Philippe II fait effectivement frapper des monnaies d'étalon thraco-macédonien (légèrement plus élevé que l'eubéo-attique, si mes souvenirs sont bons) et c'est à Alexandre que revient bien ce choix de l'étalon athénien pour une monnaie "méditerranéenne orientale" (l'étalon corinthien et les concurrences puniques jusqu'à la chute de Carthage persistent et en Méditerranée occidentale ; je crois me souvenir que les émissions numides à partir de Massinissa adoptent un étalon athénien, du fait de l'importance du commerce séleucide et ptolémaïque). Par contre, je me posais justement la question vis-à-vis de ce choix pour définir avec précision le mobile (soyons juges
) : à ma connaissance, ce n'est qu'à partir de la conquête de l'Egypte et la poursuite vers Babylone qu'Alexandre adopte une monnaie "unique" (avec tous les guillemets que l'expression implique, vu qu'il s'agit plutôt d'une normalisation empirique).
Pour quelles raisons donc Alexandre préfère-t-il adopter un étalon qui n'est pas encore propre à cette partie du monde ? Après je suis entièrement d'accord avec vous pour la reprise monétaire de Ptolémée, mais je m'intéresse aux années propres au gouvernement de Cléomène de Naucratis. Finalement, cette normalisation monétaire en Méditerranée orientale - Rome aura recours à l'étalon attalide, légèrement inférieur mais pas du tout motivé par l'influence athénienne - est en réalité plus due aux Diadoques qui poursuivent cette initiative d'Alexandre, mais pour une autre raison que son choix de l'étalon athénien (et c'est pourquoi je me pose cette question) : la prise des cités perses et des trésors en or pur de Babylone, Suse ou Persépolis met à disposition une quantité non négligeable d'or pur (en coupes, vases et tout autre objet d'art ou d'apparat). Le fait d'avoir proprement innondé le marché oriental (par la paye des mercenaires et des troupes, bien entendu, nous sommes d'accord sur ce point) par la refonte de ces richesses (ou du moins d'une très grande partie, si l'on observe la proportion dans les trésors datables de cette période) en monnaies d'étalon athénien explique le passage à cette normalisation avant l'heure.
Mais ceci n'explique pas cela : on ne peut déterminer le choix d'Alexandre par une situation économique postérieure (même à un an près). L'économie athénienne était bien portante quoiqu'affaiblie en Méditerranée orientale, mais ce n'était pas la monnaie qui avait le plus de renom, à part peut-être en Egypte. Et c'est justement ce pourquoi je pointais l'idée d'une influence décisive lors de la conquête de l'Egypte. Celle-ci n'a en effet aucune monnaie digne de ce nom (il y en a peut-être quelques traces, mais celles-ci sont trop faibles - les rares imitations sont en bronze et en argent, et encore faut-il signaler qu'elles sont contestées par de nombreux numismates - et bien trop sporadiques pour rivaliser avec les émissions grecques et phénico-puniques) mais utilise depuis au moins un bon demi-siècle la monnaie athénienne pour les mercenaires grecs, que l'on pense aux réformes de l'administration perse (forcée ?) ou aux troubles et aux soulèvements contre la domination perse dans lesquels les mercenaires grecs eurent une influence significative. Qu'il s'agisse d'Halicarnasse, d'Ephèse, des cités de Pamphylie, de Tarse, de Tyr ou de Jérusalem, la monnaie athénienne (ou d'étalon athénien) n'a pas encore cette influence qu'elle aura juste après la prise de Babylone. Et à Babylone, pas plus d'influence avant l'arrivée d'Alexandre.
Pour revenir sur la naissance de la monnaie, je serais plus nuancé que vous : certes, le royaume lydien semble bien avoir été le premier (mais nous ne sommes pas là pour distribuer des palmes
) à établir une monétarisation. Cependant - et la distinction s'impose immédiatement, je pense - cette monétarisation n'est pas de nature "quotidienne" : pour les petits échanges, le recours à la petite monnaie - la
numisma donc, trahie par son propre nom
- n'est pas envisageable avant les frappes en bronze. De ce point de vue, l'initiative (pour ne pas parler d'invention, je sais que le terme choque de nombreux historiens...) semble plutôt être d'origine grecque : les cités de Grande Grèce et d'Italie (influençant largement les peuples italiques) développent, à la suite des cités continentales et insulaires de l'Egée, une monnaie à l'usage de "tous les jours" - ce que l'on ferait aujourd'hui avec nos euros (acheter du pain, prendre un verre de vin, aller chez le cordonnier, etc.). C'est d'ailleurs le malheur de l'archéologie touchant cette partie de la numismatique : on n'en trouve pratiquement pas dans les trésors mais plutôt dans les vestiges des bâtiments, comme on laisserait une ou deux pièces d'un euro sur le meuble pour aller acheter nos baguettes... J'y tiens à mes petites métaphores du quotidien, mon professeur y tenait, je dois tenir ça d'elle
Plus sérieusement, je trouve que votre cycle - pour autant qu'il soit séduisant - ne tient pas suffisamment compte des développements totalement dyschroniques (pardon pour l'affreux néologisme) de la monétarisation du monde méditerranéen.
Partant du fait que la monnaie naît bien en Lydie, elle s'applique certes à la côte occidentale de l'Asie Mineure et aux trois premières cités grecques à en avoir adopté le principe : Egine, Athènes et Corinthe. Sans vouloir entrer dans la polémique sur le primat de l'une sur les autres, s'en tenir là est très réducteur : une autre puissance dont vous ne dites mot est la Perse. La conquête de Cyrus (précisons l'Ancien, je suis plongé dans Xénophon et je risque encore de m'emmêler les pinceaux...) et les réformes de Darius Ier sont très fortes et - si je me souviens bien de mes premiers cours de numismatique - influencent largement la monétarisation. Certes, les souverains achéménides ne prendront visiblement pas la peine de développer ce système outre mesure - mais en avaient-ils besoin à ce moment ? est-il même possible de penser qu'ils ne l'aient pas envisagé ? - mais leurs émissions aux types du Roi-archer sont significatives. D'ailleurs, les Phéniciens vont eux aussi se lancer dans cette aventure : la nature de cité plus ou moins "libre d'empire" (dans le cas phénicien ou de cité-Etat (dans le cas grec) semble avoir été le principal vecteur de cette monétarisation (et je pense, de façon ultérieure et pour la Méditerranée occidentale, à Carthage et aux cités des ligues étrusques de Campanie et d'Etrurie). Au-delà de cela, votre système ne marche pas à tous les niveaux : dire que l'on peut passer de la Lydie à la Macédoine sans problème me semble excessif, vous en conviendrez ? Par ailleurs, Alexandre ne propage pas "sa" monnaie macédonienne, encore moins en Asie ; c'est bien à Philippe que l'étalon thraco-macédonien doit son importance, mais ce dernier conservera surtout son influence en Thessalie et en Eubée (à la rigueur), pas en Attique ou dans le Pélopponèse.
Enfin je me permets de vous poser une petite question (totalement annexe et peu en rapport avec le débat) : que voulez-vous dire à propos des émissions lagides ? Ptolémée reprend, dans un premier temps, les émissions d'"Alexandres" : on a d'ailleurs là aussi une double influence dans cette appellation : les Perses qui présentaient le type du Roi-archer, repris dans la figuration d'Alexandre - même s'il s'agit aussi d'une figuration d'Héraclès, saura-t-on un jour le fin mot de l'histoire ? -, et l'appellation de la monnaie de manière commode due à Athènes qui appelait ses drachmes (ou tétradrachmes ?) des "chouettes" en raison du type manifeste. Mais, dans un second temps et après avoir soigneusement "écarté" Cléomène, il reprend l'idée des "Alexandres", tout comme Séleucos, Cassandre (même s'il a plus de difficultés, et pour cause !) et Lysimaque. Il n'y a donc pas de grande innovation monétaire chez les Lagides, pas tout de suite en tout cas. Que vouliez-vous dire ?
PS : c'est un plaisir de pouvoir débattre avec vous, Alain.g