zunkir a écrit :
Pour moi, ce n'est pas Sparte qui a gagné, mais Athènes qui a perdu.
C'est une approche classique, trop classique, ce que j'ai justement voulu éviter. Notre vision de l'histoire grecque du Vème siècle est trop athénocentriste. Cela revient à dire que dans le cas de la guerre du Péloponnèse, si Athènes a perdu, c'est à cause d'Athènes elle-même. Certes, c'est une façon de grandir Athènes: reconnaissons que la fascination que cette cité exerce sur nous est méritée. Mais cela obscurcit trop notre analyse des faits.
Dans toute défaite il y a des facteurs endogènes (erreurs, faiblesses...), c'est évident. Mais il y a aussi des facteurs exogènes. Sparte est une grande puissance à l'échelle de la Grèce. Elle rassemble autour d'elle une grande partie des cités de la Grèce continentale. Ceci lui assure une supériorité numérique écrasante en hoplites sur Athènes. N'oublions pas que Thèbes à elle seule tient Athènes en respect, comme la défaite athénienne de Délion en témoigne.
En terme de rapport de force, il apparaît donc clairement qu'Athènes n'a que peu de chance d'écraser son ennemi. Périclès l'a apparemment compris, puisqu'il met en oeuvre une stratégie visant à éroder à long terme la volonté de l'adversaire: refus d'un combat décisif et raids autour du Péloponnèse. Le talon d'Achille spartiate que constituent les hilotes peut également être exploité: la base de Pilos fut un coup de maître. L'objectif pour Athènes est de faire comprendre à ses adversaires qu'elle est intouchable. La flotte est capitale: c'est elle qui frappe, qui manoeuvre et qui maintient les Péloponnésien éloignés du centre de l'empire. Ce dernier point est essentiel: Athènes doit faire face depuis longtemps déjà à des soulèvements dans son empire (celui de Potidée donne d'ailleurs à Sparte le casus belli pour entamer le conflit). Cette fragilité majeure la place dans une position assez inconfortable. Aussi, si la guerre avec Sparte est une occasion de prouver son hégémonie, elle ne peut guère permettre une conquête de la Grèce continentale. Sparte au contraire a tout à gagner à rechercher l'affrontement décisif.
Avec de telles données initiales, il est clair qu'Athènes avait intérêt à jouer sa partition de façon précise. Ce qu'elle ne fit pas pour les raisons que j'ai données plus haut. Mais il faut aussi prendre en compte l'évolution de la stratégie spartiate. Le tournant selon moi est l'expédition de Brasidas. C'est un coup de génie. Athènes venait de remporter une grande victoire à Sphactérie et semblait en mesure de faire plier ses adversaires (Sparte offrait la paix, repoussée par l'obstination des démocrates) et donc de prouver son hégémonie. Et c'est alors que Brasidas entreprend une campagne à laquelle personne ne croyait (tout au plus ses adversaires y ont-ils vu l'occasion de s'en débarasser): frappant enfin l'empire d'Athènes elle révèle toute la fragilité de celui-ci. La mort de Brasidas et de Cléon permet l'ouverture de négociations pour une paix qui consacre l'équilibre entre les deux grandes cités rivales (et qui remet l'explication à plus tard). Ce n'est, à tout prendre, pas si mal pour Athènes qui venait de connaître une grosse frayeur.
L'erreur des Athéniens est de n'avoir pas compris tout ce que cette paix avait d'inespéré pour eux. D'où l'erreur gravissime de l'expédition de Sicile. Et d'où la reprise du conflit, mais cette fois avec des Spartiates mettant en oeuvre une stratégie redoutable, héritière de celle de Brasidas et encouragée par les conseils d'Alcibiade. Face à cette épreuve, il eut fallu une grande cohérence dans la politique athénienne, ce qu'elle ne sut à nouveau pas faire. A quoi s'ajoute l'intervention perse, une intervention longtemps hésitante mais finalement décisive.
Certes, les crises de la politique interne d'Athènes l'ont gravement handicapée, mais sans l'adoption d'une stratégie intelligente Sparte n'aurait probablement pas remporté une victoire écrasante. Les Spartiates ont dû apprendre à penser autrement la guerre et mettre en oeuvre une stratégie efficace. Ils surent le faire. Ils ont incontestablement gagné cette guerre, autant qu'Athènes s'est condamnée à la perdre.