sauf en cas de révolte contre l'empereur.

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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Message Publié : 30 Mai 2009 10:14 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant

Inscription : 17 Oct 2003 18:37
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C'est une piste très intéressante. Si je comprends bien, il faudrait commencer par examiner le cours de l'histoire pour regarder quand, dans quelles circonstances, etc, les contemporains condamnent les faits que nous appelons atrocités, en n'oubliant pas leur filtre social, politique, "national". On va certainement en trouver un certain nombre et en conclure que tout jugement moral porté depuis l'an 2009 n'est pas forcément anachronique : de tout temps, certains massacres ont suscité l'indignation de tout ou partie des contemporains, même s'ils étaient monnaie courante. On ne peut pas évacuer la question en disant : "ça se faisait, donc c'était normal aux yeux de l'époque, donc le juger barbare est une invention de notre siècle, point barre". On n'a pas attendu la Shoah pour trouver des boucheries transgressant violemment les normes répandues à leur époque.
Il y aurait donc, déjà, un tri à faire.
Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que les faits qui n'ont scandalisé personne, ou presque personne à une époque donnée, puissent être balayés d'un revers de main.

Citer :
Cuchlainn, Tonnerre, Bergame et Narduccio ont fort bien compris où je voulais en venir : la tournure qu'a pris ce sujet n'a rien à voir avec l'historiographie ou l'épistémologie de la discipline.


Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. Mon avis, c'est qu'il est presque impossible de débattre de ce sujet en oubliant complètement la forme qu'il prend dans le débat public du moment, c'est-à-dire une approche partielle, partiale, hyperpolitisée, voire complètement démagogique, qui consiste à n'étudier que les actes commis par les institutions françaises du passé à l'encontre de groupes qui constituent ou se considèrent comme une minorité bien délimitée. (Je n'ai pas vu la France demander des excuses de l'Italie pour la boucherie qu'a constitué la conquête romaine, ni à la Suède pour les massacres commis par sa soldatesque en Alsace au XVIIe). Par conséquent, ou bien on se place loin de tout ça et on est un peu dans une tour d'ivoire - mais peut-être on peut réfléchir à des outils d'historien pour donner au débat public des réponses plus objectives - ou bien on accepte la dimension passionnelle de la question telle qu'elle est posée aujourd'hui en France et alors, le colonialisme, les procédés divers, parfois spécieux des deux camps (comme aller embaucher l'EDF de football...) font partie du sujet : mais celui-ci relève de la géopolitique et non de l'historiographie.

Or, le fil a été lancé dans la section Historiographie mais il s'est déroulé sur le terrain géopolitique...


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