J.Bainville, ce n'est pas un secret, fait partie de ces très belles plumes des intellectuels dits de "droite" du premier tiers du XXème siècle. Même si ses positions n'avaient été qu'une suite d'avis ignominieux, encore son style, comme celui-ci de Michelet dont je le considère comme un de ses héritiers, certes un brin moins lyrique, il mériterait encore qu'on le lise. Mais, belle surprise: Bainville fait preuve dans l'ensemble d'une impartialité assez remarquable si on la considère selon cette vertu (impartialité) qui figure depuis peu alors dans la déontologie de l'historien. Bainville n'est pas historien. C'est un homme de lettres avant tout, un journaliste et écrivain, qui compose donc un livre qui n'apprendra que peu à ceux qui voudraient se plonger en détail dans l'histoire de France. Il n'a jamais prétendu faire oeuvre d'historien et s'emploie seulement à transmettre sa passion de la France. Pour Antoine Prost qui signe la préface dans la collection "Texto", ce nationalisme est peut-être la seule mise en garde à adresser au lecteur. Il est vrai après tout que nous autres, générations du XXIème siècle, ne courons pas un grand danger à ouvrir Bainville et à s'en délecter. Il est juste dans les histoires qu'il rapporte, verse çà et là dans l'histoire contre-factuelle (on comprend que Prost ait signé la préface, lui qui a vu dans la what if history une des modalités nécessaires au bon travail de l'historien !). On peut noter toutefois un penchant à regarder avec mépris cette Allemagne qui n'a pas l'heur d'avoir sa sympathie en cet après-guerre. Et l'auteur appartient bien à son époque en faisant, dans le dernier chapitre, de l'Allemagne le principal responsable de la guerre, elle qui, écrit-il, n'a jamais cessé de vouloir s'imposer par une politique impérialiste (on sent bien le bon vieil article 231 du traité de Versailles qui traîne en arrière-fond...). On excusera Bainville de faire de l'Allemagne l'ennemi héréditaire de la France, d'y revenir sans cesse et de profiter de chaque occasion pour l'attaquer. A peine a-t-il évoqué le Palatinat, Louvois et Louis XIV qu'il s'empresse de reprocher aux Allemands de se plaindre des Français, comme si eux-mêmes n'avaient au fond aucun sang sur les mains.
A mon sens, cette imperfection qui pourrait gêner certains, me semble à bien des égards un témoignage très intéressant de l'usage de l'histoire de France et de ses rapports avec l'Allemagne par un écrivain de talent empli de l'idée de la grandeur de la France et des rivalités franco-allemandes. Pour l'historien, de même que Le Tour de la France par deux enfants est un témoignage unique pour quiconque se penche sur l'histoire du pays de 1870 à 1914, l'histoire de France écrite par Bainville peut se lire en même temps qu'une bonne biographie sur l'auteur afin de mieux comprendre les enjeux de l'écriture du passé. Il y a là un intérêt historiographique: comment un écrivain peut-il faire usage de l'histoire (Antoine Prost le remarque, l'historien n'a pas le monopole de l'histoire, elle appartient à tous et personne) pour justifier une position, susciter des réactions chez le lectorat, etc ?
Permettez-moi pour conclure de vous conseiller de vous y plonger sans hésiter aucunement. On ne ressort jamais indemne de la lecture d'un écrivain de talent (qui plus est quand il a eu la bonne idée d'écrire une histoire de France !).
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