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Message Publié : 10 Oct 2012 21:35 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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kheiron a écrit :
Bonsoir,Ha? Parce que des recherches historiques et du "tourisme intellectuel" comme l'a effectué Hérodote seraient possible en pleine guerre ? Leur intérêt même existerait alors que la citée est menacée et ce type de travail serait alors récompensé? J'en doute...
Citer :

Je ne saisis pas bien le sens de votre remarque : voulez-vous dire qu'en dehors de la paix, il est impossible d'écrire ou de réciter (puisque vous parlez d'Hérodote) un récit, et j'insiste sur le mot (ou bien allez-vous me dire que vous prenez pour du "tourisme intellectuel" ce qu'il dit sur... les Scythes, par exemple ? on se situe dans une géographie plus rêvée que réelle), en dehors des temps de guerre ? Je ne vois en tout cas pas le rapport avec le problème.


kheiron a écrit :
Ha bon? Peux-tu donc citer plusieurs exemples d'empires maritimes commerciaux antérieurs au grecs où les cités membres de l'empire payent un tribut à une cité principale ?


Je ne sais pas : peut-être les Mycéniens ? les Crétois (même si Thucydide les a beaucoup fantasmés) ? les Phéniciens ? les Carthaginois ? Et d'ailleurs, soyons précis, de quoi parlez-vous lorsque vous évoquez "l'empire" ? certainement pas l'empire romain, j'imagine... celui de la Ligue de Délos ?


kheiron a écrit :
Et selon toi d'âge d'Or de Périclès se produirait en pleine guerre, plutôt qu'en une période de paix - relative - entre deux conflits majeurs?
Sur les liaisons avec la géographie, crois-tu vraiment qu'une avancée technologique ou artistique puisse avoir lieu loin de routes commerciales et que par exemple la Bretagne aurait pu abriter une école philosophique?
Je te rappelle que la Grèce comme l'Egypte se trouvent au carrefour de trois continents, à l'intersection de grandes routes commerciales, ce qui favorise des compétitions et échanges culturels et technologiques.

De même, toujours concernant l'importance de la géographie sur le même registre, crois-tu vraiment qu'une métropole puisse surgir n'importe ou? Et bien non, elle surgit sur un point de passage obligatoire d'un fleuve navigable (souvent lié à la présence d'îles où à un courant moindre en estuaire), ce qui lui assure à la fois des revenus commerciaux, des droits de passage ainsi qu'une alimentation conséquente en eau. Incroyable, non ? :P


Hé bien je ne vois pas, pour ma part, où se situerait la période de paix. Il existe une différence fondamentale entre paix et trêve... Parler d'âge d'or (surtout au siècle de Périclès) me paraît très excessif : d'ailleurs le malheureux meurt... pendant la guerre ! je n'appelle pas cela une période de paix. Mais encore une fois, je ne vois pas où est le problème : il peut très bien exister une littérature riche et abondante pendant des périodes de crise.

Sur la géographie, j'attirais justement votre attention sur le fait que... Rome aussi est située (et plus encore que la Grèce peut-être) à un carrefour méditerranéen ! Je ne le prends donc pas comme argument d'autorité et je me permets de relativiser sur cet "avantage". Qui dit avantage dit aussi inconvénient : une région riche attire également des convoitises et devient un lieu de luttes. Lorsque vous me dites donc que la Grèce est à un carrefour du monde méditerranéen, je n'y vois rien d'étonnant, j'y vois une réflexion purement pratique sur un plan géopolitique.


kheiron a écrit :
On peut même aller plus loin: NOTRE vision de l'histoire dépend des traces laissées et les phéniciens ont ont laissé trop peu car utilisaient les papyrus. De même Thalès de Milet, le premier philosophe grec, est souvent présenté comme descendant de phéniciens.


Sur ce point, au moins, nous sommes d'accord, et cela ne fait que confirmer que le sujet doit être reformulé pour parler des humanités et non de l'humanité !


kheiron a écrit :
Mais puisque l'empire commercial fâche, j'ai encore mieux dans ma banette. Une chose nouvelle se produit en Grèce lors de l'apparition de la philosophie: la laïcité. :P
Alors qu'auparavant les réflexions et mystères étaient secrets et réservés aux religieux et aux initiés, les philosophes au contraire les font partager, discuter, enrichir et les rendent publics. A votre avis, pourquoi et comment cela se produit-il ? :P


Alors là, il va falloir arrêter les folies et les anachronismes grossiers ! Je suis désolé mais quand on me parle d'un concept forgé et conçu des siècles après une réalité qui nous échappe encore, je tombe de haut ! Vous allez bientôt me dévoiler que les Grecs (ou les Romains, qui sait ?) avaient conscience de l'idée d'une nation ? que le clergé, au sens où les républicains des débuts de la IIIème République l'entendaient, était celui que les Grecs ou les autres civilisations antiques avaient en tête ? Laïcité ??? et sans doute me donnerez-vous le terme exact qui transcrit cette merveille invention grecque ?

A propos de la philosophie, vous pensez sérieusement que les philosophes sont des "laïcs" ? Non seulement cela n'a strictement aucun sens dans les mentalités antiques mais en plus votre définition même des pratiques des philosophes antiques est fausse ! Platon ou Aristote (ou d'autres) n'ont rien rendu de "public" à ce que je sache ! les mystères restent les mystères. La franc-maçonnerie partage des conférences "publiques" (comme vous dites) sans pour autant que les pratiques initiatiques soient totalement dévoilées.

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Memoriam quoque ipsam cum voce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset oblivisci quam tacere


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Message Publié : 10 Oct 2012 21:38 
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Hérodote
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Oliviert a écrit :
1. L'alphabet phénicien s'est très peu répandu par rapport à l'alphabet grec.
2. Le nombre de savants et d'érudits qui ont écrit en grec est largement supérieur au nombre de ceux qui ont écrit en phénicien.
3. La koinè était une lingua franca. Vous ne pouvez pas en dire autant du phénicien.
4. La bible qui a été majoritairement adoptée par les chrétiens est la bible des septantes, écrite en grec. Cette bible a eu plus d'influence que la bible en phénicien, tout simplement parce que les chrétiens sont et ont été très nombreux.
5. L'alphabet grec fut utilisé dans tout l'empire bizantin pendant des siècles, alors que pendant ce temps-là, l'alphabet phénicien était utilisé de manière confidentielle.
6. L'alphabet grec (et non pas l'alphabet phénicien) a contribué à la naissance de l'alphabet latin et de l'alphabet cyrillique.
7. L'alphabet grec est utilisé de nos jours par 11 millions de grecs en Grèce et d'autres ailleurs. Dites-moi combien de personnnes utilisent l'alphabet phénicien de nos jours ?
8. L'alphabet grec est encore utilisé de nos par de nombreux scientifiques, par exemple, en mathématiques. Par contre, trouvez-moi des scientifiques modernes qui utilisent l'aphabet phénicien.


Juste une question sur ce foisonnement de textes grecs que nous connaissons aujourd'hui. Ne serait-il pas lié à l'existence de la grande bibliothèque d'Alexandrie (-288 / 642), qui a été fondée par... un grec en un temps où les grecs dominaient le monde et donc imposaient leur culture?
Dès lors, il est compréhensible que l'héritage grec nous paraisse énorme tandis que celui des autres cultures nous semble plutôt faible.

De même et pour revenir au chinois, la bibliothèque impériale a permis la transmission du savoir antique au cours des âges.

Comme quoi l'histoire provient de ceux qui l'écrivent mais l'histoire ancienne provient peut-être aussi de ceux qui la conserve, non ? :P


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Message Publié : 10 Oct 2012 21:43 
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Jean Froissart
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Vous faites d'une contingence une nécessité, dès lors, inutile d'aller plus loin.

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Message Publié : 10 Oct 2012 22:18 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Message du 9 Octobre 0h59
Alfred Teckel a écrit :
Mouais, moi l'apport des Grecs je ne le nie pas, mais je pense qu'il est plus que nécessaire de le relativiser. Car si cet apport est essentiel au niveau intellectuel et probablement artistique (quoique les contre-exemples abondent), il convient à mon sens de bien resituer tout ce que nous devons aux Romains, qui ont eux-mêmes prédigéré cet héritage grec déjà très largement éloigné de la grande Athènes du Ve s. qui fait figure de phare du monde occidentale.

Car c'est l'héritage d'une Grèce hellénistique : grecque, mais aussi macédonienne, égyptienne, séleucide dont Rome arrose l'ensemble de son empire. Et n'oublions pas qu'à l'état de traces subsistent aussi, dans ce qui formera le lit intellectuel du Bas Moyen Âge, l'héritage des Gaulois et Germains - disons des Celtes en général. Sans oublier la vigueur des formes nordiques et irlandaises de spiritualité, ou encore l'impact des sciences arabes... Faire du terreau grec la source primordiale de ce que devient l'Occident au Bas Moyen Âge puis pour une bonne partie de la période Moderne me semble de plus en plus, à mesure que le temps passe, une erreur, ou du moins une demi-vérité, trompés que nous sommes par les hommes de cette époque qui ne voulaient voir en eux-mêmes que les apports grecs et parfois latins, envisagés comme source de toute culture, toute vertu et toute beauté.

C'était oublier - et nous cédons à la même tentation - que la Renaissance n'en a que le nom et qu'elle fleurit surtout sur un énorme substrat médiéval bien plus hétéroclite qu'elle ne veut bien l'accepter.


Alfred,

complètement d'accord avec vous.

"Et n'oublions pas qu'à l'état de traces subsistent aussi, dans ce qui formera le lit intellectuel du Bas Moyen Âge, l'héritage des Gaulois et Germains - disons des Celtes en général. Sans oublier la vigueur des formes nordiques et irlandaises de spiritualité, ou encore l'impact des sciences arabes..."

Pour l'impact des sciences arabes, j'ai fait une petite étude (surpris par le parti pris surtout des sites internets arabes, mais aussi des sites de droite européen. C'est presque impossible de trouver quelque chose de valeur sur l'internet concernant cette question)
http://www.empereurperdu.com/tribunehis ... 1&start=15

Et je trouve aussi de valeur la citation de Kheiron?: Civilisation au croisement de grandes routes commerciales...comme les Arabes entre la Perse et l'Occident, comme la Perse entre l'Inde, la Chine et les Arabes...

"C'était oublier - et nous cédons à la même tentation - que la Renaissance n'en a que le nom et qu'elle fleurit surtout sur un énorme substrat médiéval bien plus hétéroclite qu'elle ne veut bien l'accepter..."

C'est aussi une de mes thèses, et vous l'avez mieux formulé que je l'aurais jamais écrire.

Cordialement et avec estime,

Paul.


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Message Publié : 10 Oct 2012 22:49 
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Hérodote
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Arcadius a écrit :
[La laïcité chez les grecs]
Alors là, il va falloir arrêter les folies et les anachronismes grossiers ! Je suis désolé mais quand on me parle d'un concept forgé et conçu des siècles après une réalité qui nous échappe encore, je tombe de haut !


J'en suis bien désolé aussi mais mes "anachronismes grossiers" me semble partagés avec plusieurs spécialistes des mythes grecs.

Par exemple, les grecs passent d'une explication du monde provenant de lignages des dieux (théogonie d'Hésiode) à des écoles philosophiques orientées vers la physique ou les mathématiques, puis les socratiques vers la recherche de la sagesse, l'éthique , la logique . Et dans tous ces domaines les dieux sont absents. Voilà pourquoi je parle de laïcisation de la pensée car ils arrivent à s'extraire du "tout est divin" pour expliquer l'univers: ils s'extraient de la théologie.
Ainsi Epicure est considéré comme un des premiers penseurs à l'origine de la laïcité. Par exemple, dans sa lettre à Mécénée: " Il y a des dieux, c’est une connaissance consacrée à la postérité ; mais leur existence est tout à fait différente de celle qu’ils trouvent dans l’imagination dos hommes. Celui-là donc n’est point un impie téméraire qui bannit celle foule de divinités à qui le simple peuple rend des hommages ; c’est plutôt cet autre qui veut donner à ces êtres divins les sentiments ridicules du vulgaire.
Tout ce que la plupart de ces faibles esprits avancent sur la connaissance qu’ils en ont, n’est point par aucune notion intérieure qui puisse servir de preuve invincible, c’est seulement par de simples préjugés. Quelle apparence que les dieux, selon l’opinion commune, s’embarrassent de punir les coupables et de récompenser les bons, qui, pratiquant sans cesse toutes les vertus qui sont le propre d’un excellent naturel, veulent que ces divinités leur ressemblent, et estiment que tout ce qui n’est pas conforme à leurs habitudes mortelles est fort éloigné de la nature divine."

De plus, les bibliothèques grecques publiques dans l'antiquité sont une réalité et des infrastructures très coûteuses. Et quel est l'intérêt d'une bibliothèque si ce n'est de stocker les connaissances, les partager et les transmettre ? On en revient au "laic", celui qui doit être enseigné.

Après certes, je comprend que balancer sans explications préalables et comme cela que les grecs on inventé "la laïcité" moderne puisse faire bondir et je m'en excuse (même si cette petite provocation m'a bien fait sourire :P) . Par contre, dire que les premières expressions (qui nous sont connues) de pensées laïques remontent aux grecs me semble juste.

Donc Arcadius, je vous promet d'atténuer mes provocations (mais qui cachent souvent des justifications et des développements possibles) si vous arrêtez de votre côté des jugements de valeur non argumentés :P

A plus et vous lire,


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Message Publié : 11 Oct 2012 8:06 
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Salluste
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Pour Michel Costantini, c'est le brassage culturel en Ionie qui apporte les prémices de la philosophie en détachant l'explication du monde des mythes. C'est là où je suis d'accord avec kheiron malgré l'anachronisme sur la laïcité.
Il ne s'agit pas encore de philosophie mais plutôt de physique et il ne s'agit pas non plus d'un rejet des mythes.

Pour Lucien Jerphagnon, la philosophie morale apparaît avec les questions de Socrate et les théories de Platon. Celles-ci proviendraient d'une réponse aux problèmes posés par les lacunes de la démocratie athénienne en particulier des débats à la Boulé guidés par la doxa avec les techniques de l'art de convaincre.
Les chinois vers le même époque développerons plutôt une philosophie politique, ils auront également l'équivalent des écoles sophistiques.
Aristote est sans doute le premier à tenter de proposer un système philosophique complet.

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Message Publié : 11 Oct 2012 9:44 
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Jean Froissart
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Je n'ai formulé aucun jugement de valeur sur vos arguments, Kheiron, puisque je critiquais vos "provocations". Reprenons donc sereinement sur votre idée : si je suis bien votre raisonnement - mais vous me reprendrez si je dis des bêtises -, l'idée d'une séparation entre une sphère laïque et une sphère cléricale serait née ou due aux Grecs.

Je ne suis pas non plus d'accord sur ce point, du moins pas totalement. En réalité, le problème vient peut-être du fait que vous assimilez les strates de la philosophie, de la politique et du corps social. La laïcité s'inscrit dans une dimension politique, elle n'est donc absolument pas présente chez les Grecs ou les Romains ou aucune autre pensée de l'Antiquité. La laïcité n'a pu naître qu'avec le rejet rationnel de l'idée même de divinité, non pas le seul rejet d'une implication divine dans le monde : en ce sens, c'est toute la pensée des Lumières qui lui ouvre la voix, les Grecs sont très étrangers à ce système de pensée.

Pour en revenir à Epicure dont vous citiez sa lettre très lumineuse, je pense qu'à nouveau vous confondez deux choses : l'application au quotidien d'une pensée philosophique (même si cela touche essentiellement plus les stoïciens) et l'implication du philosophe dans le corps social. Le système d'Epicure ne prévoit aucune application à la cité mais s'intéresse à l'homme en tant que tel. La nouveauté de sa philosophie est incontestable, je suis bien d'accord avec vous, mais elle n'a rien de laïc puisqu'elle n'intéresse pas le corps social : la doctrine s'expose en marge d'une application sociale, on peut à cet effet penser à César, épicurien dont la doctrine n'a jamais d'implication politique (sauf chez ses successeurs). Si les épicuriens distinguent bien les sphères divines et humaines et rejettent l'idée d'une implication des dieux dans notre monde, ils ne rejettent en rien l'existence d'une sphère à part. Pareil pour Aristote et ses différentes sphères entre la Terre et la Lune, pour plagier un merveilleux roman lol

A propos des bibliothèques, vous allez un peu vite et trop loin, à mon avis : elles sont certes parfois "publiques" mais pas toujours, de très nombreuses bibliothèques demeurent privées, surtout dans l'Empire romain, et c'est ce qui permet souvent la survivance de certains textes soumis à la censure de tel ou tel Prince, comme l'a très bien montré C. Salles dans Lire à Rome. Les bibliothèques sont plus un centre d'archives de la littérature qu'une structure destinée à étudier les textes, pour cela il faut attendre les universités médiévales.

Cela peut être discuté, bien entendu, mais je ne vois pas où serait l'idée d'une pensée laïcque puisqu'elle n'a aucune caractéristique sociale et encore moins de résonnance politique. Les Grecs ont, bien entendu, été à l'origine de ce que nous appelons aujourd'hui des bibliothèques, mais cela ne s'accompagne d'aucune implication sociale. En fait, les bourgeoisies municipales n'y trouvent que peu d'intérêt et une bibliothèque est davantage le reflet de la grandeur artistique de la cité qu'une réelle tentative d'ouverture de la connaissance "à tous" - c'est-à-dire à peu de monde à cette époque, en réalité...

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Message Publié : 11 Oct 2012 10:46 
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Eginhard
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Je ne reprends certes pas le terme de laïcité, introuvable dans la pensée grecque, mais la Grèce nous a laissé un rationalisme qui peut aller jusqu'à penser que ce sont les hommes qui ont créé les dieux. C'est quand même une radicalité intellectuelle unique, qui, du reste, n'est défendue que par une poignée "d'extrémistes" de la raison. On peut penser à Euhémère mais surtout à Critias doit voici un extrait de sa pièce Sisyphe (unique fragment d'ampleur conservé).
Citer :
« Il fut un temps où la vie des hommes était sans règle, comme celle des bêtes et au service de la force, où les hommes honnêtes n'avaient nulle récompense, ni les méchants, non plus, de punition. Je pense que c'est plus tard que les hommes établirent des lois punitives pour que la justice fût reine sur le genre humain et qu'elle maintînt les débordements en esclavage : on était châtié chaque fois qu'on commettait une faute. Plus tard, encore, comme les lois empêchaient les hommes de mettre de la violence dans les actes commis ouvertement, mais qu'ils en commettaient en cachette, c'est alors, je pense, que, pour la première fois, un homme avisé et de sage intention inventa pour les mortels la crainte de dieux, en sorte qu'il y eût quelque chose à redouter pour les méchants, même s'ils cachent leurs actes, leurs paroles ou leurs pensées. Voilà donc pourquoi il introduisit l'idée de divinité, au sens qu'il existe un être supérieur qui jouit d'une vie éternelle, qui entend et voit en esprit, qui comprend et surveille ces choses, qui est doté d'une nature divine : ainsi, il entendra tout ce qui se dit chez les mortels et sera capable de voir tout ce qui se fait. Si tu médites en secret quelque forfait, celui-ci n'échappera pas aux dieux, car il y a en eux la capacité de le comprendre. »

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"Denken heisst überschreiten" : Penser signifie faire un pas au-delà. Ernst Bloch (1885-1977)


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Message Publié : 13 Oct 2012 0:16 
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Jean Froissart
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De ce point de vue, je suis entièrement d'accord avec vous, Calade : la rationnalité est très grecque. Je dirais même que le statut de l'individu y a beaucoup gagné. C'est peut-être l'invention qui caractérise le plus les Grecs.

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Message Publié : 13 Oct 2012 2:40 
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Hérodote
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Bonsoir à tous,

Arcadius a écrit :
si je suis bien votre raisonnement - mais vous me reprendrez si je dis des bêtises -, l'idée d'une séparation entre une sphère laïque et une sphère cléricale serait née ou due aux Grecs.


Non, il y a là encore trop de provoc :P . En fait, je pense que l'idée d'une explication du monde, d'une morale et d'une manière de vivre indépendante de tout rite religieux conservateur ou de justification divine apparaît en Grèce comme en Chine parmi certains érudits.
Cela n'a qu'un rapport très lointain avec la laïcité (mais pourquoi pas une sorte d'origine lointaine? Et certains parlent de "laïcisation") - mais disons plutôt que c'est un début de libre pensée (mais ce mot peut être pour certains aussi anachronique que laïcisation) ou peut-être de désacralisation de l’explication du monde (mais de même pour "sacré")

Après - pour exprimer le fond de ma pensée mais nous ne sommes plus vraiment dans l'Histoire - mon hypothèse est que la philosophie grecque proviendrait d'une contestation sociale des nobles par une classe de marchands, qui, s'enrichissant financièrement et culturellement, dépassent culturellement et financièrement les nobles et désirent accéder au pouvoir.

Ainsi des commerçants marins d'une part, possèderaient un savoir-faire technique de tout premier plan à l'époque, avec le besoin de comprendre ces savoirs faire et donc d'étudier les sciences. De plus, ils voyagent et ainsi ont accès à des savoirs culturels peu connus en Grèce (par exemple à des sciences et mystères d'Egypte). Enfin l'invention de la monnaie semble apparaître en Lydie vers -650, propulsant ensuite par sa généralisation le commerce, pourrait avoir provoqué un déséquilibre social au profit de ces derniers.

Via la démocratie finalement, que fait Périclès (lui par contre politique et noble) sinon d'ouvrir le mode de vie des nobles à tous, en profitant des ressources d'un empire commercial et du trésor de la ligue de Délos ? Ainsi les riches, opposés aux nobles, terrasseraient ces derniers en imposant l'égalité et même en l'étendant à d'autres catégories sociales moindres.

Mais les philosophes anciens font plus encore que cela: ils bouleversent les rites en inventant des méthodes de pensée, en vivant concrètement leur philosophie et par cela en redéfinissant leur statut d'homme, leur rapport à l'univers, et en s'extrayant complètement des conservatismes à l'opposé des rites. Là, cela ressemble à une révolte de jeunes intellectuels, cherchant du sens dans une période de profonde mutation.

Mais la sociologie ne remonte malheureusement pas à cette époque et quand à prouver ces intuitions, cela me semble bien difficile.
Mais j'aime à penser que les philosophes ayant rejeté les rites et les habitudes, n'aimeraient pas qu'on explique leur apparition par un procédé divin :P


Citer :
La laïcité n'a pu naître qu'avec le rejet rationnel de l'idée même de divinité, non pas le seul rejet d'une implication divine dans le monde : en ce sens, c'est toute la pensée des Lumières qui lui ouvre la voix, les Grecs sont très étrangers à ce système de pensée.


Mais dans ce cas, vous excluez les agnostiques, les déistes et les athées de la construction de la laïcité?
Pour les Grecs anciens, c'est encore pire puisqu'ils ne sont pas religieux et qu'il n'y existait pas de clergé - au sens où nous l'entendons de par la comparaison avec le christianisme - leur mais le respect des divinités était plutôt un respect des rites.

Citer :
Pour en revenir à Epicure dont vous citiez sa lettre très lumineuse, je pense qu'à nouveau vous confondez deux choses : l'application au quotidien d'une pensée philosophique (même si cela touche essentiellement plus les stoïciens) et l'implication du philosophe dans le corps social. Le système d'Epicure ne prévoit aucune application à la cité mais s'intéresse à l'homme en tant que tel.


Mais je suis d'accord avec le début mais moins sur la fin. D'une part, effectivement, la philosophie des anciens s'adresse à l'homme et propose la philosophie comme une pratique quotidienne. Mais d'autre part, le but du philosophe ancien n'est pas un but politique . Le philosophe grec, intéressé par les sciences et la recherche du bonheur, est finalement plus un missionnaire: il ne dirige pas une cité mais une école. Contrairement à certains philosophes politiques des Lumières qui inventent des systèmes politiques applicables à un peuple, sans chercher une seconde à en vivre le mode de vie supposé. La philosophie politique n'est plus alors un art de vivre mais une science théorique raisonnant abstraitement sur un peuple et une nature humaine supposée.

Citer :
A propos des bibliothèques, vous allez un peu vite et trop loin, à mon avis : elles sont certes parfois "publiques" mais pas toujours, de très nombreuses bibliothèques demeurent privées, surtout dans l'Empire romain, et c'est ce qui permet souvent la survivance de certains textes soumis à la censure de tel ou tel Prince, comme l'a très bien montré C. Salles dans Lire à Rome. Les bibliothèques sont plus un centre d'archives de la littérature qu'une structure destinée à étudier les textes, pour cela il faut attendre les universités médiévales.


Oui mais déjà vous avez échappé aux "bibliothèques publiques municipales" :P Mais l'important était que certaines bibliothèques grecques étaient publiques et utilisés par des écoles. Après je ne sais si la comparaison avec Rome n'amène pas des distorsions; la culture romaine ayant souvent dénaturé la grecque.


Sinon je m'excuse de la grosse digression du sujet originel, mais le "quoi" étant rapidement épuisable, j'ai pensé qu'un "pourquoi à votre avis" pouvait aussi intéresser et même apporter des "quoi" insoupçonnés. Mais néanmoins, je confesse qu'en histoire, les intuitions ne pouvant remplacer des faits établis, cela n'est plus de l'Histoire.

A vous lire,


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Message Publié : 13 Oct 2012 8:39 
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kheiron a écrit :
Mais dans ce cas, vous excluez les agnostiques, les déistes et les athées de la construction de la laïcité?


Que nenni ! lol Au contraire : déisme et athéisme sont, entre autres, caractéristiques de l'esprit des Lumières et donc la laïcité a pu germer également par leur système réflexif "révolutionnaire" (en ce sens). Pour les agnostiques, je ne sais pas s'il y a eu un courant caractérisé pendant les Lumières : je n'ai pas de connaissances en la matière et je serais plutôt enclin à parler de tendance plutôt que d'idéologie - c'est d'ailleurs ce que j'aime chez l'agnostique : il n'y a pas de système établi ou détruit, il n'y a que des ruines dans lesquelles on se balade :mrgreen:

En revanche, ce qui est certain, c'est que l'athéisme doit beaucoup à l'émancipation du statut de l'individu extrait de la communauté : en ce sens, la pensée grecque a effectivement influencé pour une large part les conditions de l'acte de naissance de la laïcité (française, bien entendu, les autres types de laïcité n'étant pas du tout comparables, comme en Italie par exemple) : le pacte républicain.

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Message Publié : 13 Oct 2012 8:46 
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kheiron a écrit :
Après je ne sais si la comparaison avec Rome n'amène pas des distorsions; la culture romaine ayant souvent dénaturé la grecque.


Là, par exemple, on pourrait croire vraiment à de la provocation ! lol

Ce n'est pas une comparaison : Rome assimile la Grèce et prolonge son existence de manière incroyablement riche puisqu'elle lui offre, en plus d'un espace plus large que celui que lui avaient offert les Diadoques, une stabilité politique (et en ce sens, une paix) encore jamais expérimentée par nos petites cités. Il n'y a pas de dénaturation qui tienne ! A la rigueur, la seule dont on pourrait parler serait à imputer aux Grecs vis-à-vis de la culture romaine, mais c'est du domaine de l'idéologie, pas de l'histoire - et ce n'est pas non plus un point de vue que je partage : que Rome ou la Grèce (déjà la distorsion est flagrante dans la mesure où l'on met sur le même plan deux entités radicalement différentes) se soient dénaturées l'une et l'autre est un faux problème. En fait ce n'est même pas un problème : ce qui pose problème, c'est le terme "dénaturation" ; déjà qu'on ne sait très bien ce qu'est la nature romaine ou la nature grecque...

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Message Publié : 13 Oct 2012 9:11 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 22 Août 2008 14:17
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Il ne faudrait quand même pas arriver à penser que Rome a été, linéairement, l'unique héritière, dépositaire et continuatrice de la pensée et de la technique grecques. Le rôle des Ptolémées par exemple, celui des civilisations orientales, voir extrêmes-orientales n'est pas négligeable : c'est à mon sens une distorsion héritée des débuts du christianisme que d'oublier ou minorer la poulie de transmission qu'ont été Byzance, le culte orthodoxe, voire la Russie, l'Islam arabe et... nous-mêmes (des Carolingiens à la Renaissance) dans cette survivance féconde.

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Léon Tolstoï.


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Message Publié : 13 Oct 2012 10:16 
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Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Bien entendu, Jibe. Mais autant je serais d'accord pour dire que Byzance est l'héritière, entre autres, de la culture grecque, du moins qu'elle l'a prolongée, autant je ne suis pas d'accord sur Rome : Rome n'est pas une héritière de la culture grecque puisqu'elle reste, tout de même, contemporaine. Pour les Lagides le problème ne se pose pas puisqu'ils sont dépositaires d'une autorité hellénistique. Ou alors peut-être pensiez-vous à l'héritage grec classique, et donc celui de la Grèce des Vème et IVème siècles av. J.-C., mais même là, Rome n'est pas héritière, elle est contemporaine.

Rome a permis à la culture grecque non seulement de rester dans les mémoires mais elle l'a également prolongée très largement. On peut penser à la seconde sophistique, entre autres. Je dirais donc que l'ensemble des civilisations bordant le bassin méditerranéen sont les héritières directes (Byzance, les Mérovingiens, les Wisigoths ou encore la Maurétanie) ou indirectes (les Carolingiens, l'empire arabe) de la culture grecque et, de manière plus générale, de la culture gréco-romaine.

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Message Publié : 13 Oct 2012 11:52 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 22 Août 2008 14:17
Message(s) : 2324
D'après les dernières données archéologiques, la culture grecque a largement influé sur l'Inde et ce qui l'entoure, l'empire d'Alexandre n'ayant pas été seulement une conquête militaire. Il semble même qu'à Angkor, on ait des traces de cette dette, tant pour l'art que pour la pensée.

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