Toute construction étatique suppose une reconstruction de l'histoire et une recherche d'ancêtres. Au XVIe siècle, un historien français avait mentionné un certain Francus, fils de Priam. Avant la Révolution, la noblesse française prétendait descendre des Germains conquérants, dominant les descendants des Gaulois soumis.
N'exagérons rien; à la fin du XIXème, l'Etat français avait déjà quelques siècles de vol, et une réalité pesante connue de tous. Le plus important du contexte d'alors me semble être l'avènement de la IIIème république, après de nombreuse décennies d' empires, de restaurations et de monarchies, faisant suite à une défaite majeure et à la perte d'un morceau de territoire hautement symbolique. C'était surtout cette image d'une république forte, une et indivisible (ô combien indivisible!) qu'il fallait asseoir, tout comme il fallait faire prendre au peuple le tournant majeur de la révolution industrielle... Ce n'est certes pas un hasard si la plupart des "héros" mythifiés par cette "histoire de france" illustrent ceux qui se battent jusqu'au bout contre l'envahisseur ou ceux qui menacent nos frontières (Vercingétorix évidemment, mais aussi Jeanne Hachette, le "grand ferré", Duguesclin, Jeanne d'arc (née où? je vous le donne en mille, dans la chère province volée par les teutons), Barat, etc...etc...
Cette "histoire de france" là (que j'ai encore anonnée sur les bancs de l'école au début des années soixante) faisait partie d'un "kit" idéologique et politique très IIIème, qui incluait:
- un peuple et une histoire commune, et une lutte féroce contre les cultures et langues régionnales (on peut pleurer de voir les écoliers algériens ou canaques réciter "nos ancêtres les gaulois", c'était tout aussi lamentable pour les bretons, les basques, les catalans ou les alsaciens -euh, non, pardon, pas les alsaciens justement- qui devaient abandonner leur langue maternelle sous peine de sanctions permanentes)
- une guerre républicaine, anti-royaliste (les royalistes étaient encore très forts et très menaçants), anti-cléricale (les cléricalistes s'identifiant peu ou prou avec les royalistes)
- une école pour tous, publique, laïque et obligatoire (j'y reviendrai)
- un colonialisme offensif, sur fond idéologique de mission civilisatrice...
Certes, il est inutile de chercher à distribuer des bons ou des mauvais points à tels ou tels historiens, hommes politiques ou enseignants, ces acteurs réagissant comme des hommes et des femmes de leur époque, et y apparaissant d'ailleurs comme des progressistes et des humanistes, mais
Je pense qu'il n'y avait pas de volonté consciente de faire partager aux enfants des colonies l'histoire des Français. Comme l'a écrit Faget, c'est plutôt l'utilisation de manuels scolaires faits pour notre pays qui en a été la cause.
(
J'ai enseigné la physique en Afrique Noire, au bord de la mer, il y a quelques années . L'explication de la notion de pression proposée dans le manuel du lycée où j'enseignais, reposait sur une magnifique photo d'un skieur dévalant une pente neigeuse ! Cela n'était évidemment pas une incitation à venir faire du tourisme dans les Alpes )
Je pense que la majorité des enseignants utilisant ces manuels d'Histoire faits pour les Français n'en a pas "profité" pour essayer de produire de nouveaux Français dans les colonies, et qu'elle était consciente du décalage, et donc du côté ridicule, à insister sur "nos ancêtres".
Si, les "hussards noirs de la république" avaient été créés pour porter cette idéologie, pour la faire passer, de force si nécessaire, en France comme dans les colonies. Vrais soldats de l'an II de la troisième république, mal payés, mal considérés, souvent mal accueillis dans nombre de provinces, ils considéraient leur mission comme un véritable apostolat, d'autant plus investi qu'ils pensaient sincèrement être porteurs du progrès et de la liberté... et cela ne retire rien à leurs qualités personnelles... simplement autres temps, autres moeurs... peut-être est-ce à ce prix que la fille aînée de l'église devient l'arrière-petite fille de gaulois.
Peut-être aussi est-ce cette vision historique, collée étroitement aux priorités politiques, voire en dépendant presque entièrement, étriquée, anachronique et étroite, qui nous parait aujourd'hui si ridicule.
Afin qu'aucune interprétation douteuse ne soit faite de ce post, je précise que je me définis comme athée, laïque, républicain, et si possible progressiste.
Mais je ne suis pas sûr qu'un peuple ait besoin d'un mythe fondateur pour exister, surtout s'il faut le faire payer à d'autres.