Que penser de l'afrocentrisme?
On ne peut rien en penser qui soit sérieusement fondé si l'on en ignore tout. Il faut donc commencer par reconnaître cette ignorance, et continuer de s'en accommoder (ça n'empêchera personne de dormir...) ; ou bien fréquenter quelques textes fondateurs de l'"afrocentricity", dont j'ai maintes fois fourni les références. C'est une simple question d'honnêteté intellectuelle...
En tout cas Wim Van Binsbergen (auteur de l'article en ligne) n'en est plus à se demander ce qu'il faut penser de l'afrocentrisme. Il prend très au sérieux les thèses afrocentristes (sans complaisance, mais surtout sans condescendance), qu'il travaille à tester lui-même, par les moyens académiques les plus rigoureux. Et les résultats de ses propres recherches sont particulièrement favorables aux dites thèses, confortant l'heuristicité du paradigme afrocentrique.
Wim Van Binsbergen a écrit :
Ces paradigmes inverses mettraient plutôt l’accent sur les continuités historico-culturelles:
(a’) entre la Grèce et le Proche-Orient ancien (y compris l’Égypte ancienne);
(b’) entre d’une part les cultures préhistoriques situées sur le continent africain au sud du tropique du Cancer, et l’Égypte d’autre part;
(c’) entre l’Égypte ancienne et les cultures africaines postérieures;
(d’) entre les cultures africaines contemporaines prises dans leurs rapports mutuels, même abstraction faite de I’influence de l’ancienne Égypte.
Pour ma part, je soutiens que ces derniers paradigmes contiennent une critique saine et sérieuse des fausses idées d’hégémonie, et qu’elles sont par conséquent, dans une très grande mesure, vraies (et ce de façon démontrable).
Or, il se trouve que ces paradigmes inverses font partie des thèses centrales de l’afrocentrisme, qui ne peut donc plus être rélégué au rang de fausse conscience ou d’outil de prise de conscience des Noirs, mais mérite d’être admis dans le sein du sein de la recherche.
Congédier ces représentations inverses comme de purs et simples « mythes », à l’instar de ce que fait Howe dans son soustitre et tout au long de son ouvrage, ce n’est pas seulement commettre une injustice, c’est aussi faire preuve de myopie, car la nature potentiellement mythique des paradigmes dominants est insuffisamment mise en avant.
L'afrocentrisme vise à élaborer et à promouvoir un point de vue africain dans la manière de connaître le monde. Un discours africain sur le monde, imprégné de l'expérience africaine multimillénaire de ce monde. Bien entendu, la mise en actes d'un tel discours est expressément consubstancielle au projet afrocentrique. En sorte que ce n'est pas seulement un courant intellectuel, c'est aussi une matrice théorique pour des institutions et pratiques politico-culturelles concrètes, visant à sortir l'Afrique de la misère (matérielle, intellectuelle, culturelle, spirituelle) où elle se triouve depuis trop longtemps...