Pyrrhos a écrit :
Les raisons principales de la généralisation de la phalange macédonienne ne furent-elles pas avant tout économique
Je suis tout à fait d’accord, d’autant que les réformes militaires entraînant l’adoption de l’armement macédonien se font en général dans l’urgence, quand il y a nécessité d’armer massivement des citoyens jusque là peu équipés.
Je songe par exemple aux Achéens : les premiers phalangite furent les Mégalopolitains ; lors du relèvement de la ville saccagée par Cléomène, les habitants ruinés sont généreusement rééquipés par Antigonos qui leur fournit des panoplies macédoniennes. A Sparte, Cléomène intègre massivement de nouveaux citoyens, choisis parmi les périèques, et profite de l’occasion pour les armer à la macédonienne. Le facteur économique a sans doute joué dans ces choix
Pyrrhos a écrit :
et politique (des armées royales de mercenaires et de paysans recrutés et formés rapidement au lieu des armées citoyennes d'hoplites) ?
Possible.
Je songe aux levées massives égyptiennes et libyenne par les armées lagides à Raphia. Non seulement l’armement est modique, mais la stratégie de base rudimentaire : on leur demande juste de tenir leur place dans une ligne. Avec 16 rangs de profondeur, la plupart ne sont pas en danger immédiat, et la longueur des sarisses les met théoriquement à l’abri du combat au corps à corps. Donc pour ce type de travail simpliste (rien de commun avec les évolutions savantes des phalanges de Philippe ou d’Alexandre, nous sommes bien d’accord), n’importe quel paysan solide fait l’affaire et jouera son rôle avec un entraînement sommaire (contrairement à l’hoplite, sur 8 rangs de moyenne seulement, où la pression subie, physique et morale, est plus forte et la chance de combattre activement supérieure). C’est peut-être aussi le cas des phalanges de Mithridate par exemple, je ne sais pas.
Ceci dit, n’oublions pas que l’expérience lagide fut très brève, car risquée (les Egyptiens formés au combat ne tardèrent pas à se révolter), et globalement, le mercenariat est généralisé au dépend des levées locales. Or, le mercenaire n’est pas armé à la macédonienne, très loin de là. Une bonne partie continue à servir comme hoplites, les deux systèmes coexistent. A ce titre, l’explication réside peut-être dans les structures du recrutement, via de petites bandes autonomes épisodiquement réunies ; une unité hoplitique est opérationnelle même petit nombre, alors que la phalange macédonienne exige des effectifs bien supérieurs. Ce qui explique peut-être justement la relative rareté des mercenaires « macédoniens » par rapport aux traditionnels hoplites.
Je rajouterai un troisième élément ayant pu favoriser la popularisation de la sarisse : la mobilité. Une armée macédonienne dispose de la puissance d’une infanterie lourde jointe à la mobilité stratégique d’une infanterie plus légère. De plus, le phalangite porte ses armes, alors que l’hoplite doit être accompagné d’un valet, donc le train de l’armée est sensé être sensiblement plus réduit, avec les avantages administratif que cela suppose en terme de ravitaillement et de mobilité.
Pyrrhos a écrit :
Mais le phalangite macédonien était-il supérieur à l'hoplite ? […] à qualité égale, rien ne me semble démontrer que la phalange hoplitique ait pu être inférieure.
Je fait le même constat. Les descriptions de batailles opposant phalanges grecques et phalanges macédoniennes sont loin de démontrer une quelconque supériorité écrasante au contact : Philippe subit des échecs en rase campagne, parfois cuisants ; au siège de Thèbes, les hoplites thébains font bonne figure face aux Macédoniens, en dépit de l’infériorité numérique ; la bataille de Mégalopolis est une boucherie très disputée où les pertes s’équilibrent presque (une bataille de rats dira Alexandre…) ; lors de la guerre lamiaque, plusieurs armées macédonienne se font sévèrement étriller par leurs homologues hoplitiques, etc.
Par contre, je ne m’explique pas cette bonne tenue. La phalange macédonienne est en moyenne deux fois plus profonde, ses rangs sont plus serrés, et sa portée supérieure.
- Du fait de sa profondeur, je ne conçois pas qu’une ligne bien plus mince puisse l’emporter dans une épreuve de force pure qu’est la poussée. Garder une ligne continue avec 16 rangs me semble plus facile qu’avec 8, les risques de rupture plus faibles.
- du fait de la taille de la sarisse, les Macédoniens portent des coups que les hoplites sont incapable de rendre, rendant ainsi inopérant l’avantage défensif de l’hoplite théorique de l’hoplite : le Macédonien n’a pas besoin d’être protégé puisqu’il ne peut être atteint. Quant à la progression en se glissant entre les sarisses, l’exercice me semble difficile : 5 sarisses en mouvement font face à un seul hoplite, plus encore si on tient compte des rangs plus serrés. A supposer que l’hoplite souhaite saisir une de ces sarisses pour la briser, il devra alors ouvrir sa garde et rompre l’alignement des boucliers, brisant sa propre phalange. Les chances pour l’hoplite d’arriver au contact sont tout de même réduite, me semble-t-il. De plus, les sarisses sont manipulées à deux mains, donc la pression du fer contre le bouclier sera bien supérieur à la pression d'une lance grecque maniée à une seule main.
Les Romains eux-mêmes, pourtant mieux protégés derrière leurs scutum et mieux adaptés à ce type de manœuvre individuelle, se font étriper lorsqu’ils tentent de s’en prendre de front à la phalange (cf. les manipules des Péligniens à Pydna).
Bref, je fais le même constant, mais sans pouvoir visualiser ce type d’affrontement.
Et pourtant, il doit y avoir un « truc » quelque part…
Pyrrhos a écrit :
D'ailleurs, les phalanges classiques d'hoplites semblent avoir mieux encaissées le choc avec les légions que les phalanges macédoniennes: ces dernières semblent condamnées au massacre dès que le légionnaire parvient au corps à corps (inévitable si la poussée se prolonge), alors que l'hoplite semble un peu moins vulnérable (bien que clairement aussi désavantagé).
Là par contre, comme mentionné plus haut, je ne suis pas du tout d’accord. Les victoires romaines ne se font jamais de front, en conséquence d’une poussée qui se prolonge. Les Romains l’emportent grâce à la maniabilité du système manipulaire contra la ligne rigide phalangite. Ils évitent le choc frontal voué à l’échec, attendent une erreur (en l’occurrence une rupture accidentelle ou provoquée de la ligne macédonienne) pour se ruer dans la brèche et attaquer les hoplites de dos (Cynocéphale, Pydna, etc.). La longueur des sarisses empêche le phalangite de se battre sur plusieurs front, d’où l’effondrement très rapide d’une phalange tournée, alors que les hoplites peuvent éventuellement réagir plus rapidement (un seul homme doit pivoter pour présenter un nouveau front, et non 5 comme chez les Macédoniens ; or une sarisse seule est inutile dans un duel, car trop longue pour être précise). C’est là peut-être que réside la meilleurs tenue globale des armées types holitiques face aux Romains : elles sont plus réactives, en plus effectivement d’un équipement défensif de qualité autorisant le corps à corps.