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Pierre de L'Estoile |
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Inscription : 11 Juin 2007 19:48 Message(s) : 2289
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Je ne suis pas d'accord avec Chaeréphon, ni sur la nuance de sens entre Boiôtikos et Boiôtios qui ne me saute pas aux yeux, ni sur la chronologie dite tardive du sens figuré, puisque Pindare déjà se défend contre cette réputation et dénonce à plusieurs reprise l'expression "pourceau de Béotie". Cf. Pindare, 6e Olympique : "Hé bien ! Enée, invite tes compagnons, d'abord à chanter Héra Virginale, et puis à voir si vraiment nous savons démentir ce vieil opprobre que l'on jette aux porcs de Béotie." et Dythirambes, F53 Bergk : "Il fut un temps où l’on traitait de pourceaux le peuple béotien" repris par le scholiaste, Strabon, et Galien. On retrouve cette réputation de simplicité dans Platon, Banquet, 182b : D'une part en effet, dans l'Élide, à Lacédémone, chez les Béotiens, c'est-à-dire là où les gens ne sont pas de savants parleurs etc.Maintenant, il est vrai que la réputation (issue d'Athènes de toute façon, il faut pas chercher bien loin...) de gloutonnerie est plus courante encore. En fait, c'est lié : les Béotiens revendiquent une culture du palestre très poussée; or les athlètes s'empiffrent, et le temps passé aux exercices physiques se fait au détriment des jeux de l'esprit. Les Béotiens partagent cette image avec leur patron Héraclès, le plus célèbre des Béotiens : des brutes un peu cons sur les bords qui bouffent comme quatre. Les Comiques d'Athènes s'en donnent à coeur joie, il existe je ne sais combien de pièces baptisées "le Béotien" qui s'amusaient de ces préjugés. Athénée en donne de nombreux exemples : Athénée III.27 : 27. Antiphane dit, dans son Béotien : « A. Ce serait une folie que de vous dire ce qu'il y a à manger, comme si j’avais à parler à des gens insatiables ; 84b mais, ma fille, prends ces pommes. B. O les belles pommes! A. Oui, certes, belles. La graine en est venue depuis peu à Athènes, du pays du grand Roi. B. Par Artémis! je les croyais venues des Hespérides; mais on dit qu'il n'y en avait que trois. A. Ce qui est beau, est toujours en petite quantité. B. Et précieux partout. » Eriphos produit ces vers dans sa Mélibée, comme lui appartenais, et voici ce qu'il présente d'Antiphane : « Par Artémis ! je les croyais venues des Hespérides ; 84c mais il n'y en avait, dit-on, que trois. A. Ce qui est beau est en petite quantité. B. Oui, et même précieux partout. A. Eh bien, cela ne me coûte cependant qu'une obole ! au reste je compterai. B. Mais voilà de bien belles grenades. A. Oh, oui! elles viennent du seul arbre qu’Aphrodite a elle-même planté dans l'île de Chypre. Ma chère Berbeias, prends, oui, prends ces trois seules, puisque je n'en ai pas davantage. »Athénée IX.77 : 410d Démonicos a employé, dans son Achéloos, l'expression kata cheiros, pour l'eau dont on se sert avant le souper ou le repas : « Chacun s'empressait, vu qu'il traitait un homme de grand appétit, et surtout Béotien. »Athénée X.11 : 11. Les comiques ont aussi raillé plusieurs peuples sur la scène au sujet de leur grande voracité ; par exemple, les Béotiens. C'est ainsi qu'Eubule dit dans son Antiope : 417c « Nous sommes forts au travail et à la table ; en outre très patients. Les Athéniens l'emportent pour l'éloquence, et mangent peu ; mais les Thébains beaucoup. » Il écrit dans son Europe : « Il fonda la ville des Béotiens, ces hommes incomparables pour manger tout le jour. » Et dans son Ion : « Il est si parfait imitateur des Béotiens, que jamais il ne contente son appétit en soupant. » 417d On lit dans ses Cercopès : « Après cela, je passai à Thèbes où l'on mange nuit et jour. Chacun a un privé devant sa porte, où celui qui est plein d'aliments va chercher à grands pas le souverain bien, en s'y soulageant. Il y a réellement de quoi rire à voir ces gens se mordre les lèvres (en poussant les selles) après avoir mangé copieusement. » Le même, dans ses Mysiens, fait ainsi parler un acteur à Héraclès : « Tu quittes, me dis-tu, le pays des Thébains, 417e ces gens qui mangent du fromage tout le jour, et qui sont toujours près des privés. » Diphile dit, dans son Béotien : « C'est un homme capable de commencer à manger avant l'aurore, et de continuer ainsi toute la journée. » Mnésimachos écrit dans son Busiris : « Je suis Béotien, mangeant peu aux dépens d'autrui, mais beaucoup aux miens. » Alexis dit, dans son Trophonios : « Mais de peur que vous ne soyez reconnus pour Béotiens, 417f de ceux qui ont coutume de vous railler comme invincibles à boire, à crier, et habitués à manger toute la nuit, sans intermission, quittez tous vos habits sur-le-champ. » Achaios dit, dans ses Jeux gymniques : « A. Que dis-tu de ces spectateurs et de ces champions ? 418a B. Ils mangent en aussi grande quantité que ceux qui font un état de ces exercices. A. Mais de quel pays sont-ils ? B. Ils sont Béotiens. » D'après ces détails, on voit qu'Ératosthène était bien fondé dans la réponse qu'il fit un jour à Pempèle. Celui-ci lui demandait ce qu'il pensait des Béotiens. Ce que j'en sais, répondit Ératosthène, est qu'ils parlent entre eux comme parleraient des urnes auxquelles on donnerait la faculté de s'exprimer : Nous contenons chacun tant de mesures. Polybe de Mégalopolis rapporte, liv. 20 de ses Histoires, 418b que les Béotiens, après s'être illustrés à la journée de Leuctres, perdirent peu-à-peu leur grandeur d'âme, et que se livrant au plaisir de la bonne chère et du vin, ils établirent même par testament des coteries, chacun en faveur de leurs amis ; de sorte que nombre d'entre eux, quoique laissant de la postérité, disposèrent de la plus grande partie de leur bien pour ces Banquets ; qu'ainsi plusieurs Béotiens avaient plus de goûtés à leur service qu'il n'y avait de jours par mois. C'est pourquoi les Mégariens, détestant cet état des choses, se tournèrent du côté des Achéens. Athénée XII.47 :Sur le bel Alcibiade Satyros raconte : « On dit que, lorsqu'il se rendit en Ionie, il se montra plus voluptueux que les Ioniens ; quand il vint à Thèbes, il devint plus Béotien que le Thébains eux-mêmes dans les exercices du corps ; etc. »Achaios (Ve), Démonicos (V/IVe) (et non Démonax, lapsus de Chaeréphon qui a été trompé par l'abréviation Démon. d'un dico, je présume ), Antiphane (IVe), Eriphos (IVe), Eubule (IVe), Mnésimachos (IVe), Diphilos (IV/IIIe), Alexis (IV/IIIe), Ménandre (IV/IIIe)... tous des Comiques athéniens des V-IIIe av. Plutarque se contente de rappeler le mot de Pindare et de dénoncer la malignité des Athéniens. Plutarque, Sur l'usage des viandes, 995e : Les Athéniens reprochent aux habitants de la Béotie d'être grossiers et stupides, et la principale cause de ce reproche c'est leur voracité. On connaît le proverbe : la truie de Béotie. Ménandre dit d'eux : « Ils ont des mâchoires. » Tout le monde sait le mot de Pindare.Les Romains reprendront cette réputation de voraces vulgaires, avec Horace etc. Je n'ai pas trop cherché de ce côté là, ce n'est plus que du réchauffé. Donc pour répondre à Passant, Pindare le Béotien n'est qu'un qualificatif géographique. Mais lui-même est conscient de l'opprobre culturel qui entâche son peuple (à tort d'ailleurs, la Béotie a fournit de nombreux et brillants auteurs, poètes, philosophes et surtout musiciens) dès son époque, et entend déjuger ce préjugé.
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