Avant d'examiner "histoire des Hébreux en Égypte", penchons-nous sur les sources égyptiennes. (Le message est un peu long mais il nous faut ancrer le sujet dans deux "mondes" différents.)
Peu avant Manéthon, le philosophe grec Hécatée d'Abdère, contemporain d'Alexandre le Grand, avait écrit une sorte de traité ethnographique dans lequel il rapporte certains faits qu'il semble tenir de sources égyptiennes assez identiques à celles auxquelles avait déjà puisé Hérodote un siècle avant lui mais dont il semble se distancier davantage. Son contenu nous a été en partie conservé par Diodore de Sicile dans sa Bibliothèque historique. Il nous y est conté qu'une épidémie s’étant déclarée en Égypte, on avait attribué ce mal « à une foule d’étrangers de toutes sortes » qui vivaient dans le pays en y pratiquant des rites religieux sacrilèges. Les Égyptiens auraient alors décidé de les expulser. Les uns, les meilleurs, se seraient établis en Grèce, tandis que les autres, sous la conduite d'un chef nommé Moïse, se seraient fixés dans une contrée inhabitée appelée Judée. Ils y auraient fondé une ville nommée Hiérosolyma (Jérusalem). Par la suite, Moïse leur aurait donné des lois, fondé le Temple de leur religion et divisé le peuple en douze tribus. Ce Moïse aurait aussi enseigné à ces gens un mode de vie apanthrôpos (« qui se détourne des autres hommes ») et misoxenon (« hostile aux étrangers »).
Manéthon écrit son Aiguptiaka environ 50 ans plus tard, vers 270 av. J.-C. L'ouvrage semble s'être présenté comme une chronologie des pharaons assortie de la durée du règne de la plupart d'entre eux et de certains faits marquants mêlant légendes, traditions populaires et historicité. Très tôt, un abrégé de l'ouvrage, dit Epitomé, en est tiré, probablement écrit par un élève de la Bibliothèque d’Alexandrie. Il n'aurait plus repris que les noms des rois et la durée de leur règne.
Il semble qu'ensuite l'histoire de l'Égypte n'ait plus intéressé grand monde. Jusqu'à ce que, deux cent cinquante ans plus tard, sous le règne de l’empereur Auguste (27 av. J.-C.-14 ap. J.-C), le prêtre égyptien Ptolémée de Mendès écrive à son tour une Aiguptiaka prétendument copiée sur celle de Manéthon [Tertullien, Apologétique, 19]. Cette œuvre est assortie de gloses et de propos calomnieux sur les Juifs dont rien ne permet d'affirmer qu'ils aient fait partie de l’œuvre originale de Manéthon.
Vers 35, le grammairien alexandrin Apion se mêle, lui aussi, d'en écrire une. En fait, il copie Ptolémée de Mendès [Clément d'Alexandrie, Stromates, VI, XXI, 69-70] et renforce les allégations antisémites de ce dernier. Selon Apion, Moïse n'aurait emmené avec lui que la lie du peuple : des lépreux, des aveugles, des boiteux… Ce sont les propos de ce dernier ouvrage (postérieur de trois siècles à Manéthon) que Flavius Josèphe (ca 37-ca 100) va tenter de réfuter dans son Contre Apion. Pour prouver l'antiquité du peuple juif, il va, comme on l'a dit, se référer à Manéthon alors qu'il n'a sans doute sous les yeux qu'un texte de « énième » main. Ces « étrangers de toutes sortes » ou ces « lépreux » y sont d'abord présentés comme des envahisseurs pacifiques. (qui se verront ensuite traiter de barbares et d'égorgeurs.) Ils s'emparent du pouvoir et fondent une dynastie. Mais les Égyptiens, par la suite, se révoltent, les vainquent et les enferment dans Avaris. Assiégés en cette ville, ils finissent par négocier un traité les autorisant à quitter l'Égypte et se réfugient en Syrie. Voilà pour la première version. Un peu plus loin dans son œuvre, Josèphe s'insurge contre une tradition rapportant qu'un roi nommé Aménophis, désirant purger l’Égypte des « lépreux et autres impurs » qui y pullulaient, les fit enfermer, d'abord dans des carrières, puis dans la ville d'Avaris devenue déserte depuis le départ des Hyksôs. Les impurs s'y soulevèrent et appelèrent à leur secours les Hyksôs précédemment expulsés. À la tête de ces gens, se trouvait un prêtre retors nommé Osarseph, qui prit par la suite le nom de Moïse. Heureusement, Aménophis et son fils Ramsès réussirent à les vaincre et les chassèrent en Syrie. Joseph précise cependant qu'il s'agit là de faits que « Manéthon a ajoutés, non d'après les livres égyptiens, mais, de son propre aveu, d'après des fables sans auteur connu » [Contre Apion I, XVI, 105]. Ce qui ne l'empêchera pas, plus loin encore, de taxer Manéthon d'antisémitisme, écrivant que « il prend la liberté, sous prétexte de raconter les fables et les propos qui courent sur les Juifs, d'introduire des récits invraisemblables et veut nous confondre avec une foule d'Égyptiens lépreux et atteints d'autres maladies, condamnés pour cela, selon lui, à fuir l'Égypte » [Contre Apion I, XXVI, 229.].
Un siècle plus tard, Jules l'Africain (ca 180-ca 250) commet sans doute la même erreur que Josèphe en copiant un texte déjà retouché, voire en mélangeant plusieurs sources. Selon cet auteur, la XVe dynastie avait consisté en six « rois étrangers de Phénicie » (phoinikès xénoi basiléis) qui prirent Memphis, fondèrent Avaris et soumirent l'Égypte. Il leur attribue des noms différents de ceux de Josèphe, ne les cite pas dans le même ordre et change ou intervertit la durée de leur règne. Enfin, pour la durée totale de la dynastie, il donne une somme qui ne correspond pas à l'addition de ses propres chiffres, somme qu'il a sans doute tirée d'un autre comput et dont il a omis de vérifier la concordance avec le sien. On se doute que ce prêtre chrétien d'origine juive se scandalisa du fait que l'histoire de Manéthon faisait le monde plus vieux que ce qu'en disaient ses livres pieux et tenta d'arranger les dates.
Vient ensuite la version de l'évêque Eusèbe de Césarée (ca 265-ca 340). Son original est perdu. Deux copies nous en sont parvenues : l'une composée d'extraits compilés par le chronographe byzantin Georges le Syncelle vers 800 (mais que ce dernier adorne de commentaires de son cru, voire de corrections) et une autre, dite « version arménienne », tirée probablement d'un original d'Eusèbe par un auteur arménien anonyme. Selon Eusèbe, la dynastie fut constituée « de bergers [poimenès] et de frères [adelphoi] », tous de Phénicie, qui prirent Memphis. Il ne cite que quatre d'entre eux (et non six) et leur ordre est différent dans les deux copies. Peut-être Eusèbe s'aperçut-il qu'il n'avait pas copié à la bonne source (mais à celle de Ptolémée de Mendès) et refondit-il en partie sa chronologie dans ses Chronikoi conservées par le copiste arménien.
Entre temps, les écrits antisémites les plus extravagants s'étaient multipliés. Trogue Pompée, historien du Ier siècle, avait donné les Juifs pour originaires de Damas (pour lui, Moïse était un fils de Joseph chassé d’Égypte pour avoir affligé les indigènes de la lèpre). Celse, philosophe du milieu du IIe siècle, considérait les Juifs comme des imposteurs et des vagabonds d'origine égyptienne chassés pour rébellion. Selon d'autres encore, le surnom de Moïse était Alpha car son corps était couvert de dartres (alphoi)…
Reprenons Manéthon. D’après un fragment donné pour textuel par Flavius Josèphe mais qui reproduit sans doute une version déjà altérée par un copiste, un événement d'une gravité exceptionnelle se produisit sous le règne d'un roi « Timaios » : « La colère divine souffla contre nous, et à l'improviste, de l'Orient, un peuple de race inconnue eut l'audace d'envahir notre pays, et sans difficulté ni combat s'en empara de vive force. Ils se saisirent des chefs, incendièrent sauvagement les villes, rasèrent les temples des dieux et traitèrent les indigènes avec la dernière cruauté, égorgeant les uns, emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres » (Contre Apion, I, XIV, 75-76). Le nom du pharaon sous le règne duquel se serait établi la mainmise de ces étrangers sur le Delta est transcrit τοõ Τιμαιος dans le texte de Josèphe. Il s'agit sans doute d'une erreur de copie de Tοõτιμαιος, probable hellénisation du nom de naissance d’un roi de la fin de la XIIIe dynastie : Didoumès. Le P. Turin (VII, 13) mentionne bien un roi Didoumès dans cette dynastie mais sans indiquer son nom de couronnement. Or les monuments nous font connaître deux Didoumès : Djedhotepré et Djedneferré. La quasi similitude de leur nom de couronnement indique qu'ils doivent être chronologiquement voisins. À moins qu'il ne s'agisse d'un seul et même personnage qui aurait changé une partie de sa titulature, pratique assez courante. Cette absence de nom de couronnement sur le P. Turin trahit l'ignorance et l’embarras du scribe à cet égard. La copie de Josèphe évoque ensuite un « peuple de race inconnue ». Or nous savons que les envahisseurs dont parle cet auteur furent majoritairement des Sémites du sud de Canaan, population que les Égyptiens connaissaient parfaitement et depuis toujours. Peut-être doit-on y voir l’indication, souvent admise, qu'à ces Sémites étaient mêlés des éléments de souche jusque là inconnue dans la Vallée du Nil. On a beaucoup extrapolé à leur sujet mais rien n'est sûr. Ensuite, il semble que Josèphe recopie une glose sans s’en rendre compte. Après avoir décrit la chute de l’Égypte aux mains des envahisseurs « sans difficulté ni combat », voici qu’il les dépeint dans la phrase suivante sous les traits de brutes sanguinaires, « égorgeant les uns, emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres ». Cette imputation de cruauté a certainement pour origine une ajoute d’un copiste antérieur à Josèphe, qui, n'ayant pas eu accès à la source originale, transpose ici les souvenirs de l'invasion du delta par les Perses… douze siècles plus tard.
« À la fin, ils firent roi l'un des leurs nommé Salitis. Ce prince s'établit à Memphis, levant des impôts sur le haut et le bas pays et laissant une garnison dans les places les plus convenables. Surtout il fortifia les régions de l'est, car il prévoyait que les Assyriens, un jour plus puissants, attaqueraient par là son royaume » (Contre Apion, I, XIV, 77-78). Ce Salitis (nommé Saïtès chez l'Africain, et Silitis chez Eusèbe) n'a jamais pu être relié à un nom livré par l'archéologie. Le P. Turin est irrémédiablement détruit à l'endroit où figurait la translittération de son nom. Peut-être ce personnage entreprit-il de restaurer les fortifications orientales érigées trois siècles auparavant par les premiers rois du Moyen Empire. Mais s'il les remit en état (ce qui n'est pas avéré car elles n'ont jamais été clairement identifiées), ce ne fut certainement pas pour se prémunir d'une invasion en provenance d'Asie. Il n'avait, en principe, rien à craindre de ce côté, et surtout pas des Assyriens : l'époque à laquelle se situe le récit est bien antérieure à l'émergence de ce peuple sur la scène internationale. L’Assyrie de ce temps est en plein déclin depuis un siècle et ses rois ont beau se donner des titres ronflants, ils ne sont pour la plupart que des « fils de personne », c'est-à-dire des usurpateurs ne régnant que sur la ville d'Assur et sa province. L'explication donnée par Manéthon montre simplement que celui-ci croyait en l'existence passée et en la possible résurgence du légendaire royaume assyrien de Ninos et de Sémiramis.
« Comme il [Salitis] avait trouvé dans le nome séthroïte une ville d'une position très favorable […] appelée, d'après une ancienne tradition théologique, Avaris, il la rebâtit et la fortifia de très solides murailles. […] Après un règne de dix-neuf ans, il mourut. […] On nommait tout ce peuple Hyksôs, ce qui signifie rois pasteurs, car "hyk" signifie roi dans la langue sacrée, et "sôs" veut dire pasteurs dans la langue vulgaire » (Contre Apion, I, XIV, 79-82). Manéthon aurait donné à ce peuple le nom de Hyksôs en nous en livrant l'étymologie erronée de « rois pasteurs ». On a peine à croire qu’étant prêtre égyptien — donc lisant les hiéroglyphes —, il ait pu se méprendre à ce point. Le terme grec hyksôs est la transcription de l'égyptien heqa khasout, « chef des pays étrangers ». L'étymologie liant cette appellation aux termes grecs basiléa, « roi », et poimen, « pasteur », n'apparaît qu'à cet endroit et uniquement dans la copie de Josèphe. Ailleurs, chez Josèphe comme chez les autres abréviateurs, c’est toujours le mot poimenès, « pasteurs, bergers », qui est employé seul. Josèphe pourrait avoir, là aussi, recopié une erreur livrée par un transcripteur.
L'hiéroglyphe heqa (pluriel, heqaou) représente un sceptre. Il implique une notion d'autorité. On le traduit par « dirigeant, chef ». Le signe khaset représente un paysage montagneux, au contraire de l'Égypte considérée par ses autochtones comme un pays plat (ce signe répété trois fois en superposition ou suivi des trois traits du pluriel se prononce khasout). La dénomination heqa khasout n'était pas nouvelle. Sous l’Ancien Empire, elle servait déjà à désigner les chefs nubiens. Après avoir été appliquée aux Nubiens et aux Cananéens, on l'appliqua aussi aux Libyens, ce qui lui dénie toute acception précise d'ordre ethnique. Elle prendra une éphémère connotation péjorative sous la XVIIIe dynastie puis disparaîtra de la documentation. Cette épithète de « pasteurs » appliqée aux Hyksôs par les auteurs de langue grecque est — involontairement de leur chef — dépréciative car basée sur des documents ou des on-dit égyptiens partiaux qui avaient considérés ces premiers conquérants de l'Égypte sous un jour malveillant. Il est évident que les élites hyksôs n'étaient pas constituées d'anciens gardiens de chèvres qui avaient réussi mais d'intellectuels (toutes proportions gardées) dirigeant un ensemble de populations assimilées par les Égyptiens aux clans de bergers asiatiques velléitaires et incultes qu'ils connaissaient.
Ce que Manéthon ne pouvait savoir — ses sources étant sans doute muettes sur ce point —, c'est que ceux qui allaient devenir les Hyksôs étaient déjà installés en Égypte depuis longtemps. Bien intégrés, quoique ayant conservé leurs noms sémitiques, ils s’étaient égyptianisés au point d’avoir adapté certains dieux locaux à leurs conceptions religieuses. D’abord simple main-d’œuvre importée du Levant sous la XIIe dynastie, ils s'étaient rapidement posés en partenaires commerciaux incontournables. La plupart d'entre eux vivaient dans la région d'Avaris (en égyptien, hout-ouaret, « grand château » — actuelle Tell el-Daba), important port fluvial situé sur la branche pélusiaque du delta du Nil. On en trouvait également plus au sud, à Tell el-Yahoudieh, Héliopolis, Memphis et même en Moyenne-Égypte, à Kahoun, en bordure du Fayoum. Il semble que les rois de la XIIIe dynastie aient été incapables d'enrayer un incessant afflux d’allochtones en provenance du sud cananéen ou qu'ils n'en aient pas pressenti les conséquences. Cette ingression non contrôlée va finir par modifier l’équilibre démographique du delta oriental et préparer un terrain propice à l'émergence des Hyksôs. Un papyrus conservé au Brooklyn Museum de New-York reproduit un décret du pharaon Sobekhotep III relatif à un transfert de 95 serviteurs ; 48 d’entre eux portent des noms cananéens.
Aux alentours de 1750, un potentat du delta, profitant de l’instabilité de la couronne, se détache d’un pouvoir qui n’a plus de central que le nom et fonde une dynastie parallèle, la XIVe. On ignore pratiquement tout de cette dynastie. On ne connaît ni le nom de son fondateur, ni son ancrage géographique. D'aucuns, se fiant en cela au texte de Josèphe, lui donnent encore pour origine la ville de Xoïs dans le delta central (l’ancienne Khasouou, actuellement Sakha), alors que les fouilles menées sur ce site n'ont rien révélé des rois qui l'auraient composée. Les deux seuls à être un peu connus, Néhésy et Merdjefaré, n'ont laissé des monuments que dans le delta oriental, dans la région d'Avaris et de l’ouadi el-Toumilât plus précisément. Les premiers représentants de cette dynastie indigène ne vont pas tarder à être remplacés — on ignore dans quelles circonstances — par des rois portant pour la plupart des noms ouest-sémitiques.
En un quart de siècle environ, les rois d'Avaris arrivent à prendre le contrôle d’autres métropoles nordistes, apparemment dans l’indifférence générale. Jusqu'à ce que Memphis, la glorieuse capitale de l’Ancien Empire, finisse par tomber sous leur coupe. Bien qu'aucun document ne nous renseigne sur ce point, c'est sans doute ainsi qu'il faut comprendre ce que Manéthon entendait initialement par invasion « sans difficulté ni combat ». L'égyptologie actuelle ne voit plus dans cette prétendue invasion une conquête sauvage menée par des hordes supérieurement armées et montées sur des chars de guerre tirés par des chevaux, hordes face auxquelles les Égyptiens seraient restés hébétés. Bien qu'aucune trace de char n'ait jusqu'à présent été trouvée à Avaris, il semble que ce soit seulement vers la fin du règne du cinquième et avant-dernier roi hyksôs, Apopi, que les Asiatiques aient utilisé cet engin à des fins militaires. Ce qui ne leur servit à rien car entre temps, les Égyptiens l'avaient adopté eux aussi. En réalité, la prise du delta par les Hyksôs paraît s'être appuyée davantage sur la passivité des Égyptiens eux-mêmes que sur une sorte de cinquième colonne constituée de Sémites égyptianisés.
Une fois Memphis occupée, peut-être vers 1700 (alors que le pharaon légitime Didoumès règne peut-être toujours nominalement), Salitis adopte une titulature royale et fonde la XVe dynastie. Il étend ensuite son influence jusqu'en Moyenne-Égypte. Les derniers représentants de la XIIIe dynastie n’ont alors d’alternative que de se replier au sud, vers Thèbes, où l’on finit par perdre leur trace.
C'est sur ces entrefaites qu’une nouvelle poussée migratoire a dû déferler du Levant, peut-être engendrée par la conjugaison de mouvements de populations au nord de la Syrie euphratéenne et d’une succession de famines. Des « réfugiés » cananéens semblent s'être installés sans problème dans la partie orientale du delta sous la bienveillante attention de leurs « frères » égyptianisés.
La lignée des Grands Hyksôs aurait compté 6 rois. La durée totale de leurs règnes varie suivant les copistes : 259 ans et 10 mois selon la version de Josèphe, 284 ans selon les copies de l’Africain et d'Eusèbe conservées par le Syncelle, 103 ans selon la version arménienne d'Eusèbe. Le P. Turin donne lui aussi un total de 6 rois à la XVe dynastie mais pour une durée de 108 ans, chiffre plus conforme à la réalité que les deux siècles et demi livrés par Josèphe et l’Africain. Le papyrus est hélas irrémédiablement détruit dans sa partie relative aux Grands Hyksôs (colonne X, lignes 14 à 21). La logique voudrait cependant que, si le séjour des Hyksôs s'était étalé sur près de trois siècles, la XVe dynastie eût compté plus de six rois. Le cas échéant, davantage de monuments à leur nom auraient été retrouvés et pas seulement de minuscules scarabées, quelques blocs épars, un peu de vaisselle et une quinzaine de statues usurpées.
Une fois installés à Memphis, les Grands Hyksôs semblent avoir rapidement délégué une parcelle de leur autorité et de leurs possessions périphériques à leur fratrie (mais aussi à des « princes » indigènes) en échange de leur allégeance, de la mise en valeur des terres allouées et de probables impositions. Les noms de ces principicules, que nous nommons les Petits Hyksôs, trahissent le plus souvent une origine cananéenne : Yaqeb-aamou, Anath-her, Sem-qen… On ignore tout de leur ordre de succession, de la durée de leur règne, de leur lieu de résidence et de l'étendue du territoire sur lequel s’exerçait leur autorité. Le P. Turin leur accorde neuf lignes (au contenu perdu) mais les scarabées qu'ils ont laissés nous révèlent entre vingt et trente de ces personnages. La plupart d'entre eux, bien qu'ils aient adopté un protocole royal, n'ont sans doute dirigé que des chefferies locales. Quant à Manéthon et à ses abréviateurs, ils en comptent encore davantage, répartis avec les rois de dynasties parallèles.
Petit à petit, les Grands Hyksôs, qui ont adopté le mode de gouvernement égyptien, assoient leur domination de manière pacifique sur toute la Basse et la Moyenne-Égypte, ainsi que sur le sud cananéen. Mais, bien qu'ils entretiennent des relations non agressives avec les rois indigènes de la XVIIe dynastie thébaine, un ressentiment nationaliste teinté de racisme va finir par naître chez ces derniers, pétris d'une conviction de légitimité déniée aux occupants du delta. Les Thébains, qui jusqu'ici semblaient même les reconnaître comme pharaons légitimes et leur payer tribut, vont se mettre à les dépeindre de manière malveillante, alors que rien (hormis leur mainmise sur l'Égypte, bien sûr) ne justifie ce jugement. Les Hyksôs respectèrent à leur manière la civilisation égyptienne, qu'ils admiraient sans aucun doute. Ils adoptèrent rapidement les dieux du panthéon égyptien, les identifiant parfois aux leurs, et leur érigèrent des temples. Ils prirent des noms théophores égyptiens et se servirent de l'écriture hiéroglyphique. Leur administration, soutenue par leurs vassaux et leurs sujets, rendit à la Basse et la Moyenne-Égypte la prospérité qu'elles avaient perdue sous les derniers rois nationaux. On ne connaît rien de ce qu'il en était à Memphis mais à Avaris, l'élite hyksôs menait une vie raffinée dans des palais entourés de jardins plantés d'arbres bien alignés et de vignobles. Durant le long règne d'Apopi, on se mit même à recopier des œuvres littéraires ou scientifiques du passé comme le P. Rhind.
C'est dans le cadre de l'installation des « Petits Hyksôs » qu'il semble le plus logique de situer l'arrivée des Hébreux en Égypte. L'hypothèse fait d'ailleurs l'objet d'un consensus quasi général, sauf chez les « minimalistes », qui la rejettent carrément.
_________________ Roger
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