Le "concept" d'époque héllénistique est dû à l'historien prussien Johann-Gustav Droysen, auteur entre 1833 et 1836 d'une monumentale Histoire de l'Hellénisme en trois tomes (Alexandre le Grand, Les Diadoques, Les Epigones). Pour ce qui est de la césure, je crois qu'elle lui est largement antérieure. Ce en quoi Droysen innove, c'est que contrairement à la majorité de ses prédecesseurs, il ne conçoit pas la période post 338 comme une ère de décadence. Pour Droysen, il s'agit au contraire d'une "nouvelle étape", la cité grecque en tant qu'entité autonome ayant fait son temps et cédant la place aux grands royaumes. De plus, pour cette historien, l'hellenisme, dont la diffusion optimale ne pouvait être faite que par ces nouvelles entités, permit, en fusionnant avec les civilisations moyen-orientales, de "regénérer" ces dernières, quelque peu bridées jusqu'alors par la domination achéménide. Ces visions et conclusions ne sont bien entendu plus d'actualité (la thèse de la fusion ayant été en particulier réfutée, même si dans certains cas on peut toujours lui trouver un minimum de pertinance), mais Droysen n'en constitue pas moins une étape très importante dans l'historiographie antique. D'un point de vue littéraire, c'est un régal. Bref, c'est l'histoire romantique avec tous ses défauts et qualités.
Pour ce qui est de la perception négative qu'on a souvent eu de l'après 338 (et qui parfois se retrouve encore de nos jours, rarement il est vrai), je pense que cela relève, pour partie au moins, d'un certain athénocentrisme, consistant dans le cas présent à envisager de façon négative l'époque où la domination athénienne était révolue.
Quant à la différence entre l'avant et l'après Chéronée, je vais essayer de faire bref. Disons que les cités ont globalement beaucoup de mal à mener une "politique internationale" réellement autonome, même si certaines comme Rhodes surent par moment brillament tirer leur épingle du jeu, et que Sparte et Athènes connurent certains soubresauts, vite étouffés il est vrai. Par contre, une nouvelle forme de communauté politique (hors grands royaumes s'entend) a connu une certaine vivacité: les confédérations, essentiellement celles d'Achaïe et d'Etolie. Quant aux cités en elles-même, leur relatif déclin sur le plan international -qui est sans doute à nuancer- n'empêcha nullement la continuation d'une brillante "vie de l'esprit" (qui une fois n'étant pas coutume nous est connu essentiellement dans le cas athénien) ainsi que des périodes de forte prospérité économique (entre autres, Rhodes bénéficiant de sa neutralité bienveillante vis à vis des Lagides, ou Athènes après -167). Concernant la "sujétion" (là aussi, tout est relatif) vis à vis de puissances extérieures, certains auteurs contemporains (vous m'excuserez j'espère de ne pas avoir retenu leurs noms) vont jusqu'à dire qu'en fait la continuité est totale: à l'époque "classique", les cités faisait souvent appel aux Perses pour régler leur différents; à l'époque hellénistique, elles en feront de même avec les royaumes, puis avec les Romains.
Bien entendu, un fait majeur de l'époque hellénistique est l'expansion de la culture hellénique dans l'ex-royaume achéménide. Mais là aussi, les conclusions de Droysen sont plus que remises en cause. Certes, une partie des élites "indigènes" s'hellénisa, ce qui était en quelque sorte la condition sine qua non de l'accès à la haute administration. On en a notamment un bon exemple avec certains dignitaires juifs, ce qui fut d'ailleurs une des causes de la guerre des Maccabées. Mais globalement, la culture grecque semble avoir peut "contaminée" le commun peuple. Une analyse très critique en est donnée par Peter Green dans son D'Alexandre à Actium, dans un chapitre au titre pour le moins explicite: "La diffusion de l'hellénisme: exploration, assimilation, colonialisme; ou le chien qui aboyait dans la nuit".
Le statut des personnes semble être resté relativement inchangé. Ainsi en Asie Mineure, les laoi (paysans dépendants) qui étaient attachés aux domaines des satrapes ou de la famille achéménides le furent désormais aux terres données par les rois séleucides à leurs "amis", leur famille (une donation du roi Antiochos II à son épouse répudiée Laodice nous est connue), ou à des sanctuaires (pratique qui existait déja à l'époque perse). La documentation papyrologique nous permet de connaître un petit peu mieux la situation des fellahs égyptiens. Là aussi, pas de réel changement, si ce n'est que l'exploitation de ces paysans au profit de la puissance royale fut encore accrue par rapport aux époques antérieures (on estime que plus de 50% du produit des récoltes était ponctionné par l'Etat, dans le cadre du fameux "système mercantiliste" lagide).
Concernant la "subsistance" de l'hellénisme oriental, on peut citer la fameuses statues de Boudah au visage d'Apolon dans le Gandhara. Une certaine symbiose artistique semble s'être faite dans les confins du royaume séleucide et de l'Inde. Ces contrées nous sont malheureusement parmi les plus mal connues du "monde hellénistique", l'histoire des royaumes gréco-bactriens établis là-bas à partir de -250 ne nous étant que très partiellement connue (grace en particulier à la numismatique). Le philhellénisme des dynastes parthes arsacides (dont les monnaies étaient frappées avec des inscriptions en langue grecque) semble quant à lui témoigner d'une certaine persistance de l'hellénisme au sein de ses élites qui furent sans doute les catégories sociales qu'il marqua essentiellement.
_________________ "Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Paul Valéry
"C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar". Gustave Flaubert
Dernière édition par Artaxerxès le 04 Mai 2004 10:48, édité 2 fois.
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