Bonjour à vous,
Ravi d'apprendre qu'il y a comme moi, un historien manifestement très intéressé par ce dialogue entre l'histoire et henry. ça fait plaisir. En effet je pense que nous pourrions échanger passionnement et stimuler nos propres réflexions respectives.
j'ai commencé à découvrir les textes d'henry à sa mort en 2002, quand quelques profs de l'université de montpellier où il avait enseigné, décidèrent de lui rendre hommage. Un sociologue jean-marie brohm nous parlait passionnément dans ces cours de cet auteur qui avait été son ami. Et puis henry... c'est un peu comme l'histoire de la marmite de potion magique, vous y mettez seulement le doigt, et hop vous voilà tout entier dans le chaudron, sans aucun véritable bagage " philosophique " préalable. Sans vraiment vous en rendre compte voici que vous cotoyer des étudiants en philo et que vous parcourez la France pour aller écouter dans un séminaire ou un colloque, une belle brochette de sages dissertant indéfiniment sur la vie auto-affective. Mais cette lecture m'a surtout permis de garder un regard décalé, critique voire sceptique sur l'épistémologie de notre discipline.
Mais comme j'aime toujours l'histoire, comment faire de l'histoire avec henry ? peut-on seulement continuer à faire de l'histoire ?
Henry n'a hélas engagé un dialogue plein et complet qu'avec une seule des sciences humaines : la psychanalyse (Généalogie de la psychanalyse). Avec les autres disciplines, il n'a rien développer du type de l'ouvrage que Ricoeur a écrit sur l'histoire (que je n'ai pas lu). Il y a donc juste des chapitres d'ouvrages ou des sujets de conférences.
Si je devais résumer (certainement maladroitement) le propos d'henry sur les sciences humaines, je dirais que pour lui ce sont des sciences qui ne connaissent pas leurs fondements ontologiques. Elles ne savent pas de quoi elles parlent ni d'où elles proviennent, elles ne savent pas de quelle réalité elles parlent car elles ne restent dans une attitude naturelle face aux choses, aux " faits ". Henry fait en effet une distinction majeure entre les savoirs aprioriques (ceux qui n'ont besoin d'aucun empirisme) et les savoirs apostérioriques (déterminés par l'empirisme - hypotético-déductif ou pas). Les savoirs apostérioriques (qui sont les sciences humaines mais aussi les sciences dites dures) ne savent pas véritablement dire de quelle réalité relèvent l'économique, la socialité, l'historique, le politique, le psychique, la matérialité des choses. La force de la philosophie d'henry (pour faire court), c'est de dire que le fondement de l'économique est méta-économique, que le fondement du politique est méta-politique, etc, etc. Et il dit cela à travers une critique sans concession de la représentativité. Les fondements de nos sciences sont irréprésentables, inénarrables, indicibles, invisibles. Ce fondement commun à notre activité vivante (manger, se mouvoir, sentir, lire, apprendre, aimer, souffrir...) provient d'une expérience invisible à la conscience mais toujours présente et la déterminant : l'auto-affectivité de la vie en nous. Sentir, c'est toujours et d'abord l'expérience de se-sentir soi-même. Et il n'y a là nullement de transcendance. Car ce s'éprouver soi-même de la vie en nous-même, expérience singulière et plonger à jamais dans sa nuit abyssale, est conçu dans une immanence pleine et entière au sujet.
Pour ramener à l'histoire, toute approche biographique et même historiale est donc radicalement écartée par henry. Ce qui nous détermine véritablement, n'apparait pas à la surface des phénomènes, n'est pas conscientisable, n'est pas représentable. Henry utilise cette métaphore, nous sommes portée par la Vie, comme un nageur est porté par l'eau d'une rivière. Si la pratique historienne est d'abord l'histoire des " contenus conscientisés ", alors l'Histoire décrite dans nos livres, est déjà l'histoire des représentations, du langage, des phénomènes appartenant à l'extériorité du monde de la vie immanente. Comment devant une source judiciaire du Moyen Age, percevoir la Réalité de l'activité vivante qui n'est que là, que conscientisée ? Si seul le vécu fonde, alors ce que l'on croit décrire et dégager à travers nos sources, c'est déjà de la mort, du déjà (et irrémédiablement) passé. Jamais la mise en place d'une quelconque grille d'interprétation objective, nous permettra de comprendre, car le comprendre n'existe que dans le vivre du présent vivant. Finalement faire de l'histoire est un projet impossible. Mais alors ? que faire ?
Pour ne faire que reprendre le résumé du chapitre de la Barbarie consacré au sciences humaines (le site sus-mentionné) " Les idéologies de la barbarie " contenu dans La Barbarie : " Il s’agit essentiellement des sciences humaines dont l’éclosion caractérise la culture moderne. Théoriquement c’est l’homme qu’elles prennent en vue : langage, historicité, socialité etc. Toutefois elles font abstraction de l’Individu transcendantal que nous sommes, mettant hors jeu sa subjectivité, au mépris de leur finalité réelle. Leur traitement de type mathématique appauvrit le fait humain. Devant le suicide, la sexualité, l’angoisse, que valent des statistiques ? Plus on accumule de connaissances positives, plus on ignore ce qu’est l’homme. Et pourtant la vie, écartée à notre époque, n’en subsiste pas moins sous une forme élémentaire, vulgaire, voire dans son auto négation. "
quelques textes qui peuvent interpeller l'historien :
- une conférence " Phénoménologie et sciences humaines. De Descartes à Marx ", dans Auto-donation. Entretiens et conférenres, Beauchesne. (idéal, et facile à lire)
- dans le même recueil, " Le temps phénoménologique et le présent vivant " (vraiment très beau).
- Le chapitre " Les idéologies de la barbarie ", dans La Barbarie. Directement sur les sciences humaines. (facile à lire)
- Et bien sûr, l'ouvrage qui pour moi est le plus important pour l'historien, c'est les 2 volumes du Marx de M.H. Vraiment extraordinaire, une interprétation très très originale. (déjà plus dur)
- Dans Phénoménologie matérielle, il y a un très beau texte qui interpelle directement l'historien : " Phénoménologie de la communauté " (mais de ces textes c'est il me semble le plus complexe).
- Une élève sociologue de brohm a également passé en 2000 sa thèse avec dans son jury henry (et morin aussi). Sa thèse est très influencée par les thèmes henryens. La première partie de sa thèse seulement a été publiée : Magali Uhl, Subjectivité et sciences humaines. Essai de métasociologie, Beauchesne. C'est un travail, qui me semble donner des pistes importantes sur le type de recherche a mener entre henry et l'histoire.
_________________ " Les marxismes sont l'ensemble des contre-sens qui ont été faits sur Marx " (Michel Henry)
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