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Message Publié : 11 Fév 2013 19:04 
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Plutarque
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L’épisode de l'érection de la Tour de Babel est conservé en Gn 11. Ce texte, maintes fois retouché, mêle deux traditions diffé­rentes fondues en un court récit : on y parle en même temps d’une ville que des hommes bâtirent dans un but bien précis et d’une tour dont ils entreprirent l’érection dans un tout autre contexte. Cette historiette semble vouloir donner, d'une part, l’étiologie de la dispersion des hommes sur la terre, et, d'autre part, de la diversi­té des langages.

« Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entre­prises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréali­sable pour eux » (Gn 11, 5-6). Le dieu biblique se trouve effaré devant l’ingéniosité de ses créatures. Com­ment va-t-il réagir ? De manière méchante : il va dis­perser ces hommes, ce qui constitue, on le sait, le pire des châti­ments que l’on puisse in­fliger à un peuple sédentaire. Et cela parce qu’à partir de pré­misses mal interprétées, le scribe biblique a ima­giné que l'in­tégrité du domaine divin pourrait être menacée par l’érection de cet édifice parais­sant s’élancer vers le ciel, comme le feront, des milliers d’an­nées plus tard, les tours de Notre-Dame de Paris ou les flèches de la cathédrale de Chartres. Or dans l’optique des concepteurs du récit primitif, l’érection de ce type d'édifice (une ziggourat, monu­ment constitué d'une succession de pyrami­des tronquées empi­lées l’une sur l’autre) n’était empreinte d’aucune connota­tion orgueilleuse mais, bien au contraire, de respectueuse commensa­lité : les hommes ne proposant aux dieux ni plus ni moins que de venir par­tager les rites et les fêtes insti­tués en leur honneur dans le temple bâti sur le dernier étage.

Bab il, « Porte du Dieu », nom amorrite de Babylone, est la trans­position en sémitique de l’ouest du nom sumé­rien de la ville, Ka-din­gir-ra (même signification). Bab el en est la trans­cription hé­braïque. Le scribe, Sémite lui-même, ne pou­vait l’ignorer. Il en fournit sciemment une étymo­logie erronée (rapprochant maladroitement bab el du verbe balal, « confondre, mélanger ») rien que pour donner son sens étiologique au récit qu'il propose.

Contrairement au Jardin d’Éden et à l’Arche de Noé, la Tour de Babel a bien existé. Consacrée au dieu Marduk: elle était la plus haute ziggourat de toute la Méso­potamie. Comme tous les édi­fices religieux, elle portait un nom sumérien : E-temen-an-ki, « Maison du Fondement du Ciel et de la Terre ». (Le sumérien, devenu une langue morte, était resté la langue cultuelle de Babylone, comme le fut chez nous le latin d’église jusqu’au milieu du 20e siècle.) Le gigantisme du bâtiment a frappé de stupeur les exilés de Babylone. Réinterprétant alors prenant les légendes locales selon leurs conceptions pessimistes, ils créent le récit biblique de la construction de cette « tour ».

On ignore quel sou­verain entreprit l'érection de l'édifice. Son cœur en briques crues, plus ancien que ses 15 m de parois extérieures en briques cuites, pourrait remonter à Hammou­rabi (vers 1750). Une lé­gende l’a attribuée au mythique roi Nemrod, le « grand chas­seur devant Yahvé », qui l’aurait voulue si haute que les eaux d’un Déluge n’eussent pu la sub­merger.

La plus ancienne ziggurat mésopotamienne retrouvée à ce jour est celle de Lagash, consacrée au dieu Ningirsou et construite par le potentat Goudéa vers 2300. On sait cependant que ce type de monuments existait déjà auparavant. Les premières ziggourats semblent n’avoir été que des temples sur terrasse. Les villes ayant souvent été bâties le long des fleuves, l’idée de départ fut probablement de surélever la demeure du dieu afin de lui éviter d’être inondée par les crues saisonnières. Le nombre et l’importance des niveaux augmen­tèrent au fil du temps. Du temple sur terrasse, on passa à deux, puis trois, quatre, et jusqu’à sept niveaux, le dernier servant toujours de support au sanc­tuaire. On accédait aux dif­férents étages par un escalier frontal et des escaliers latéraux. Réplique architec­turale de la Montagne sacrée et main tendue vers le cosmos, la ziggourat invitait la divi­nité à rejoindre sym­boliquement les hommes à son sommet (et non ceux-ci à mon­ter conquérir le ciel, comme l'imaginèrent plus tard les zélateurs de Yahvé).

Quoique plusieurs fois remaniée et agrandie aux cours des siècles, Etemenanki menaçait ruine vers l’an 600, ainsi qu’en atteste une ins­cription de Nabopo­lassar, fondateur de la dynastie néo-babylo­nienne. Celui-ci en entama la restaura­tion, laissant à son fils et suc­cesseur Nabuchodonosor le soin de la terminer. Ce dernier, inflexible en poli­tique mais très pieux, s’acquitta scrupuleusement de la tâche et fit même recouvrir l’entièreté du temple supérieur de briques émaillées bleues.

En 478, le Perse Xerxès Ier voulut faire démolir l’édifice mais recula devant l’am­pleur des travaux après que l’on eût seulement abattu son esca­lier central. Vers la même époque, l’in­oxydable Héro­dote, visi­tant Babylone, vit la ziggourat dans un état de délabrement avancé. La des­cription qu’il en laissa est néanmoins celle d’une solide tour carrée de huit étages (le huitième étant le temple).

En 323, Alexandre le Grand se piqua d'entreprendre une nouvelle restauration de la « tour » ; il com­mença à faire démonter et entreposer son enve­loppe extérieure mais son probable assassinat vint mettre un terme au projet.

Vers 275, la fondation d’Antioche, nouvelle capitale des Séleu­cides, réduisit Babylone au rang de cité provinciale. Ete­menanki conti­nuait toutefois d’en imposer. Au point que le roi Séleucos II, cin­quante ans plus tard, prit encore la peine de faire recopier un des ses anciens descriptifs. C'est ce document qui nous apprend que le monu­ment avait une base carrée de 91 m de côté et qu’il s’élevait, avec ses sept pre­miers étages, à 91 m égale­ment. Sur le septième ni­veau, précise la tablette, était bâti le sanctuaire de Marduk, hé­las non décrit. Le départ de la cour séleucide pour Antioche provoqua l'exode de la plupart des ouvriers chargés de l'entretien de la ville. Les bras de l'Euphrate qui la parcouraient ne furent plus curés ni leurs berges déga­gées, laissant le fleuve à la merci de l'en­sablement.

Sous les Parthes (2e siècle), Baby­lone poursuivit son déclin et sa ruine. Le temple de l'Esagil situé au pied de la ziggourat, resta toutefois en activité jusqu'en 67 de notre ère, date de son probable abandon. La cité était alors depuis long­temps déserte. Les ha­bitations, montées en briques crues, s'étaient déli­tées et les bâtiments officiels aux toi­tures effondrées expo­saient les vestiges ternis de leurs somptueux décors aux lacéra­tions du vent et de la pluie. Quant au pont magni­fique jeté par Nabuchodo­nosor au-dessus du fleuve-dieu, main­tenant asséché, il n'en restait plus que son squelette à peine visible sous le sable, réduit à quelques piles de pierres join­toyées au plomb d’où surgis­saient peut-être encore les embouts mécon­naissables d’un tablier de cèdre désa­grégé.

L’agonie d'Etemenanki se serait sans doute prolon­gée jusqu’à nos jours dans la ville anéantie si aux injures du temps n’étaient venues s’ajou­ter celles des hommes : ravalée au rang de carrière à ciel ou­vert, les autochtones vinrent, pendant des générations, y pui­ser les briques cuites qui servirent à la construction des vil­lages voi­sins. Comble d’avanie, on lui vola même ses fon­dations. Jusqu'à ce qu'il ne restât plus d'elle qu’un monstrueux cratère au fond duquel, encore de nos jours, quel­ques roseaux malingres se languis­sent d’attendre une impro­bable pluie.

Seule survécut, ultime géante émergeant de la plaine aride, la zig­gourat voisine de Borsippa. Et bientôt, plus personne ne se souve­nant de la fonction première de cette « tour », on imagi­na qu’elle avait été construite par des géants désireux d’atteindre au domaine divin et on lui donna le nom de Birs Nim­rud, « Tour de Nemrod », prenant erronément son cœur mis à nu pour celui de sa glorieuse devancière.

« Babylone deviendra un tas de pierres, un repaire de cha­cals, un objet d'épouvante et de dérision ; des lynx y gîte­ront, des autruches y auront leur demeure ; elle ne sera plus habi­tée, à jamais. D'âge en âge, elle ne sera plus peuplée », augu­ra a posteriori un des livrets que la fiction littéraire biblique attri­bue au prophète Jérémie. C’est vrai, ce fut ce qui arriva. Mais ce que n’avait pas prévu l’auteur de cet « oracle de Yahvé », c’est que jamais le site de Babylone — et encore moins son nom — ne s’effacerait de la mémoire des hommes.

Quand furent lancées les pre­mières cam­pagnes de fouilles organisées en Mésopo­tamie à la fin du 19e siècle, les indigènes, pourtant parfaite­ment illet­trés, menèrent immé­dia­tement la mission allemande qui cherchait la mythique capitale en un en­droit pré­cis où, à perte de vue, se devi­naient encore des mon­ceaux de gravats pétrifiés par le sable.
— Comment nomme-t-on ce lieu ? demandèrent les archéo­logues ébahis.
— Babil, répondirent les guides.

Aux dernières nouvelles, Babylone ne va pas trop bien. Elle sent un peu la poudre.

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Roger


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Message Publié : 19 Fév 2013 17:42 
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Georges Duby
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Parfait, c'est cool, vous faites les questions et les réponses. C'est embêtant pour un forum surtout si l'intervenant est un érudit du sujet mais en l'espèce on a beaucoup appris concernant un sujet mythique qu'on connaissait par la bible et par de magnifiques tableaux de Bruegel.
Le souvenir de la tour de Babel hante l'humanité. il est possible que Ptolémée 1er y ait pensé en faisant construire le phare d'Alexandrie qui est à étages de moins en moins larges comme les ziggourats mais avec un appel au style grec du conquérant.

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 19 Fév 2013 18:27 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines
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Inscription : 23 Oct 2004 9:14
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Localisation : village des Pyrénées
Au risque de vous décevoir, je vous signale quand même que n'importe quel enfant un peu évolué qui empile des cubes, fait "des étages de moins en moins larges".
Juste parce que c'est comme ça que ça tient le mieux (pour les enfants) ou parce qu'on peut se tenir sur un étage pour construire le suivant (pour les adultes) .
Et c'est comme ça qu'on s'étonne de retrouver cette construction partout, de la tour de Babel au phare d'Alexandrie, des pyramides d'Égypte à celles d'Amérique centrale.

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"La vie des hommes qui vont droit devant eux, renaitraient-ils dix fois en dix mondes meilleurs, serait toujours semblable à la première. Il n'y a qu'une façon d'aller droit devant soi." (Pierre Mac Orlan)


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Message Publié : 19 Fév 2013 19:07 
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Plutarque
Plutarque

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Dédé a parfaitement raison en ce sens que toutes pyramides du monde et autres ziggourats découlent du sens de l'observation de l'homme qui a rapidement saisi, reproduit puis adapté ce que l'on appelle le "processus d'érection tumulaire" qui a commencé avec le "cairn" (empilement de pierres) pour aboutir, bien plus tard, à la pyramide parfaite.

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Roger


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Message Publié : 19 Fév 2013 21:54 
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Tite-Live
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La tout de Babel étant un mythe, à tout le moins une parabole ou une fable, vaut-il la peine d'en rechercher les restes ...?

À ce tarif-là, n'importe quoi peut être un reste de ladite tour... il suffit d'y croire.

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Amicalement. Chaeréphon

"Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre."
http://chaerephon.e-monsite.com

Bailly = Liddell-Scott = Pape : http://chaerephon.e-monsite.com/pages/litterature/grec-ancien/bailly.html


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Message Publié : 20 Fév 2013 11:32 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 08 Fév 2013 10:15
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Le récit biblique de la Tour de Babel relève effectivement du mythe ou de la légende.
Le monument est identifié à Etemenanki parce que certains Judéens exilés ont été "parqués" quasiment à ses pieds et qu'elle a dû les impressionner. Cette interprétation est acceptée par la communauté assyriologique mais je comprend parfaitement votre scepticisme puisque aucun document ne relie (et ne reliera sans doute jamais) irréfutablement la "tour" biblique à la ziggourat de Mardouk.

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Roger


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Message Publié : 21 Fév 2013 15:32 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Irrefutablement aucun en effet. Par contre en etudiant le corpus littéraire sumérien on comprend que ceux qui ont ecrit le mythe de la tour de babel etait totalement etrangers à la religion sumerienne et a la vrai fonction des ziggurats.
Loin d'etre un defi aux dieux, ces batiments sont fait pour plaire aux dieux et par la volonté des dieux. L'ego humain n'y a aucune place .

« Mardouk, Ie seigneur, m’ordonna à propos d’Etemenanki, la tour à étages de Babylone, qui avant mon temps était tombée en ruines, d’assurer son fondement dans le sein du monde inférieur et son sommet, de la faire semblable au ciel ». (roi nabopollasar 625- 605)

Les ziggpurats sont avant tout un batiment dont le role est d'unir les mondes souterrains aux cieux. ce batiment est plein - en soit il n' a qu'une importance symbolique. Par contre le temple construit a son sommet est "le saint des saints" ( Giguna) la maison fonctionnelle ou les dieux sont censés resider ( y dormir , y manger , jouir d'un jardin, y avoir des relations charnelles - d'ou la pratique de l'hierogamie - etc ...)

De plus si les sumeriens font egalement mention d'une langue unique entre plusieurs peuples , la séparation de langues n'est pas liée du tout à la construction d'un ziggourat mais plus du a des rivalités entre princes et rois. Evidemment néanmoins ce changement de langues ne peut etre pour les sumeriens qu'une décision sage des dieux ( et non interpretés comme une punition).

C'est symptomatique de la différence entre les mythes sumeriens et les mythes bibliques - Chez les sumeriens , l' homme accepte toutes les décisions venant des dieux sans s'interroger sur le pourquoi du comment (avec fatalité dirons certains mais pas vraiment , dieu agit toujours en connaissance de cause en fait pour eux) .... les mythes bibliques eux ont plus tendance à les interpreter comme des punitions ou a (se) culpabiliser...

:arrow: extrait incantation à chanter dite de Nidimmud :

"à l'univers entier (le monde connu des sumériens) , les peuples bien gardés - pouvaient s' adresser tous Enlil ensemble dans une seule langue ! à ce moment-là, pour les lords(les seigneurs) ambitieux, pour les princes ambitieux, pour les rois ambitieux, Enki, le lord(seigneur) d'abondance et de décisions fermes, le lord(seigneur) sage et sachant(connaissant) de la Terre, l'expert des dieux, choisis pour la sagesse, le lord d'Eridug, changera le discours dans leurs bouches, autant qu'il avait placé(situé) là et donc le discours d'humanité est vraiment un. "


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Message Publié : 29 Sep 2013 20:11 
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Thucydide
Thucydide
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Inscription : 29 Sep 2013 19:21
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Didoumès a écrit :
Le récit biblique de la Tour de Babel relève effectivement du mythe ou de la légende.
Le monument est identifié à Etemenanki parce que certains Judéens exilés ont été "parqués" quasiment à ses pieds et qu'elle a dû les impressionner. Cette interprétation est acceptée par la communauté assyriologique mais je comprend parfaitement votre scepticisme puisque aucun document ne relie (et ne reliera sans doute jamais) irréfutablement la "tour" biblique à la ziggourat de Mardouk.

J'adore ça, les gens qui onr remonté le temps pour le savoir.


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Message Publié : 30 Sep 2013 9:07 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 22 Août 2008 14:17
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J'aime bien la posture transformant tous les anciens récits en mythes mais je croyais que l'archéologie avait retrouvé la tour de Babel ici :
https://maps.google.fr/maps?f=q&hl=fr&geocode=&q=karbala&sll=52.015529,-3.704109&sspn=1.572031,3.702393&ie=UTF8&t=h&om=1&ll=32.536186,44.421657&spn=0.002216,0.004946&z=18

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Léon Tolstoï.


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Message Publié : 30 Sep 2013 10:22 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 27 Jan 2013 18:47
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jibe a écrit :
J'aime bien la posture transformant tous les anciens récits en mythes mais je croyais que l'archéologie avait retrouvé la tour de Babel ici :
https://maps.google.fr/maps?f=q&hl=fr&geocode=&q=karbala&sll=52.015529,-3.704109&sspn=1.572031,3.702393&ie=UTF8&t=h&om=1&ll=32.536186,44.421657&spn=0.002216,0.004946&z=18

Des « tours/ziggurats » ce n’est pas ça qui manque dans l’ancienne Mésopotamie … ce qui est « mythique » n’est pas une qcqconque construction en elle-même mais bien le récit, et par là le « pourquoi » de cette construction, biblique en lui-même.

Babel se rattache au verbe « bâlal » en hébreu signifiant « confondre/brouiller » … mais le nom primitif « Babîl/Babilou » venant de « Bâb-ili » qui signifie « porte de Dieu » en babylonien … le « mythe » porte donc sur l’association fantaisiste, qu’en fait l’auteur biblique, en rattachant étymologiquement cette « porte » a la « confusion » que Dieu aurait établit entre les peuples … faisant ressortir qu’à partir de ce moment là ils ne parlaient plus la même langue.

L’identification de cette tour est un peu problématique … mais la tradition « majoritaire » l’identifie à Birs-Nimroud (temple de Bel décrit par Hérodote) qui est situé à Borsippa.


Cordialement, Epsilon


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Message Publié : 30 Sep 2013 10:38 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 22 Août 2008 14:17
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L'identification de Babel à Borsippa est maintenant pratiquement abandonnée. Les archéologues se concentrent sur le site que j'ai indiqué. Quant à la signification du récit biblique sur le désordre des langues, on peut en donner toutes sortes d'interprétations plus proches de la sociologie que de la mythologie, y compris simplement la xénophobie

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Message Publié : 30 Sep 2013 17:35 
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Plutarque
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Inscription : 08 Fév 2013 10:15
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Citer :
L'identification de Babel à Borsippa est maintenant pratiquement abandonnée

Évidemment puisqu'il ne s'agit pas de la même ziggourat.

Epsilon se trompe par ailleurs : le monument décrit par Hérodote est la ziggourat de Mardouk ; elle s'appelait E-temen-an-ki. Alors que la ziggourat de Borsippa était consacrée à Nabou ; elle était plus petite que celle de Mardouk et s'appelait E-our-me-imin-an-ki.

Le récit de la Tour de Babel est un texte qui fut manifestement retouché. De plus, Il mêle deux traditions différentes fondues dans un très court récit ancien : on y parle d’une ville que les hommes bâtirent pour une raison donnée, et en même temps d’une tour qu’ils érigèrent dans un autre but. Du point de vue étiologique, le récit biblique semble vouloir expliquer à la fois la diffusion des hommes sur la terre et la diversité des langages. Aucun mythe originel qui puisse lui être apparenté n’est connu à l’heure actuelle alors que, dans le kaléidoscope culturel de la Mésopotamie, il a certainement dû exister toute une littérature relative aux ziggourats, symboles de l’axis mundi.

L’incipit (« Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots ») est emprunté à une tradition sumérienne décrivant l’âge d’Or, époque où « tous les hommes pouvaient s’adresser à Enlil dans une seule langue ». Il s’agit ici d’une glose destinée à introduire dès le départ le sens étiologique du récit.

Le « pays de Shinéar » décrit par la Bible est la Mésopotamie centrale et méridionale. Dans la Table des Peuples, il est dit que les soutiens de l’empire de Nemrod « furent Babel [Babylone], Éreq [Ourouk] et Akkad, villes qui sont toutes au pays de Shinéar ». Ces hommes qui « se déplaçaient à l’orient » paraissent figurer un peuple en migration. Cette localisation à l’Est montre qu’il s’agit d’un mythe emprunté à une tradition allochtone (probablement sumérienne) car les descendants de Noé étaient censés arriver de l’Ararat, donc du nord-ouest.

« Ils dirent : Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! »
Quoi de plus normal pour un peuple en voie de sédentarisation que de vouloir rester groupés dans une agglomération urbanisée ?
Ils dirent ensuite « Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! »
On a coutume de lier la première partie du verset (« Faisons-nous un nom ») à la première tradition (celle de la ville), et la seconde (« ne soyons pas dispersés sur toute la terre ») à celle de la tour. Or ériger une tour pour ne pas être dispersés n’a pas de sens. Il est bien plus logique de se prémunir contre la dissémination en bâtissant une ville où habiter tous ensemble, et d’ériger « une tour dont le sommet pénètre les cieux » pour asseoir sa renommée. Le sens de la première tradition originelle devait être : « Bâtissons-nous une ville et ne soyons pas dispersés sur toute la terre », et celui de la seconde : « Construisons une tour dont le sommet pénètre les cieux et faisons-nous une renommée. » Probablement, le scribe s’est-il une fois de plus mélangé les tablettes.

« Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu ! La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. » Ce verset indique que l’historiette a été retranscrite par un scribe chez qui l’on bâtissait les temples, non pas en briques jointoyées au bitume, mais en pierre jointoyée au mortier, ce qui était le cas des Israélites. En Mésopotamie, où la pierre était rare et devait généralement être importée à grands frais, on construisit en briques dès la plus haute antiquité. Quant au jointoiement au bitume, matière abondante dans la région, sa pérennité l’a fait adopter par tous les peuples bâtisseurs qui se sont succédé dans la région. Bien qu’il soit devenu rare, les Irakiens s’en servent encore à l’occasion de nos jours.

L’anthropomorphisme de la divinité, qui descend du ciel pour voir la ville, et sa manière de s’exprimer à la première personne du pluriel, comme s’il s’adressait à sa cour céleste, fleurent l’influence mésopotamienne. Toujours est-il que voici notre Yahvé effaré autant qu’angoissé par l’ingéniosité de ses créatures. Comment va-t-il réagir ? Méchamment. Il va disperser ces hommes — ce qui constitue, on le sait, le pire des châtiments que l’on puisse infliger à un peuple sédentaire — et cela parce qu’à partir de prémisses mal interprétées, le scribe a imaginé une menace envers son dieu. Or, dans l’optique mésopotamienne, l’érection d’une ziggourat, n’était empreinte d’aucune connotation orgueilleuse mais, au contraire, de respectueuse commensalité : les hommes ne proposant aux dieux ni plus ni moins que de venir plus commodément partager au sommet de la ziggourat les rites et les fêtes institués en leur honneur.

Enfin, l’ampleur des travaux laisse supposer une société bien plus évoluée et hiérarchisée que celle évoquée par la Bible, indice supplémentaire d’interpolation et d’emprunt à une tradition allochtone. Rien de judéen dans ce récit, donc, si ce n’est l’approximative étymologie de Babylone(balal pour bab el), l’exécration sous-jacente des mœurs babyloniennes et l’irascibilité quelque peu schizophrène de Yahvé.

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Roger


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Message Publié : 30 Sep 2013 18:21 
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Georges Duby
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Le mythe biblique conserve sa force, plus que jamais même et son interprétation est très au dessus des constructions mésopotamiennes. Le contenu intellectuel de l'extrait de la bible conserve sa magie. Il y a en lui un peu de Prométhée, l'homme qui défie les dieux et veut les remplacer. L'aventure scientifique de l'occident lui donne une nouvelle jeunesse. L'homme se prend pour Dieu, va t-il le payer de l'écroulement de son monde ?
La Mésopotamie a inspiré l'ancien testament mais le questionnement de la Tour de Babel (Babylone) est transcendé par la puissance biblique.

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Message Publié : 30 Sep 2013 21:53 
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Plutarque
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C'est une façon de voir les choses avec laquelle je ne suis absolument pas d'accord mais il est bon (et sain) que différents points de vue s'exposent. Sinon, le schmilblick n'avancerait pas. Il reste que le mythe de Prométhée a été écrit, dès le départ, comme un acte d'hybris (mais plutôt de révolte, à mon avis favorable à l'Homme) alors que la transposition biblique de l'érection de la Tour de Babel n'est que l'interprétation subjective et pessimiste d'un mythe optimiste, hélas inconnu. D'où la difficulté d'en débattre…

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Roger


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Message Publié : 01 Oct 2013 7:34 
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Grégoire de Tours
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Didoumès a écrit :
Epsilon se trompe par ailleurs : le monument décrit par Hérodote est la ziggourat de Mardouk ; elle s'appelait E-temen-an-ki. Alors que la ziggourat de Borsippa était consacrée à Nabou ; elle était plus petite que celle de Mardouk et s'appelait E-our-me-imin-an-ki.

Extrait d’ICI à la fin du texte.

« La ruine du Birs-Nimroud forme les restes de la Tour à étages dont parle Hérodote, et dont les fouilles de Rawlinson ont mis à jour la conformation. Borsippa était, selon la tradition, l’emplacement de la Tour des Langues ; elle faisait partie du grand carré babylonien et devint indépendante après la destruction du mur exterieur. Prés du Birs-Nimrod, s’élevait le temple Ezida, consacré à Nébo, et la ville de Borsippa, où selon le Talmud, la confusion des langues eut lieu ».

Mais bon ...


Cordialement, Epsilon


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