Deshays Y-M a écrit :
Ratissant large, Alexandre le Grand a tenu à consulter l'oracle d'Ammon à Siwa pour faire homologuer ses prétentions au statut de Pharaon, prélude à ses conquêtes ultérieures...
Je ne dirais pas prélude, cela sanctionne plutôt ses récentes conquêtes d’Asie Mineure, de la côte méditerranéenne et de l’Egypte. Ayant vaincu les hommes, il est reconnu par les dieux locaux, donc si les dieux le reconnaissent, la population doit en faire de même. L’oracle d’Ammon a une grande influence sur ces régions, je suis plus mitigé sur son influence sur la Mésopotamie et les Hautes Satrapies. Ou alors prélude dans le sens où il peut dorénavant se tourner vers d’autres conquêtes, la pacification obtenue.
Sur cette fameuse consultation d’Ammon, il y a la version officielle :
Plutarque,
Alexandre.27 :
Quand il eut traversé le désert, et qu'il fut arrivé à la ville où était le temple, le prophète d'Ammon le salua au nom du dieu, comme son fils. Alexandre lui demanda si quelqu'un des meurtriers de son père ne s'était pas dérobé à sa vengeance. «Que dites-vous là? repartit le prophète; votre père n'est pas mortel.» Il se reprit alors, et demanda s'il avait puni tous les meurtriers de Philippe. Il l'interrogea ensuite sur l'empire qui lui était destiné, et demanda si le dieu lui accorderait de régner sur tous les hommes. Le dieu lui répondit, par la bouche du prophète, qu'il le lui accordait, et que la mort de Philippe avait été pleinement vengée. Alors il fit à Zeus les offrandes les plus magnifiques, et aux prêtres de riches présents. Voilà ce que disent, sur les oracles qu'il reçut, la plupart des historiens.et la version officieuse que Plutarque nous présente à la suite…
Mais Alexandre lui-même, dans une lettre à sa mère, lui dit qu'il avait eu de l'oracle des réponses secrètes, qu'il ne communiquerait qu'à elle seule à son retour. Quelques écrivains prétendent que le prophète, ayant voulu saluer Alexandre en grec, se servit d'un terme d'amitié qui veut dire mon fils; mais comme ce n'était pas sa langue, il se trompa sur la dernière lettre, et mit un S au lieu d'un N; ce qui signifia fils de Zeus. Ce défaut de prononciation fit grand plaisir à Alexandre, et donna lieu à ce bruit si généralement répandu, que le dieu l'avait appelé son fils.On peut faire un parallèle avec sa consultation de Delphes à la veille de son départ :
Plutarque,
Alexandre.14 :
De là il se rendit à Delphes pour consulter le dieu sur son expédition d'Asie; mais on était alors dans ces jours malheureux où il n'est pas permis à la prêtresse de rendre des oracles. Il fit d'abord prier la prophétesse de venir au temple; mais elle le refusa, en alléguant la loi qui le défendait. Alexandre y étant allé lui-même, la traîna de force au temple. La prophétesse, comme vaincue par cette violence, s'écria: "O mon fils! tu es invincible." A cette parole, Alexandre lui dit qu'il n'avait pas besoin d'autre oracle, qu'il avait celui qu'il désirait d'elle.Dans les deux cas, Alexandre est venu avec une idée très précise de ce qu’il attendait, et tous les moyens sont bons pour « extorquer » les prédictions attendues : dans aucun des deux cas, il ne s’agit d’une prédiction « dans les normes » suite à une consultation habituelle, mais de simple phrases échappées hors contexte, et interprétées par Alexandre comme des présages. Pragmatique, il s’offre même ainsi le luxe d’éviter une éventuelle réponse mitigée de la part des prêtres rédigeant une réponse préparée à l’avance, surtout quand ils font preuve de mauvaise volonté comme à Delphes (Alexandre n’est pas naïf, comme Démosthène il a conscience que la Pythie « philippise » !). Cela permet de relativiser la foi qu’Alexandre a envers ces « oracles » et sa prétendue divinité.
Mais en habile politique, il a très vite compris l’intérêt de se faire reconnaître par le clergé pour être accepté par les populations, cette consultation d’oracles n’est qu’un des éléments de sa politique religieuse (des prêtres babyloniens, égyptiens, indiens, tous en bénéficient; comparer aussi avec l'épisode fameux du noeud gordien et l'intense utilisation qu'il fait des devins, en particulier le très complaisant Aristarque). Le tout bien entendu habillement mis en œuvre par une propagande intensive dont presque tous les textes conservés se font l’écho, ou comme le montre par exemple le fameux monnayage où il se représente doté des cornes de bêlier de son « père » Ammon !
J’ai pris la liberté de ne citer que Plutarque puisque ce dernier est notre source la plus fiable sur les oracles : étant lui-même prêtre d’Apollon à Delphes, il « connaît la musique » et ne se fait aucune illusion…