Bienvenue ! Il ne faut pas hésiter à relancer les sujets, ils ne sont pas destinés au seul initiateur, mais à tous les lecteurs actifs ou passifs, et c'est souvent aussi l'occasion de refaire le point.
Concernant Socrate, je serais plus prudent, même si je le soupçonne également d'une hygiène douteuse, néanmoins les textes listés sous sujets à caution et méritent d'être nuancés.
Aristophane, même s'il s'en prend personnellement à Socrate, a fait de ce dernier l'archétype du philosophe, et l'affabule de tous les lieux communs qui perdureront pendant des siècles (tête en l'air, négligé, barbu, chauves, avec un bâton, un besace et un seul manteau à l'année) et qui existaient déjà avant lui. Par exemple, Antiphon, un comique du IVe, reprend le même tableau dans sa pièce
Le Pythagoricien cité par Diogène Laerce, VIII.38 :
"Pythagore racontait que, descendu au séjour des ombres, il les avait toutes observées, et qu'il avait vu les pythagoriciens placés de beaucoup au-dessus des autres morts; seuls ils étaient admis à . la table de Pluton, à cause de leur piété. — Voilà un dieu fort accommodant, s'il se plaît dans la compagnie d'aussi sales personnages." Et ailleurs dans la même pièce : "Ils ne mangent que des légumes et ne boivent que de l'eau. Mais quel est le jeune homme qui pourrait supporter leurs poux, leur manteau sale et leur crasse ?". Et les exemples de ce portrait type abonde, il vaut donc mieux ne pas le prendre au pied de la lettre.
Quant à la citation de Platon, il me semble que tu fait dire davantage au texte qu'il ne dit vraiment. Platon,
Banquet, 174a :
Il me dit donc qu'il avait rencontré Socrate qui sortait du bain et qui avait mis des sandales, ce qui ne lui était pas ordinaire ; et qu'il lui avait demandé où il allait si beau. C'est son apparence générale qui surprend, et non le seul fait qu'il brille comme un sous neuf : une fois n'est pas coutume, il s'est habillé correctement, en l'occurrence ne se promène plus pieds nus comme à son habitude, et il est passé aux bains, c'est-à-dire sans doute qu'il s'est fait aussi épiler, raser, coiffé (la barbe, parce que des cheveux il n'en avait guère...) et tout le tsoin-tsoin. Ce n'est pas seulement banalement se laver qui est mis en valeur, mais le fait de se mettre sur son 31. Or, l'une des règles de bonne conduite élémentaire du monde grec est de se laver avant de se rendre chez son hôte. Témoigne Athénée 178e-f, s'appuyant sur des références aussi prestigieuses qu'Homère et Aristote :
Homère, qui est d'une exactitude scrupuleuse à tous égards, n'a pas non plus omis cette circonstance, quoique peu importante en elle-même, savoir, qu'il ne faut aller souper qu'après s'être bien arrangé et lavé. Voilà pourquoi Homère dit d'Ulysse, étant près d'aller à table chez les Phéaciens : « Aussitôt une gouvernante lui dit de se laver. » Il dit aussi, au sujet de Télémaque et de Pisistrate : « Ils descendirent dans les baignoires bien polies, et se lavèrent. » Il eût été indécent, dit Aristote, de se présenter à table avec de la sueur et de la boue. Il faut qu'un homme qui sait vivre, ne soit ni crasseux, ni malpropre : il se plaira encore moins à être couvert de boue. Le contexte réduit fortement la portée de la remarque "ce qui n'est pas son habitude". Est-ce de ne pas puer ou d'être habillé et arrangé avec soin qui surprend ?
D'ailleurs, sa dernière action avant de mourir dans son cachot aura été de prendre un bain !
Ceci dit, j'admets que son apparence n'était pas sa priorité, surtout à la vue de certains de ses disciples directs (je songe en particulier aux Cyniques)...
Concernant le sujet des poux, puces et autres vermines, je n'ai pas fait de recherche systématique, mais j'y prête attention depuis et recense au hasard de mes lectures des anecdotes. Et elles abondent, tellement nombreuses d'ailleurs que je suis surpris qu'elles ne m'aient pas sauté aux yeux plus tôt. C'est une plaie quotidienne, qui touche beaucoup de monde, de toutes les classes sociales (mais apparemment particulièrement les barbus), même si la relation avec la saleté a été bien entendu très vite remarquée. Ils hantent même leur sommeil ! Artémidore,
Onéricrite, III :
Songer avoir une petite quantité de poux, et les trouver sur son corps ou sur sa robe, et les tuer est bon : car ce songe signifie que l’on sera délivré de souci et tristesse. Mais en avoir en grande quantité est grande pauvreté car en tel cas les poux abondent. Et si on les rejette tous c’est espoir d’être relevé de tous ses maux. J'ai même déniché quelques scènes d'épouillage. Par contre certains traducteurs, gênés apparemment, déploient des trésors d'ingéniosité pour contourner la scène, du coup ça passe inaperçu si on n'y prend garde !
Exemple tiré de Pausanias X.10.7-8, une petite scène intime entre un époux et sa femme :
Sa femme, car il l'avait menée avec lui, le consolait du mieux qu'elle pouvait. Un jour qu'assis devant elle il avait la tête dans son giron, et qu'elle lui accommodait les cheveux (ἐξέλεγε τοὺς φθεῖρας·), elle fut si touchée de l'affliction de son mari, qu'elle versa un torrent de larmes, en sorte que Phalantus en eut la tête toute trempée. En fait, ce qui est pudiquement traduit "lui accommodait les cheveux" signifie en réalité littéralement "lui retirait les poux" !
Autre séance dans le Pseudo-Hérodote,
Vie d’Homère, 35, présentant des enfants proposant une énigme à Homère et ses compagnons :
« Écoutez-nous, étrangers; expliquez, si vous le pouvez, ce que nous allons vous proposer. » Alors quelqu’un de ceux qui étaient présents les engagea à parler. « Nous laissons, dirent-ils, ce que nous prenons, et nous emportons ce que nous ne prenons pas. » Ne pouvant rien comprendre à cette énigme, les enfants des pêcheurs la leur expliquèrent. « Notre pêche ayant été malheureuse, leur dirent ils, nous nous sommes assis sur le rivage; et comme nous étions tourmentés par la vermine, ce que nous avons pris, nous l’avons laissé en ces lieux, et nous remportons chez nous ce que nous n’avons pu prendre. » Une dernière pour le plaisir, ma préférée, histoire de terminer sur les morpions injustement négligés jusque-là : Athénée, XIII.50, dissertant sur les courtisanes célèbres, aborde le cas d'une Athénienne...
Pour ce qui concerne Phanostrate, Apollodore, dans son livre sur les Courtisanes athéniennes, ajoute qu’on l’avait surnommée « le seuil des poux » parce qu’elle avait coutume de s’épouiller allègrement sur la pas de sa porte. Très sexy n'est-ce pas ? Chacune sa méthode pour attirer le client, il en faut pour tous les goûts...
Quant aux lotions pédiculicides, j'en ai recensé une foule de recettes, beaucoup dans Pline qui doit en proposer une bonne demi-douzaine dispersées dans son oeuvre, mais aussi Palladius, Serenus Sammonicus, Celse, Oribase, pour ceux que j'ai consulté. Je doute qu'Hippocrate n'ai pas abordé la question dans l'un ou l'autre de ses innombrables traités, mais je le connais mal (comme tous les médecins d'ailleurs). Les recettes font parfois frémir, à base de graisse d'ours, de fiel de veau ou de cadavres de couleuvres... mais globalement les idées n'ont pas l'air mauvaise, avec beaucoup de produits acres comme le vinaigre, l'eau de mer, la nitre, l'ellébore, etc.
PS: Glutzenbaum, petite confusion de ta part que je me permets de corriger : il s'agit d'un extrait de l'
Histoire des Animaux, V.25, non de la
Physique