Citer :
Il n'est pas question d'objectivité ou d'impartialité. Il est question de valeurs morales. Un discours n'est jamais désengagé car nous sommes des êtres sociaux. Le travail de l'historien est critique et je ne vois pas comment une critique pourrait être totalement dénuée, détachée de toute morale, qui, à mon sens, est constitutive de l'action de penser et plus encore de celle de communiquer, d'écrire. Sans compter sur les étapes antérieures : choix du sujet, de la problématique, des sources.
Bien sur, nous ne sommes pas désengagés, une critique historique peut être portée par des valeurs morales (l'exemple de Lévi est extrême dans ce sens pour des raisons évidentes).
Mais il y a une différence, entre être inspiré par des valeurs morales ou politiques, et les mettre au centre du travail d'historien comme objet même de ce travail, ce qui le corromp au point d'en faire un simple instrument de propagande.
Bien sûr, cet engagement est essentiel dans le choix des sujets investigués, des hypothèses de départ, des interrogations, mais il ne peut en aucun cas se substituer à l'objet premier de la recherche historique.
Cet object premier (mais non unique) étant l'établissement des faits sur la base des sources disponibles. Tout ce qui entrave ce travail premier de la ''construction" factuelle , ce "noyau dur de l'histoire", comme les valeurs morales, les opinions politiques, les préjugés, doit être autant que possible suspendu, ou au moins placé à distance du travail du chercheur, parce qu'il ne peut que le fausser: l'historien risque ainsi de minimiser, ou au contraire de donner trop d'importance et de signification à certains documents portant atteinte à sa thèse de départ et à ses valeurs. Et son travail perdrait alors toute qualité scientifique pour n'être que l'expression d'opinions subjectives.
A lire certains, on a l'impression que l'engagement moral n'est pas présent juste au départ de la démarche historienne, mais qu'il la surdétermine entièrement et qu'elle doit lui être intégralement soumise, du début jusqu'à la fin du processus de recherche et d'analyse . Autrement dit, dans cette approche, la démarche morale écrase et tue la démarche historique , alors que son rôle serait plutôt de la susciter, de la faire vivre et de l'inspirer sans l'entraver.
Le complément naturel de cette démarche étant la pratique l'anachronisme systématique , réduisant le débat historique à la tenue d'un Nuremberg permanent, ou des individus se constituant en autorités morales autoproclamées, font défiler devant eux toutes les célébrités du passé, évidemment toutes condamnables et toutes condamnées selon nos critères modernes.
C'est une forme dangereuse de détournement de l'histoire, présente dans quasiment toutes les dictatures modernes pour qui l'instrumentalisation de l'histoire est un instrument de pouvoir.
L'histoire n'a pas pour but de dire le bien mais de dire le vrai. C'est une investigation , pas une instruction à charge.
Conclusion pratique: comme nous l'avons dit plusieurs fois, un débat sur le devoir de mémoire a sa place non pas sur PH mais sur le SG.
Je laisse à ses iniateurs le soin de l'y poursuivre.
En prime, cette citation de Bradley: "il n'y a pas d'histoire sans préjugé... C'est en prenant conscience de son préjugé que l'histoire devient vraiment critique et qu'elle se garde ... des fantaisies de la fiction"