En écho à un excursus commencé dans le fil consacré à la peur dans la religion grecque, je me suis intéressé à un aspect assez intéressant mais néanmoins complexe d'une idée évoquée par J. Scheid dans une entrevue menée par B. Mezzadri : la discussion est retranscrite dans la revue Europe, n°945-946 / Janvier-Février 2008,
Historiens de l'Antiquité, pp. 159-190.
La discussion porte, de manière très large, sur les rapports des Romains (mais aussi un peu des Grecs) au domaine religieux et au lien plus spécifique qui unit l'histoire au mythe et, inversement, le mythe à l'histoire. La remarque qui m'intéresse intervient à la fin de la discussion et porte sur la façon d'envisager les rapports avec la politique : je vous livre un passage.
-
B. M. : Une question plus politique : vous notez que "l'ouverture aux nouveaux citoyens et aux nouveaux dieux était traditionnelle à Rome" ; pensez-vous que les deux phénomènes sont liés, et peut-on rapprocher ce parallélisme du statut de dieu citoyen que vous développez aussi dans La Religion des Romains
(je me posais cette question par confrontation avec les Grecs, qui semblent a priori être aussi très accueillants pour les dieux étrangers mais moins généreux pour intégrer les citoyens). Pensez-vous que le type de "citoyenneté" des dieux grecs était différent de la "citoyenneté" des dieux romains ? Ou que les dieux grecs n'étaient tout bonnement pas citoyens ? - J. S. : Je distinguerai deux questions : d'abord, est-ce que ces deux phénomènes - l'accueil des dieux extérieurs et l'ouverture aux nouveaux citoyens - sont liés ? Oui, la réponse est clairement oui, l'accord est à peu près unanime sur ce point ; il n'y a pas de solution de continuité entre la pratique sociale des Romains et leur pratique théologique ; on admet dans la cité, en permanence, de nouveaux membres humains aussi bien que de nouveaux membres divins. La deuxième question est : y a-t-il une différence avec les Grecs, les Athéniens notamment (car pour les autres Grecs, il faudrait sans doute répondre au cas par cas, en fonction des informations dont nous disposons). On sait que les Athéniens en effet ne sont pas très accueillants pour les nouveaux citoyens ; mais le sont-ils beaucoup plus pour de nouveaux dieux ? Ces divinités nouvelles sont-elles si nombreuses ? L'un de ces nouveaux dieux au moins a posé un gros problème, puisque le philosophe qui était censé l'avoir introduit l'a payé de sa vie. A Rome aussi, bien sûr, il faut respecter une procédure... On ne peut pas la contourner ou l'ignorer...
-
B. M. : Il y a eu aussi le fameux scandale des Bacchanales. - J. S. : Oui. Mais ce qui était alors en jeu, c'était plutôt la déviation cultuelle d'un rite qui existait déjà auparavant - le dieu concerné existait à Rome avant, et a continuité d'y exister après. Les Romains étaient impitoyables pour ceux qui ne respectaient pas les procédures. Mais peut-on vraiment qu'en Grèce, à Athènes par exemple, il y a eu beaucoup de nouveaux dieux ?
-
B. M. : Quelques-uns tout de même, des divinités orientales notamment... - J. S. : Publiques ? Parce qu'à Rome, il s'agit de divinités publiques, des dieux de l'Etat, ce qui n'est pas sans importance pour la question.
J'arrête ici la retranscription sinon je vais me faire tapper sur les doigts
(mais si la modération considère que le passage reproduit est trop long, on peut supprimer les deux dernières questions de B. Mezzadri : c'est surtout la première qui m'intéresse).
Que pensez-vous de ce rapprochement opéré entre un statut social et une pratique cultuelle ?