Rigoumont a écrit :
les prodromoi ne sont pas des Thraces? (ou en partie)
En partie, oui. Alexandre quand il passe en Asie emmène 900 cavaliers, Prodromoi, Thraces et Péoniens. La répartition est très discutée, certains veulent lire 900 prodromoi, thraces et péoniens (soit 450 de chaque ?). Or l’existence de prodromoi macédonien est assurée, donc pour ma part, il s’agit de trois unités à l’armement et aux tactiques similaire : une unité « nationale », les prodromoi ; une unité tributaire, les Péoniens ; une unité alliée, les Thraces. Mais je ne suis pas fermé au débat, et le chiffre avancé de 300 est aventureux, je le confesse. Je me base surtout sur la parité du recrutement macédonien, 1 cavalier pour 10 fantassins. Reste 300 cavaliers, qui correspondent à mes yeux à nos prodromoi.
Rigoumont a écrit :
Les "Perses" n'auraient plus ou moins fait que du "rentre dedans" sur la phalange avant de se faire percer par la cavalerie macédonienne?
Qu’appelles-tu du « rentre dedans » ? Faut bien attaquer quelque part pour l’emporter ! Mais les trois grosses batailles entre Achéménides et Macédoniens obéissent à des logiques perses très différentes. Au Granique, ils sont paralysée, pris de court. A Issos, la configuration des lieux mais aussi la présence d’une infanterie lourde capable de tenir tête aux Macédoniens (les 20 000 mercenaires grecs) autorisent un assaut frontal, qu’ils ont failli emporter, combiné avec une charge massive par le rivage, qui n’atteint l’adversaire que trop tard. A Gaugamelès, l’infanterie lourde perse a quasi disparue, il n’est plus question d’un assaut frontal, et tout repose sur les deux énormes ailes de cavalerie.
Rigoumont a écrit :
Donc, Thersite, si je te suis bien, Alexandre et Pyrrhus n'auraient pas du tout utilisé leurs troupes de la même façon
Alexandre et Pyrrhus n’ont de toute façon pas la même armée à la base, en dépit des apparences : l’un dispose d’une armée nationale (macédonienne), l’autre d’une armée essentiellement mercenaire et hétéroclite (les troupes épirotes forment une infime minorité). L’un dispose d’une cavalerie lourde d’élite très nombreuse, d’un peuple rompu à cette équitation (Alexandre), l’autre d’une cavalerie plus variée et globalement plus légère, tirée d’un peu partout sauf d’Epire. L’un dispose d’éléphants, pas l’autre. Enfin, Alexandre combat soit des infanteries légères incapables de tenir le choc frontal de la phalange, soit des infanteries lourdes combattant eux aussi en phalange ; Pyrrhus lui combat une infanterie lourde mobile. Les deux armées ne peuvent donc pas être utilisées de manière analogue.
Chez Alexandre, l’infanterie lourde est un élément tactique solide qui lui permet de gagner du temps et de gagner l’initiative stratégique. Il n’a rien à redouter de front, il n’a donc qu’à être plus rapide sur les ailes. Au Granique, la phalange monopolise l’attention et immobilise la cavalerie perse en position défensive ; à Issos, la phalange placée en ordre oblique, décalée, gagne du temps en retardant de fait la charge perse sur son aile droite, puis résiste de front à la contre-attaque greco-perse, permettant à l’aile d’Alexandre de percer le front et d’envelopper l’infanterie. A Gaugamelès, même idée de base, exagérée avec son placement décalé dès l’origine et très étendu, ce qu’il peut se permettre n’ayant plus face à lui d’infanterie lourde ; son placement joint à sa solidité offre à Alexandre le temps nécessaire à mettre ses plans à exécution.
Pour Pyrrhus, on sait très peu de choses, la plupart de ses batailles ne sont que des noms, et la plupart de ses campagnes (comme en Sicile contre les Puniques) pour ainsi dire inconnue. Et lorsque les affrontements sont relatés, la description est d’une confusion incroyable et la mythologie romaine entre en action et brouille encore les cartes. Ceci dit, l’emploi qu’il fait à Héraclée de la phalange est complètement différente : il alterne des unités lourdes avec des unités légères, formant une espèce de chaine, les maillons durs liés entre eux par des troupes légères et mobiles, un peu comme Antigonos à Sellasia, un peu comme Antiochos à Magnésie, un peu aussi comme Hannibal à Cannes, où les « troupes de choc » celtes alternent avec les agiles troupes ibériques : la résistance de cette formation souple a fait merveille contre le centre romain, et à Magnésie aussi, les Romains ont été inefficace face à cette formation. Pyrrhus a sacrifié la solidité et la rigueur de la phalange qui face au Romains risquait un encerclement (ses hoplites sont moins nombreux que les Romains, et les autres troupes ne font pas le poids au corps à corps face à ces derniers), contre une formation plus souple, plus mobile, plus réactive, mais un peu plus fragile et incapable de l’emporter seule de front (d’où les pertes équilibrées et lourdes jusqu’à la rupture provoquée sur les ailes). Il ne pouvait éviter un affrontement contre le centre romain bourrin, il s’est donc arrangé pour l’absorber comme il pouvait. Sa cavalerie elle-même est bien moins solide que celle d’Alexandre, malgré ses Thessaliens, mais il compense avec les éléphants, qui jouent le rôle de troupes de choc. Quand il les perd (à Héraclée), il perd la bataille.
Pyrrhus est un original, un créatif, ce qui lui a valu sa très grande réputation dans l’antiquité en dépit de résultats somme toute décevants. Dommage que l’on en sache pas plus, concrètement, sur sa tactique et sa manière d’utiliser ses hommes sur le terrain.