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Message Publié : 30 Mai 2009 10:15 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

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"Tonnerre cite les atrocités de Vendée : elles ont cela de commun avec celles de Bugeaud qu'on ne s'en vante pas. ça me semble une particularité moderne : les horreurs sont cachées, niées... Et même clandestines, comme dans le cas de la bataille d'Alger ou évidemment de la Shoah. Comme si, avec l'idée du progrès et de l'égalité apparaissait progressivement une norme de comportement. Quand on combat au nom de la Liberté, les atrocités deviennent injustifiables. (l'armée, qui devient symbole de la Nation ou de la République, doit désormais préserver l'image de son employeur."

C'est une question intéressante. Comme le but des atrocités de Vendée était soit d'éliminer physiquement tous les "brigands" vendéens (d'où l'accusation actuelle de génocide), soit de terroriser les populations pour les soumettre, les Républicains n'ont pas du tout cherché à cacher leurs atrocités dans la région concernée lorsqu'elles ont été commises; de plus, elles leur paraissaient parfaitement légitimes sur le moment contre un ennemi dépeint comme absolument détestable et dont on dirait maintenant qu'ils l'avaient diabolisé. A l'origine de nombreux massacres commis sur le coup avec bonne conscience, il y a cette caractérisation de l'ennemi comme incarnant le mal absolu; dans cette aproche, tuer les incarnations du mal, c'est faire le Bien.
Des généraux républicains se sont vantés de ces horreurs à la tribune de l'Assemblée nationale à Paris, pour faire valoir leur dévouement à la cause républicaine, et leur efficacité. Leurs rapports et leurs déclarations sont tout à fait explicites ("Nous en tuons 2000 par jour"; et Tureau déclare: "La Vendée doit n'être qu'un grand cimetière national")
Ces déclarations n'ont pas été accueuillies avec des réactions d'horreur par leurs auditeurs-sans doute, beaucoup en ressentaient de la gêne mais ils n'ont rien dit ou fait sur le coup. Ceux qui ont pris la parole pour protester se comptent sur les doigts d'une main, car c'est justement ainsi que de telles abominations sont commises: grâce à la passivité de la majorité de ceux qui savent.
Tureau a bien été arrêté en 95 et traduit devant un conseil militaire, mais il a été acquitté, triomphalement parait-il. Sur le moment, ces horreurs étaient donc connues dans certaines régions du moins, certaines personnes les désapprouvaient dans leur for intérieur mais la plupart n'ont pas protesté sur le moment. Ce n'est que plus tard que ces atrocités ont été cachées, ne serait-ce que parce que la monarchie avait été réinstaurée et que ceux qui y avaient participé voulaient faire oublier un passé devenu politiquement embarrassant. Comme beaucoup d'ex-révolutionnaires aux mains sanglantes, Tureau s'est rallié au royalisme et a été décoré de l'ordre de Saint Louis par Louis XVIII; et il est mort de sa belle mort.


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Message Publié : 30 Mai 2009 14:00 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Mais c'est toujours pareil, vous vous placez du point de vue du massacreur, et vous dites : "Regardez, il déclare à ceux qui ont partie liée avec lui dans les massacres à un titre ou à un autre qu'il en a massacré 10.000, qu'il avait de bonnes raisons pour le faire, et personne ne trouve rien à redire."
Mais vous pensez que les Véndéens, eux, ou les Algériens en 1830, ils étaient du même avis ? Vous pensez qu'eux aussi, ils considéraient que, finalement, le massacre, c'est une chose normale, et les abominations que vous racontez ne sont finalement pas si choquantes ?
Tous les massacres sont atroces, pour les victimes. Et cela n'est pas un jugement de valeur qui évolue dans le temps historique. La guerre a toujours été une plaie pour les populations civiles sur le territoire desquelles les armées évoluaient, par exemple, et ce, au Moyen-Age, comme dans l'Antiquité, comme à l'époque moderne. Ca n'a jamais été parce que la guerre était "monnaie courante" qu'elle était mieux acceptée ou que les massacres étaient considérés comme normaux par ceux qui en étaient victimes, quel témoignage peut nous permettre de croire cela ? Ca, c'est complètement anachronique, c'est le jugement d'une génération particulièrement privilégiée, située dans le temps et l'espace, qui n'a jamais connu la guerre et qui n'en a aucune expérience.
La seule chose qui change, dans l'histoire, c'est que tantôt "on" est du bon côté du sabre, tantôt "on" est du mauvais côté. C'est tout. Quand on est du bon coté, à la guerre comme à la guerre, c'est une terrible chose, mais hélas, il faut bien la faire, et on la justifie -diaboliser l'ennemi, ou décréter qu'il est l'agresseur, sont effectivement des méthodes. Quand on est du mauvais côté, la guerre est simplement une abomination.
Et on peut être à la fois du "bon" et du "mauvais" côté dans la même guerre. C'est ce qu'ont fait toutes les armées du monde de tous les temps, en se reprochant mutuellement leurs exactions -et en faisant souvent de nouvelles justifications à la diabolisation de l'autre et à la nécessité de vaincre.

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Message Publié : 30 Mai 2009 15:18 
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Jean Mabillon
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Mais vous pensez que les Véndéens, eux, ou les Algériens en 1830, ils étaient du même avis ? Vous pensez qu'eux aussi, ils considéraient que, finalement, le massacre, c'est une chose normale, et les abominations que vous racontez ne sont finalement pas si choquantes ?


Bergame, je ne vous permet pas de dire que je me place du point de vue du massacreur. Vous dépassez les bornes, tant du point de vue de la totale incompréhension de ce que j'ai écrit que de la courtoisie élémentaire sur un forum.
Soit vous déformez intentionnellement mes propos, soit vous êtes incapable de déchiffrer correctement un texte simple, comme le met d'ailleurs en évidence votre obstination remarquable à nier le sens d'une phrase aussi claire que "la France a plutôt secouru l'Algérie qu'elle ne l'a exploitée" écrite par Jacques Marseille (dont d'ailleurs tous les commentaires critiques de son livre trouvés sur le net s'accordent à dire qu'il a voulu faire un bilan global de la colonisation du point de vue économique, et que celle-ci, selon lui et dans l'ensemble, n'a pas été une si bonne affaire.)
EN AUCUN CAS je ne dis que le massacre est une chose normale--qui d'ailleurs de nos jours dans les démocraties occidentales aurait la stupidité de dire ouvertement une énormité pareille, même Dick Cheney n'oserait pas le dire. >:) >:) >:)
Mes propos sont sans aucune ambiguité, j'ai parlé d'"atrocités", de "catalogue d'horreurs", d' "abjection". Si pour vous ces mots signifient que l'on trouve une chose parfaitement normale et éthique, je vous invite à acheter un dictionnaire français toutes affaires cessantes.
Je rappellais simplement que des atrocités se produisaient au cours des guerres intra-européennes de l'époque, et que ce n'était pas propre aux guerres coloniales.

Et merci de me faire savoir que les Algériens massacrés n'étaient pas d'accord pour se faire massacrer, sans votre intervention ci-dessus, je ne m'en serais jamais douté.


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Message Publié : 30 Mai 2009 16:46 
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Eginhard
Eginhard

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Bonsoir,

On a tous ou presque ici vécu la chose à son origine.
Dans le milieu des années 80 naissait SOS RACISME avec pour vecteur la montée du FN, à l'époque c'était assez simple on savait qui était raciste et qui en était la victime, depuis la donne est nettement plus compliqué.



K


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Message Publié : 30 Mai 2009 17:22 
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Tonnerre a écrit :
Citer :
Mais vous pensez que les Véndéens, eux, ou les Algériens en 1830, ils étaient du même avis ? Vous pensez qu'eux aussi, ils considéraient que, finalement, le massacre, c'est une chose normale, et les abominations que vous racontez ne sont finalement pas si choquantes ?


Bergame, je ne vous permet pas de dire que je me place du point de vue du massacreur. Vous dépassez les bornes, tant du point de vue de la totale incompréhension de ce que j'ai écrit que de la courtoisie élémentaire sur un forum.


@ Bergame, je suis du même avis que Tonnerre. J'ai lu plusieurs fois son intervention pour m'en assurer. Il présente un point de vue, il ne le présente pas comme le sien. Votre intervention est une prise à parti qui ne s'explique pas dans le contexte. J'ai hésité à tout supprimer, mais cela aurait été une espèce de censure. Il y a du vrai dans les propos à tous les deux.

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Message Publié : 30 Mai 2009 17:36 
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Narduccio a écrit :
Il y a du vrai dans les propos à tous les deux.


Maintenant, j'interviens en tant que contributeur.

Tonnerre le rappelle a juste titre: le massacreur, le tortionnaire pense agir pour la bonne cause. Au moins une bonne cause la sienne. Bien entendu, cela ne justifie pas et n'excuse pas les massacres. Les actions qui nous concernent ne sont pas des crimes gratuits. Vous avez raison, du point de vue de la victime, cela ne change pas grand chose. Que je soit massacré par quelqu'un qui veut simplement s'amuser ou par quelqu'un qui pense que pour que le monde sera meilleur si je disparais, change peu de chose à mon statut de victime. Ça change pour le tortionnaire, parce que lui pense que même si le "travail" ne lui plait pas, il doit le faire. Pour le donneur d'ordre, il est préférable choisir des gens qui prendront du plaisir à le réaliser, ils posent souvent moins de problèmes à gérer et puis ensuite, on peut s'en débarrasser sans états d'âmes.

Maintenant, il y a des différences d'appréciations suivants les époques. Ce qu'une époque considèrera comme condamnable, sera considéré comme licite à une autre. Mais, si on ne veut pas choquer les générations futures, on est condamné à l'inaction. Ce qui peut aussi être considéré comme condamnable en fonction de comment les choses auront évoluées.

Et pour compliquer le tout, il faut bien se rendre compte que notre vision actuelle se fait en continuation et en réaction des visions des contemporains des faits. Il y a eu des français qui furent choqués du sort faits aux algériens de l'époque. C'est français réagirent et firent évoluer notre manière de penser. Nous condamnons aujourd'hui ces actions parce qu'il y eut des gens à l'époque pour en être scandalisés ! En poussant le bouchon un peu loin, on pourrait presque dire que si ces actions n'auraient pas eu lieu, on ne serait pas opposés aujourd'hui à ce qu'on les réalise !

Là dessus, bien que votre exemple Kammz soit un peu hors contexte, le racisme aide à la réalisation de certaines actions. SI on pense que la personne qui est en face de nous est différente de nous, il est plus facile de la massacrer. Je ne dis même pas inférieure ou supérieure, seulement qu'elle appartient à une autre humanité. Or, c'est ce que fait le racisme, en créant des subdivisions artificielles, il permet de passer outre l'un de nos tabous.

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Message Publié : 30 Mai 2009 17:44 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 23 Avr 2005 10:54
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Je vais donc essayer de mieux expliquer mon propos.

Bon, d’abord, évacuons cette question "marseillaise", qui risque autrement de rester un écueil dans notre communication.
Je vois bien que vous êtes de bonne foi, Tonnerre, vous lisez un article signé par J. Marseille, vous suivez ce qu’il dit, cela me semble normal. Donc, je retire la « présentation malhonnête » que j’ai évoquée préalablement, et qui, je le constate, ne se justifiait pas.
Maintenant, je vais vous demander de bien vouloir comprendre ma propre démarche, svp. Je lisais régulièrement ici-même, dans ce forum, et entendais ailleurs également que « Jacques Marseille avait démontré que les colonies n’avaient pas été une bonne affaire pour la France ». Au regard de ce que j’avais lu auparavant chez d’autres historiens du colonialisme, cela me semblait tellement étonnant que j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai donc, moi, acheté l’ouvrage, et l’ai lu. Et je n’y ai vraiment, mais vraiment ! rien lu de pareil, la conclusion que je rapporte en témoigne. Fort de cette démarche et de cette lecture, il me semblait que, lorsque des individus qui, eux, n’avaient manifestement pas lu l’ouvrage, allaient répétant que « Jacques Marseille a démontré que les colonies étaient une mauvaise affaire pour la France », hé bien, je pouvais à bon droit les contredire. C’est quand même à cela que ça sert, de vérifier les sources, je crois.
Mais, avec vous, je découvre donc que Jacques Marseille lui-même, dans des hebdos, prétend l’avoir démontré ! Alors que puis-je dire ? Très bien, c’est sans doute moi qui lis mal. Mais vraiment, voyez-vous, moi, je serais très heureux si vous vouliez bien vous procurer également l’ouvrage, et me dire si votre lecture au moins de la conclusion de l'ouvrage diffère réellement de ce que j’en ai synthétisé. Ce serait une démarche intéressante –au moins pour moi. Jusque là, brisons donc, et passons à autre chose. En tous cas, je pense qu’il est important que je reprécise que, dans cette affaire, comme dans d’autres, je reconnais votre bonne foi -et j'espère d'ailleurs que vous voudrez bien reconnaître la mienne également.

Maintenant, sur le nouveau sujet qui nous préoccupe. Quelle est globalement l’argumentation défendue par plusieurs intervenants dans ce topic ou dans d’autres topics de ce forum ? Sur fond, qu'on le vueille ou non, de débat sur la « repentance », il s’agirait de dire qu’aujourd’hui, nous vivons dans un environnement culturel et moral qui est différent de celui des siècles précédents. Sous-entendu (cf Finkielkraut) une culture démocratique, égalitariste, pour ne pas dire humaniste, bien-pensante, idéaliste, etc. Mettons des mots simples sur les choses : Il s’agirait de dire, par exemple, que l’esclavage était une chose relativement bien acceptée au XVIIe s. Il s’agirait de dire que les massacres et les exactions étaient… quoi ? tolérées au XVIIIe ou au XIXe. ? Que quelques-uns protestaient, bien sûr, mais peu. C’est bien ce que vous dites, Tonnerre ? Certes, vous ne dites pas qu’ aujourd’hui le massacre est une chose normale, non, vous dites qu’à l’époque, finalement, c’était mieux accepté que maintenant. D’ailleurs, votre réponse est très intéressante, de ce point de vue : « Qui d'ailleurs de nos jours dans les démocraties occidentales aurait la stupidité de dire ouvertement une énormité pareille ? » Vous êtes bien là en train d’affirmer que, aujourd’hui, dans nos cultures démocratiques, on ne peut plus dire ouvertement ce qu’hier, on pouvait parfaitement dire ouvertement sans que cela choque grand-monde, n'est-ce pas ?

Bon, c'est une thèse, c'est manifestement celle de beaucoup de monde, au moins sur ce forum -et certainement dans l'opinion aujourd'hui. Mais ce que je me permets de vous répondre, Tonnerre, du moins est-ce ma thèse, c’est que non, il n’y a pas de différence entre hier et aujourd’hui, les jugements moraux à l’égard de l’esclavage, à l’égard des atrocités de la guerre, à l’égard des massacres de masse sont à peu près les mêmes. Nous n’évoluons pas aujourd’hui dans un environnement axiologique si différent de celui nos ancêtres. La seule chose qui change, mais qui change hier comme aujourd’hui, c’est de quel côté du bâton vous êtes : Les esclaves de toutes les périodes historiques et de toutes les contrées du monde n’ont jamais trouvé l’esclavage normal, et ne s’en sont jamais bien porté. Les esclavagistes, en revanche, n’y voyaient pas grand problème et trouvaient ça même plutôt utile. Les survivants de massacres de masse, ceux qui perdent leur famille, qui en sortent blessés, n’ont jamais trouvé ça normal. Les massacreurs, en revanche, y ont toujours trouvé de bonnes raisons, ou des excuses.
Donc, je ne sais pas exactement comment vous vous situez par rapport à ce sujet, Tonnerre, je comprends maintenant à votre toute dernière phrase ("merci de me faire savoir que les Algériens massacrés n'étaient pas d'accord pour se faire massacrer") que nous sommes peut-être plutôt d'accord, et ce n’est pas particulièrement à vous que je répondais, c’est à un discours général, et particulièrement à la question soulevée par ce topic : Il n’y a pas de jugements moraux anachroniques, il n’y a que le point de vue du bourreau et le point de vue de la victime.
Et le fait est que, dans l’histoire, « on » est alternativement bourreau et victime.
Du moisn est-ce bien ma thèse, mais, n'est-ce pas, nous sommes là pour en discuter.

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Message Publié : 30 Mai 2009 18:18 
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Cuchlainn a écrit :
C'est une piste très intéressante. Si je comprends bien, il faudrait commencer par examiner le cours de l'histoire pour regarder quand, dans quelles circonstances, etc, les contemporains condamnent les faits que nous appelons atrocités, en n'oubliant pas leur filtre social, politique, "national". On va certainement en trouver un certain nombre et en conclure que tout jugement moral porté depuis l'an 2009 n'est pas forcément anachronique : de tout temps, certains massacres ont suscité l'indignation de tout ou partie des contemporains, même s'ils étaient monnaie courante. On ne peut pas évacuer la question en disant : "ça se faisait, donc c'était normal aux yeux de l'époque, donc le juger barbare est une invention de notre siècle, point barre". On n'a pas attendu la Shoah pour trouver des boucheries transgressant violemment les normes répandues à leur époque.
Il y aurait donc, déjà, un tri à faire.

Il me semble que faire ce tri permettrait de faire apparaître des critères liés à chaque époque.

Je suis bien d'accord, l'approche "ça se faisait, donc c'était normal aux yeux de l'époque, point barre" est dénuée de pertinence.Il suffit de faire la liste de tout ce qu'on jugerait "normal au 20ème siècle" si on l'approchait de cette façon.

J'ai suggéré, par exemple, qu'avant l'époque des Lumières, le statut social (citoyen romain, noblesse à l'époque médiévale) conférait une certaine immunité, alors qu'à partir du 19ème le problème ne se pose plus en ces termes, du moins en Europe.
(s'il reste des sous-individus "massacrables", ils se trouvent plutôt hors d'Europe : arabes, chinois, population des futures colonies - sans le dire - ou au Far West - explicitement.) C'est une hypothèse. On peut certainement en trouver d'autres liées à des conditions particulières d'affrontement. (Que faisait-on des citoyens romains ayant choisi le mauvais camp dans une guerre civile ?)

Citer :
Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que les faits qui n'ont scandalisé personne, ou presque personne à une époque donnée, puissent être balayés d'un revers de main.

Non bien sûr, il peuvent avoir une grande importance historique. Par contre, rappeler que le massacre d'infidèles (d'un côté comme de l'autre) était parfaitement licite - et même encouragé - à l'époque des Croisades, c'est mettre un peu d'ordre face à des tentatives d'instrumentaliser ces massacres au service d'une idéologie. (Islamisme, supériorité morale de l'Occident...)

Citer :
ou bien on accepte la dimension passionnelle de la question telle qu'elle est posée aujourd'hui en France et alors, le colonialisme, les procédés divers, parfois spécieux des deux camps (comme aller embaucher l'EDF de football...) font partie du sujet : mais celui-ci relève de la géopolitique et non de l'historiographie.

Or, le fil a été lancé dans la section Historiographie mais il s'est déroulé sur le terrain géopolitique...

Ou politique tout court. C'est malheureusement une part de " l'actualité de l'Histoire."

Ce serait un autre sujet, à placer sur le forum géopolitique : l'exploitation politique de l'Histoire. Sur ce thème, il serait intéressant de repérer quels types de groupes exploitent quels filons. Groupes ethniques, religieux, politiques, il y a des fonds de commerce historiques plus utilisés que d'autres. Et d'autres qui se démodent :Shoah mise à part, il devient difficile de baser une attaque politique sur les événements liés à la 2ème GM, il me semble.

Repérer aussi comment le vocabulaire fait l'objet de glissements sémantiques abusifs. Entendre les Corses ou les Basques "lutter contre le colonialisme" aujourd'hui est tout de même un peu déroutant. De même lorsque le président du Gabon critique l'inventaire de ses investissements en France comme une manifestation de néo-colonialisme, c'est comique, mais c'est aussi l'indice que ce thème est déjà utilisé partout ad nauséam - ça marche, en plus.

Tiens, je vois que Bergame a fait sienne une phrase de Don Camillo : :mrgreen:
"Ceux qui cognent ont la mémoire courte." Je pense pour ma part qu'il ont la mémoire courte, mais qu'ils ont la culpabilité longue, au moins dans nos sociétés démocratiques.

Par exemple, la guerre d'Algérie est peut-être oubliée, mais elle a laissé une culpabilité diffuse d'autant plus forte que ceux qui l'ont vécue n'en parlent pas. Quant à l'usage univoque, unilatéral et détestable qu'en fait le FLN... il ne serait pas possible si cette culpabilité - qui a des raisons largement objectives - n'existait pas. (Est-ce que ces gens-là se rendent compte qu'ils mettent du désordre dans les esprits et dans nos quartiers en réactualisant des séquelles anciennes ? Est-ce qu'il ne serait pas plus simple de leur répondre explicitement, sur le thème : "d'accord, mais on met tout sur la table" ?)

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Message Publié : 30 Mai 2009 22:51 
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Philippe de Commines
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Vous dites Bergame qu'il n'y a pas de jugements moraux anachroniques en vous fondant sur une démonstration relative aux massacres.
Cette démonstration m'apparaît incomplète pour le sujet des massacres (les chrétiens de France du XIIè siècle ne voyaient aucun problème aux massacres d'infidèles perpétrés par les croisés, au contraire, alors que l'opinion publique d'aujourd'hui ne tolère pas qu'une bavure fasse un massacre dans un village en Afghanistan. Il y a bien une évolution).
Il serait intéressant de recenser les cas connus où des généraux ont été sanctionnés pour avoir été inutilement et excessivement brutaux avec leurs ennemis ou les populations civiles.

Mais surtout, vous ne parlez dans les messages précédents que du cas des massacres. Or, le sujet est beaucoup plus vaste que cela ; je reprends les extraits du texte :

Sollers a écrit :
Gide, le pédophile Nobel; Marx, le massacreur de l'humanité que l'on sait; Nietzsche, la brute aux moustaches blondes; Freud, l'anti-Moïse libidinal; Heidegger, le génocidaire parlant grec; Céline, le vociférateur abject; Genet, le pédé ami des terroristes; Henry Miller, le misogyne sénile; Georges Bataille, l'extatique à tendance fasciste; Antonin Artaud, l'antisocial frénétique; Jean-Paul Sartre, le bénisseur des goulags; Louis Aragon, le faux hétérosexuel chantre du KGB; Ezra Pound, le traître à sa patrie mussolinien chinois; Hemingway, le machiste tueur d'animaux; William Faulkner, le négrier alcoolique; Nabokov, l'aristocrate papillonna ire pédophile; Voltaire, le hideux sourire de la raison dénigreur de la Bible et du Coran, totalitaire en puissance; le marquis de Sade, le nazi primordial; Dostoïevski, l'épileptique nationaliste; Flaubert, le vieux garçon haïssant le peuple; Baudelaire, le syphilitique lesbien; Marcel Proust, l'inverti juif intégré; Drieu La Rochelle, le dandy hitlérien; Morand, l'ambassadeur collabo; Shakespeare, l'antisémite de Venise; Balzac enfin, le réactionnaire fanatique du trône et de l'autel ...



Finkielkraut a écrit :
Et la liste n'est pas close. Elle est même interminable par définition. Si on choisit, en effet, d'adopter vis-à-vis du passé la posture du procureur antifasciste, antiraciste, antisexiste, antihomophobe, radicalement égalitaire et fier de toutes les Pride, alors aucun philosophe, aucun artiste, aucun écrivain n'arrive à la cheville des militants d'Act Up ou même des lecteurs de Télérama.


Je doute que l'on puisse nier qu'il y a des jugements moraux anachroniques sur les questions de racisme, de sexualité, de sexisme, de pédophilie, de torture, de traitement des faibles, de traitement des animaux, et plus généralement des valeurs morales des individus et de leurs comportements...

PS : pour répondre au Duc de Raguse, je ne souhaite pas déplacer ce fil dans le salon géopolitique, bien que je comprends tout à fait que la discussion pourrait s'y poursuivre sous un axe de géopolitique contemporaine. En effet, je continue à penser qu'on peut traiter ce point de manière historique. Par exemple par la recherche des sanctions contre les militaires comme je l'ai évoqué ci-dessus, ou bien par l'évolution des tabous ou interdits sexuels, ou sur le racisme, etc...

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Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 31 Mai 2009 1:43 
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Huyustus a écrit :
Mais surtout, vous ne parlez dans les messages précédents que du cas des massacres. Or, le sujet est beaucoup plus vaste que cela ;

Est-ce que ce n'est pas trop vaste ?

Citer :
Je doute que l'on puisse nier qu'il y a des jugements moraux anachroniques sur les questions de racisme, de sexualité, de sexisme, de pédophilie, de torture, de traitement des faibles, de traitement des animaux, et plus généralement des valeurs morales des individus et de leurs comportements...

C'est indéniable, mais où voulez-vous en venir ?

S'il faut chercher pour chacun de ces abus (dans notre vision actuelle) à partir de quels critères on peut établir un diagnostic de jugement anachronique, c'est un travail énorme.

On peut facilement repérer que ces abus ont commencé à faire l'objet d'une réprobation générale à des périodes différentes : par exemple, la torture a été mise en cause bien plus tôt que le racisme. Il me semble que c'est dû à l'apparition, puis à la montée en force de l'opinion publique, et de ses moyens d'information.

Mais ce n'est pas si simple : pour chacun de ces thèmes, il n'y a pas forcément une date avant/après. ça peut varier selon les classes sociales, le statut des individus... Et il n'y a pas toujours progrès continu. On peut se demander, par exemple, si la sexualité n'était pas plus libre au 18ème qu'au 19ème siècle.

Il me semble que la question des massacres (ou de la légitimité de la violence) est un sujet en soi, sur lequel il y a beaucoup de chose à regarder.

Des généraux sanctionnés pour abus de la force ? Je n'ai aucun exemple en tête. Quelques généraux allemands poursuivis pour crimes de guerre... Le seul officier supérieur sanctionné en Algérie (avant le putsch et l'OAS) l'a été pour avoir dénoncé l'abus de la violence : il s'agit de La Bollardière.

Peut-être vaudrait-il mieux examiner le cas des sanctions de soldats, plus fréquentes, et qui peuvent être un indicateur des comportements permis ou réprimés.

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Message Publié : 31 Mai 2009 2:42 
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Philippe de Commines
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pierma a écrit :
Citer :
Je doute que l'on puisse nier qu'il y a des jugements moraux anachroniques sur les questions de racisme, de sexualité, de sexisme, de pédophilie, de torture, de traitement des faibles, de traitement des animaux, et plus généralement des valeurs morales des individus et de leurs comportements...

C'est indéniable, mais où voulez-vous en venir ?


Je ne veux en venir nulle part ; ceci n'est que pour répondre à Bergame qui indiquait qu'il n'y avait aps de jugements moraux anachroniques, à la suite d'un développement consacré aux massacres de populations.

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Message Publié : 31 Mai 2009 11:27 
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Jean Mabillon
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Pour qu'un acte portant atteinte à l'intégrité physique ou à la vie d'un être vivant soit reconnu comme moralement et légalement condamnable, il faut que la vie et la personne de cet être soient reconnues comme ayant de la valeur, qu'on lui reconnaisse aussi une sorte de qualité de sujet, un degré d'existence autonome La condamnation morale de ce type d'acte variera donc en fonction de la variation de la valeur et du statut social accordés à la personne de l'être qui en est l'objet.
C'est la façon dont un être particulier est pensé socialement qui détermine si une atteinte envers cet être est moralement condamnable ou pas. Et cette façon de le penser peut varier considérablement selon les lieux et les époques: dans les sociétés occidentales, la valeur et le statut de l'animal ont considérablement changé; celui des femmes et des noirs aussi.
En conséquence, la criminalisation récente de certains actes envers certaines personnes--actes qui autrefois n'étaient pas considérés comme des crimes-- est liée directement à l'amélioration du statut social de ces personnes: jusqu'à une date très récente, le viol d'une femme par son mari était une catégorie judiciairement inexistante, parce qu'on posait que le mari, de par les liens du mariage, devait avoir un accès sexuel permanent au corps de sa femme. Je me souviens d'avoir lu une phrase de de Gaulle qui m'a frappé, où il disait qu'il ne saurait y avoir viol de la part du mari sur la femme.
Âussi, des actes pouvaient être assez largement réprouvés, pour des raisons de morale religieuse réprouvant la sexualité, spécialement la sexualité hors mariage, mais ils étaient largement pratiqués et tolérés et ne faisaient l'objet d'aucune judiciarisation, comme ce que nous appelons aujourd'hui harcèlement sexuel.
Enfin, des actes comme le viol paraissent avoir été de tous temps condamnés dans nos sociétés, mais pour des raisons complètement différentes: autrefois, le viol n'était pas condamné à cause du tort causé à la femme qui en était victime comme de nos jours mais à cause du préjudice causé à l'homme, père ou mari, dont cette femme était dépendante, et à l'honneur de la famille.
De même, le statut de l'animal était très différent au Moyen-Age, et des actes de cruauté envers les animaux qui constituent des délits punissables en justice de nos jours étaient alors pratiqués couramment et même encouragés par l'église: ainsi les massacres de chats dans les fêtes populaires, le chat étant considéré dans le christianisme d'alors comme un animaL maléfique et démoniaque (comme je l'ai dit, tuer ce qui est présenté comme l'incarnation du mal par la pensée dominante ne pose pas problème à la plupart des gens).
Dans le Sud des Etats-Unis esclavagiste, les "codes noirs" en vigueur dans les différents états mettent en évidence que le traitement juridique des noirs était très différent de celui appliqué aux blancs: un noir qui tuait ou simplement frappait son maître ou un homme blanc était automatiquement condamné à mort; si un blanc tuait un esclave, la peine maximum était une amende, le plus souvent rien du tout, car il fallait que le meurtre soit vu par des témoins blancs, le témoignage d'esclaves n'étant pas recevable en cour de justice.
Le viol des esclaves noires ne faisait l'objet d'aucune sanction s'il était le fait d'hommes blancs, il était extrêmement courant, et la propriété d'esclaves noires de sexe féminin impliquait automatiquement pour leur maître l'accès sexuel au corps de ces femmes. Bien entendu, le viol d'une femme blanche par un noir était puni de mort; de fausses accusations de viol d'une femme blanche étaient de plus souvent fabriquées si l'on voulait se débarrasser (et faire un exemple) d'un noir arrogant ou rebelle.
Certes, les conceptions morales prédominantes ne coïncident pas toujours exactement avec la loi, et il y avait sans doute une très petite minorité de blancs que ces dispositions discriminatoires et cruelles gênaient moralement, mais pour les blancs sudistes de l'époque, toutes ces lois qui nous paraissent barbares et injustes leur paraissaient justifiées et ne leur posaient pas de problème moral.
S'il y a une chose que l'étude de l'histoire devrait apprendre à ceux qui s'y intéressent, c'est la notion d'historicité des phénomènes humains; historicité qui affecte tous les aspects de la doxa, et donc aussi la morale.


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Message Publié : 31 Mai 2009 13:56 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours
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Voila, donc nous arrivons maintenant à un sujet proprement historiographique.
Il y avait quelque chose d'assez étonnant dans l'argumentaire de Huyustus, qui, associé à d'autres éléments, pouvait justifier qu'on se demande quel était exactement le propos poursuivi -et la question se pose toujours, je suis bien d'accord avec pierma- et pouvait laisser envisager une instrumentalisation typique de l'histoire au profit d'une prise de position politico-idéologique.
En effet, il est notoire que certains cercles intellectuels, qui s'avèrent plutôt proches du pouvoir actuel, veulent en finir avec ce qu'ils nomment "l'idéologie de Mai 68". Or, l'un de leurs arguments typiques est : "L'idéologie de Mai 68 était relativiste". Il faut donc comprendre que le relativisme, c'est, pour faire simple, "de gauche", et que c'est pas bien.

Je ne sais pas si Huyustus se sent plus ou moins sympathisant de ces prises de position et ça ne me regarde pas, mais j'était très intéressé par cette intervention :

Huyustus a écrit :
Finkielkraut ne critique pas la pensée de gauche, ou l'anti-racisme, ou l'anti-homophobie, ou quoi que ce soit.
Il s'élève contre le conformisme politiquement correct et le terrorisme intellectuel qui l'accompagne. Pour faire court, il milite pour la liberté d'expression et se moque de la police de la pensée et de ses exécutants zélés.
Et également il s'élève contre un certain relativisme anachronique qui permet à certains de s'auto-proclamer procureurs des hommes du passé.

Donc l'argumentation de Huyustus dans ce sujet, c'est que juger des époques passées à la lumière de valeurs "présentes", ce serait faire oeuvre de relativisme.
Or, c'est tout l'inverse.

Qu'est-ce que le relativisme ?
En épistémologie des sciences, le relativiste, c'est celui qui affirme que deux théories scientifiques énoncées à deux époques historiques différentes, sont énoncées dans le langage de leur époque, correspondent à une vision du monde qui est celle de leur époque, sont pensées dans les catégories qui sont celles de leur époque, et sont donc incommensurables l'une à l'autre. "Incommensurables", cela veut dire ici "non-comparable", et cela signifie qu'il est illégitime de les comparer l'une à l'autre, et en particulier, contra la doctrine de Popper, qu'il est illégitime de considérer que l'une réfute l'autre. Je ne discute pas ici du bien-fondé de cette thèse, j'expose en quelques mots la théorie des épistémologues relativistes tels Kuhn ou Feyerabend (un nom que nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer ensemble :wink: ).

En anthropologie, autre exemple, le relativiste (souvent appelé "culturaliste") est celui qui considère que ce sont les cultures qui, cette fois, sont incommensurables les unes aux autres. Il montrera qu'une culture correspond à une histoire particulière, que les catégories de la pensée diffèrent d'une culture à une autre (on montrera par exemple que les catégories aussi fondamentales pour la pensée que celle du temps sont diversement pensées dans des cultures différentes, comme le disait par exemple Lévy-Bruhl) et/ou il montrera que les catégories politiques sont diverses (c'est toute cette génération d'anthropologues qui s'attachera à montrer qu'il existe des sociétés sans Etat) et/ou il montrera que les catégories morales, elles aussi, sont diverses : Ainsi, il s'efforcera de montrer qu'il existe des sociétés où la sexualité est libre, que la relation de la mère à l'enfant diffère selon les peuples, qu'il existe des cultures où l'hospitalité à l'égard de l'étranger est la règle et d'autres où c'est la méfiance, qu'il existe des cultures de la honte et des cultures de la culpabilité, etc. etc. Et en particulier, le relativiste culturaliste sera particulièrement pointilleux quant à toute tentation ethnocentrique, qui a longtemps dominé l'anthropologie européenne il est vrai, et qui consisterait à juger les cultures étrangères à partir des valeurs occidentales.

Et enfin, il y a donc le relativiste en histoire, qui affirme que les périodes historiques sont incommensurables les uns aux autres, qu'elles forment des entités culturelles "en soi" qu'on peut définir selon un certain nombre de traits saillants, et que, pour prendre un exemple simple, nos ancêtres français nous sont à peu près aussi étrangers, à nous hommes du XXIe s. que les Papous de Nouvelle-Guinée. Par conséquent, il affirme qu'il est tout aussi illégitime de juger des sociétés passées à la lumière de nos valeurs "contemporaines" qu'il est illégitime de juger de la société papoue à la lumière des valeurs occidentales. Ce relativisme a également un nom, que Tonnerre nous rappelle, on le nomme "historisme" -à ne pas confondre avec l'"historicisme" cher à K. Popper. L'exemple le plus connu d'historiste cognitif en France (qui s'intéresse aux catégories de la pensée), c'est Paul Veyne, qui n'était pas un disciplie de Michel Foucault pour rien. Un exemple célèbre d'historiste axiologique (qui s'intéresse cette fois aux catégories morales), ce sera plutôt le Lucien Febvre du Problème de l'Incroyance au XVIe siècle. Ou A.J. Toynbee dans un autre genre.
Donc, des historiens tout à fait respectables. Mon propos n'est certainement pas, pour ma part, de dire que le relativisme est illégitime, ni en histoire, ni ailleurs. C'est simplement un parti pris dans l'analyse historique, anthropologique, etc. qui correspond aux convictions du chercheur.
Mais il faudrait simplement ne pas se tromper de sujet : Lorsqu'on affirme, en histoire, qu'à des époques différentes correspondent des systèmes de valeurs et des cultures morales différents, on est relativiste. Ne pas être relativiste, cela consiste, au contraire, à affirmer que les valeurs morales, d'une période historique à une autre, sont sensiblement les mêmes.

Au passage, Huyustus, Finkielkraut est relativiste. C'est même l'un des rares représentants de l'historisme philosophique en France, un historisme assumé et revendiquant explicitement l'influence de la source doctrinaire originelle, Herder (cf. La Défaite de la Pensée).

_________________
...que vont charmant masques et bergamasques...


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Message Publié : 01 Juin 2009 3:18 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 05 Jan 2008 16:29
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Bergame a écrit :
Il y avait quelque chose d'assez étonnant dans l'argumentaire de Huyustus, qui, associé à d'autres éléments, pouvait justifier qu'on se demande quel était exactement le propos poursuivi -et la question se pose toujours, je suis bien d'accord avec pierma- et pouvait laisser envisager une instrumentalisation typique de l'histoire au profit d'une prise de position politico-idéologique.


J'en reste sans voix...

Enfin non. Ce retournement est plaisant, Bergame. Moi qui passe mon temps à ferrailler contre l'instrumentalisation de l'histoire en particulier et de la science en général pour quelque cause idéologique que ce soit, ça ne manque pas de sel de vous voir poser cette hypothèse. Je devrais dire cette insinuation, vu que vous n'allez pas au bout, et ne mentionnez pas de quelle "prise de position politico-idéologique" il s'agirait, à part qu'elle serait "proche du pouvoir"...

Pour le reste, j'ai lu avec intérêt votre commentaire à propos du relativisme. Je vous concède que je me suis mal exprimé en parlant de "relativisme anachronique" ; j'aurais dû écrire : "il s'élève contre une certaine propension de certains à juger implacablement le passé sur la base des valeurs de la France de 2009, alors même qu'ils font preuve d'un relativisme complaisant et compréhensif à l'égard du présent, ce qui leur permet de s'auto-proclamer procureurs des hommes du passé et avocats de ceux du présent".
Mais je reconnais bien volontiers que cette phrase participait à la dérive de ce fil de l'historiographie vers la géopolitique contemporaine.

_________________
Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 01 Juin 2009 9:38 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 04 Juin 2006 12:47
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A propos du relativisme moral, et pour continuer ce que j'ai dit plus haut, ce n'est pas tant, dans le cours de l'histoire, les codes de morale qui ont changé que les catégories de personnes auxquelles ils s'appliquent.
Immémorialement, le meurtre d'un individu citoyen libre et sujet de plein droit de son groupe a toujours constitué une faute morale extrêmement grave, et un crime punissable par la justice, autrefois passible de la peine de mort.
Par contre, il n'y a pas, ou moins, de réprobation morale à tuer des non-membres du groupe, durant une guerre mais même en temps de paix; les étrangers n'avaient pas, par principe, les mêmes droits que les citoyens (voir la distinction juifs français/juifs étrangers encore établie par Vichy durant la DGM); et en conséquence tuer un étranger au groupe n'entraîne pas la même sanction morale que de tuer un membre du groupe (je rappelle que je parle de sociétés traditionnelles).
De même que tuer une femme pauvre n'entraînait pas tout à fait la même désapprobation morale que de tuer un citoyen riche et puissant, tuer un esclave était moins grave moralement que de tuer un citoyen, tuer un animal est sans importance etc.
Le progrès moral que nous attribuons à l'époque moderne est du, entre autres, au fait que diverses catégories de citoyens de seconde zone ou de non-citoyens ont accédé, peu à peu et difficilement, au statut de sujet de plein-droit, et donc que les crimes commis à leur encontre sont devenus l'objet de la même réprobation morale que celle qui a toujours frappé les crimes contre les hommes blancs de statut libre à l'intérieur d'un groupe.
C'est justement ce statut de sujet de droit, proche de celui reconnu aux humains, que les militants de la cause animale cherchent à faire reconnaître aux animaux .
Exemple d'anachronisme intéressant de ma part: je pensais que si le droit de vote avait finalement été accordé aux femmes en France (plus de dix ans après la Turquie), c'est parce que les mentalités avaient évolué et que les dirigeants politiques du pays avaient finalement admis que, du point de vue de l'intelligence et du jugement, et avec une éducation identique, les femmes étaient égales aux hommes.
Selon Patrick Buisson dans son livre "1939-1945 années érotiques", tome 2 qui vient de paraître, les raisons alléguées pour justifier l' "octroi" du droit de vote aux femmes étaient d'un tout autre ordre: essentiellement, d'une part, que les femmes, par leur courage, leur dévouement et leur sens du devoir pendant la guerre, avaient "mérité" le droit de vote; et d'autre part, on proposait que leur vote remplace les suffrages masculins manquants--car beaucoup d'hommes n'étaient pas revenus de captivité, ou morts: "n'est-il pas juste de permettre aux femmes de remplacer les hommes aux urnes comme elles les ont remplacés aux champs et à l'usine?" Buisson parle ici de "citoyenneté suppplétive".
Ce qui apparaît dans les réactions au droit de vote pour les femmes citées par Buisson, c'est que ce droit est pensé comme un apanage naturel de la virilité, tandis que pour les femmes, il est la récompense de la vertu: les femmes qui ont "fait la vie" pendant l'Occupation et/ou "fricoté" avec des Allemands devront en être exclues.
Autre point intéressant: sur la question du vote des femmes, le Parti communiste n'a pas pris position.


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