Philippe a réformé la cavalerie, en particulier il serait selon Arrien l'inventeur de la formation en coin qui lui donne davantage de mobilité et de réactivité que la traditionnelle formation en carré ou rectangle des cavaliers grecs.
D'autre part, un de ses premiers soins fut de s'assurer le contrôle de la Thessalie et de se faire reconnaître chef de l'armée thessalienne, dont le principal intérêt réside dans la meilleure et la plus nombreuse cavalerie de Grèce. Alexandre a suivit exactement la même politique; à peine sur son trône instable, avant d'être reconnu hégémôn de la Grèce, son premier acte politique en 336 fut de s'offrir une campagne-éclair en Thessalie afin de s'y faire reconnaître chef de la confédération.
C'est donc une certitude, la cavalerie a eu un rôle capitale dans l'instauration de la puissance macédonienne.
Cependant, pour l'ensemble du règne de Philippe, les mentions de la cavalerie sont finalement rares. De même, s'il est vrai qu'Alexandre a un petit faible pour la cavalerie et que c'est à sa tête qu'il remporte les batailles du Granique, Isos et d'Arbèles, pour le reste de la campagne, l'infanterie se révèle finalement beaucoup plus utile. A titre d'exemple, lors de la campagne de Thrace, bien que 1500 cavaliers accompagnent Alexandre (pour peut-être 13-16 000 fantassins, soit la moitié de l'armée ou un peu moins), il ne se place à aucun moment à leur tête, à l'exception notable du raid contre les Gètes, qui n'est qu'un raid de pillage. Que ce soit contre les Thraces, contre les Triballes, ou contre les Illyriens, la cavalerie se retrouve réduite au mieux à un rôle de soutien dans la bataille (contre les Triballes, il la laisse d'ailleurs à Philotas, se plaçant lui même à la tête de la phalange, ce qui vu la personnalité d'Alexandre montre bien quelle arme remportera la victoire), au pire, ne sert à rien et n'est même pas mentionné (contre les montagnards de l'Haemos) ou est employée au ravitaillement (à Pélion). D'ailleurs l'ilê basilikê ne semble pas participer à la campagne (je me demande pourquoi ?? Où est-il ???)
Dans un siège ou dans une zone accidéntée, la cavalerie s'avère inutile. Or l'essentiel des campagnes de Philippe se livrent dans des zones montagneuses, et Philippe lui-même, contrairement à Alexandre, ne recherche pas la bataille rangée, toujours incertaine et dont un échec risque de réduire à néant toutes ses contructions politiques et sa réputation. Si la situation le permet, il préfère de loin un siège, et si la situation dégénère, il n'hésite pas à retraiter pour revenir l'année suivante ou la saison suivante et surprendre l'adveraire désorganisé: son armée professionnelle est beaucoup plus réactive que les lévées civiques grecques, pourquoi prendre des risques inutiles ?
Même la bataille de Chéronée, à titre d'exception, est intéressante. Certes, la cavalerie macédonienne est bien supérieure en nombre et en qualité à son homologue, et c'est bien par la vigoureuse charge d'Alexandre que commence la défaite grecque. Pourtant, Philippe choisit de se placer à la tête de l'infanterie, et non de la cavalerie qu'il délègue à son fiston chaperonné par de bons vieux officiers. D'autre part, c'est bien la manoeuvre et l'action de l'infanterie qui non seulement assure la victoire, mais surtout la complète, car la manoeuvre de l'infanterie macédonienne a empêché l'infanterie grecque de se replier et lui permet ainsi de faire autant de prisonniers-otages. Alexandre a beau se vanter haut et fort plus tard d'être l'artisan de la victoire, les vétérans sarcastiques continuent de rendre justice à Philippe des années plus tard encore.
La cavalerie va prendre ses lettres de noblesse avec Alexandre, surtout parceque l'adversaire et la stratégie ont changé. Il ne s'agit plus de soumettre et d'occuper, il s'agit de conquérir. Il ne s'agit plus de lutter contre des peuples libres et farouchement attachés à leur indépendance, mais de remplacer la domination perse par la domination macédonienne. Par conséquent, Alexandre va rechercher la bataille définitive qui lui assure sa légitimité et lui permet de soumettre sans trop de difficulté d'immenses territoires, batailles où la cavalerie peut donner le meilleur d'elle-même. C'est pourquoi par exemple il attaque au Granique, malgré des conditions peu favorables. Cette victoire lui livre presque à elle seule toute l'Anatolie, Isos lui livre toute la côte jusqu'à l'Euphrate, Arbèles lui livre le coeur de l'Empire et l'essentiel des Hautes Satrapies, le tout (presque) sans autre combat.
Mais dès qu'il doit combattre des adversaires indépendants (depuis les Pisidiens jusqu'aux Indiens), le rôle de la cavalerie se réduit à nouveau en faveur de son infanterie, avec des campagnes en milieu difficile, des sièges, des coups de mains etc.
Bref, la cavalerie macédonienne a assurément eu un rôle majeur dans les victoires macédoniennes, mais il ne faut pas non plus exagérer son importance, à mon avis. D'ailleurs, chez les diadoques, la cavalerie va perdre progressivement de son importance (sauf chez les Séleucides, mais sous l'influence d'autres traditions militaires), en particulier en Macédoine même, ou la proportion de l'infanterie ira croissante. Plus qu'un affaiblissement de l'armée macédonienne, je préfère y voir une adaptation aux conditions de la guerre dans les Balkans héllénistiques, rarement favorables aux évolutions de cavalerie.
"La" réforme de Philippe, c'est finalement beaucoup plus "des" réformes, aboutissant à la création d'une armée professionnelle unique en son temps, tant en qualité qu'en variété. Une infanterie lourde avec les 3000 hypaspistes, de l'infanterie légère (à ne pas négliger loin de là, ils participent à tous les combats) avec 2000 archers et 2000 Agrianes, et l'ilê Basilikê de 300 cavaliers.
A ce noyau, il rajoute en fonction des besoins et de l'urgence des levées et des alliés, voire des mercenaires, mais l'essentiel est dans leur permanence et leur entraînement. Philippe peut se permettre d'entamer une campagne à n'importe quel moment de l'année, en un temps record, mais avec des effectifs réduits. Démosthène s'en fait souvent l'écho, les Athéniens sont incapables de réagir à temps. Les Macédoniens ont systématiquement l'initiative stratégique face à leurs voisins.
D'autre part, la variété de l'armement et le degré de professionnalisation permet à cette armée d'opérer dans toutes les conditions avec efficacité, depuis la bataille rangée jusqu'au raid montagnard, en passsant par le siège d'une ville, un coup de main hivernal, etc. La phalange de Philippe n'est pas seulement capable de combattre en rang serré, les hypaspistes sont mobiles, efficaces aussi contre les peuples montagnards, redoutables dans les sièges, sans pour autant qu'il faille y chercher un armement différent du reste de la Phalange comme cela se dit parfois. C'est leur professionnalisation qui leur permet de réagir à des conditions difficiles, ce que les levées sans expérience de Pydna deux siècles plus tard décrites pas Polybe et Tite-Live ne sont pas capables de faire, bien évidemment.
Enfin n'oublions pas la création d'un corps d'ingénieurs militaires et l'existence d'un train de siège permanent; c'est une nouveauté révolutionnaire. Les Macédoniens sont parmi les tous premiers à être capables de prendre une ville d'assaut, et d'organiser un siège actif (et plus seulement un simple blocus).
Quant à l'ordre oblique, on peut juste constater que le père et le fils l'ont systématiquement utilisé quand il l'ont pu, dès que les sources décrivent une bataille... ce qui pour Philippe se réduit à l'unique exemple de Chéronée !! Mais une fois de plus, c'est bien encore le dégré de professionalisation de l'armée qui permet ces manoeuvres, bien plus savantes que celle de Leuctres.
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