Ces termes portent pour la plupart à discussion, les avis sont très partagés (et bien entendu, au cas où l’explication n’était pas déjà assez confuse, j’ai aussi ma petite idée qui n’est pas forcément celle plus ou moins admise…
)
Commençons par les regrouper :
Agêma, Argyraspides, Hypaspistes,
Asthetairoi,
Pezhetairoi sont tous des termes désignant des unités de la Phalange macédonienne (sarisse, etc.). Je me concentre ici sur l'armée macédonienne proprement dite, les Séleucides et les Lagides pouvant parfois modifier un peu le rôle de ces corps, tout en s'en inspirant.
Pezhetairoi est un titre honorifique, « Compagnons à pied ». Un fragment d’Anaximène (fr.4 Jacoby, transmis par Harpocration) attribue sa création à un certain Alexandre, qui aurait d’abord réuni les nobles dans la cavalerie et les aurait appelé Compagnons (
hetairoi), pendant que les plus nombreux [et les fantassins] (
tous de pleistous kai tous pezous) auraient été distribués en loches et en décades sous le nom de compagnons à pied (
pezhetairoi).
Le texte pose de nombreux problèmes d’interprétation, à commencé par savoir si la réforme a vraiment eu lieu ou si Anaximène ne mélange pas tout et regroupe sous une seul roi toutes les réformes préexistantes… L’emploi du terme
pezhetairoi, qui sous entend une égalité avec la noblesse des cavaliers ne peut s’appliquer que si l’infanterie macédonienne a gagné suffisamment de prestige par rapport à la cavalerie, donc qu’il s’agisse déjà d’une infanterie lourde.
Il ne peut s’agir d’Alexandre III, dont l’armée au début du règne est bien organisée et rodée depuis longtemps.
Il pourrait par contre s’agir d’Alexandre Ier le Philhellène (500-462) ; ce serait alors un écho d’une réforme d’ampleur, tant dans la cavalerie que dans l’infanterie, et en particulier pour cette dernière, l’adoption par Alexandre du système hoplitique (il n'est pas philhellène pour rien, et a découvert lors des guerres médiques l'éfficacité redoutable de la phalange hoplitique). On peut néanmoins rétorquer que si des hoplites macédoniens sont bien mentionnés pendant la guerre du Péloponnèse… ils n’ont guère brillés dans les combats et la cavalerie domine largement dans la tradition militaire macédonienne jusqu’à Philippe, ce qui paraît contradictoire avec la faveur et l’honneur que ce fragment sous-entend envers l’infanterie. D’un autre côté, le terme n’a sans doute désigné au départ que la garde royale, les fameux Hypaspistes, avant d’être étendu (sous Philippe ?) à l’ensemble de l’infanterie macédonienne.
Ou alors, il s’agit d’Alexandre II, le frère de Philippe, roi en 369, assassiné en 368. Entre lui et Philippe II s’intercale la régence de Ptolémée l’Alôros (368-365) et les règnes de Perdiccas III (368-359). On objectera que son très court règne, particulièrement agité qui plus est, ne plaide pas vraiment en faveur d’une réforme militaire d’ampleur ; d’un autre côté, cela ferait de Philippe le continuateur d’Alexandre II, celui qui appliquera la réforme entamée par son prédécesseur, ce qui expliquerait la rapidité des réformes de Philippe tant dans l’infanterie (création de la Phalange macédonienne) que dans la cavalerie (adoption de la formation en coin) : dès la première année de règne, les réformes sont apparemment appliquées et concrétisées par les rapides victoires du début du règne sur les Athéniens, les Illyriens, puis les Thraces.
Personnellement, l’hypothèse Alexandre Ier, influencé par le monde hoplitique grec, me semble préférable, en particulier si l’on suit mon raisonnement pour Asthetairoi...
Toujours est-il qu’à l’époque d’Alexandre III et de ses successeur, le pezhétaire désigne tous les phalangites macédoniens.
Asthetairoi quant à lui est un terme rare, qui n’apparaît qu’une seule et unique fois, chez Arrien II.23.2, au siège de Tyr. «
Les hypaspistes prirent place sur l’un des navires, commandé par Admète ; sur l’autre, le bataillon de Coenos appelé asthetairoi ».
Première remarque : le fait que c’est un hapax, et que son sens ne soit pas clair, peut simplement provenir d’une corruption du manuscrit, et la solution la plus simple serait de corriger en
pezhetairoi, et hop, le tour est joué.
Seconde remarque : ce titre est-il spécifique à Coenos ou applicable à d’autres unités ? D’une part, la taxis de Coenos provenant d’Elimiotide, certains ont voulu y voir une appellation spécifique aux unités de Haute Macédoine. Mais le sens serait pour le moins obscur, cette interprétation n’a pas grand intérêt... D’autre part, leur emploi au côté des Hypaspistes, l’élite, les troupes de choc de l’armée, ont amené d’autres à supposer qu’il s’agissait d’un terme spécifique définissant une unité d’élite. J’y vois de nombreuses objections : tout d’abord, la
taxis de Coenos n’est jamais considéré comme différentes des autres sur les champs de bataille de l’expédition d’Alexandre, et de plus, son recrutement est régional, comme les autres (ce n'est pas une élite sélectionnée indépendamment des circonscriptions militaires comme les Hypaspistes ou l'
Agêma). D’autre part, les Macédoniens pratiquaient un roulement, chaque commandant de taxis exerçant une prééminence un jour (par roulement ou tirage au sort, je ne sais pas), avant de la céder son voisin le suivant. Sans doute, ce jour-là, Coenos exerçait le commandement et donc son unité fut assignée pour la glorieuse tentative. On a plusieurs exemples dans Arrien d’une telle pratique, en particulier dans le livre I lors de la campagne de Thrace. Et puis là aussi, le sens du mot serait pour le moins trouble pour désigner une troupe d’élite…
J’en viens donc à ma petite théorie personnelle :
Asthetairoi, ce sont les « compagnons urbains », de la ville, qui vivent en ville. L’appellation me semble remonter au temps d’Alexandre Ier, qui on l’a vue serait le premier à nommer
hetairoi des fantassins, et que ce terme désignait sans doute à l’époque des hoplites. Or ces derniers étaient recrutés essentiellement sur la côte et dans les villes (ainsi à l’époque d’Alexandre, Pella, Amphipolis, etc. fournissent des contingents). Seules les
taxis recrutées en Haute Macédoine ont un recrutement différent, plus rural. Mais ils n’ont été intégré que progressivement, et imparfaitement. Aussi, ce terme d’Asthetairoi me semble d’une part synonyme de
pezhetairoi, d’autre part remonter à l’époque d’Alexandre Ier où les
hetairoi étaient recrutés exclusivement au sein des élites urbaines hellénisées, du fait de leur armement et leur tactique spécifique.
Ceci dit, le plus simple est tout de même de considérer cet hapax comme une erreur de manuscrit…
Passons aux
Argyraspides : ils sont faciles à évacuer. L’expression (« Boucliers d’argent » ou « argenté ») apparaît en Inde, lorsqu’Alexandre fait recouvrir d’argent les boucliers de sa garde d’élite, les Hypaspistes (Justin XII.7.5 : «
Afin que même la parure de son armée s'accorde à cette gloire, il fit recouvrir d'argent les phalères des chevaux et les armes des soldats et appela son armée "les Argyraspides" à cause de ses boucliers d'argent. » et Quinte-Curce VIII.5.4). Autrement dit, vers 326, les Hypaspistes deviennent des Argyraspides, les deux termes sont synonymes. Mais Quinte-Curce et Diodore par exemple multiplient les anachronismes en faisant intervenir les Argyraspides (lire alors Hypaspistes) plus tôt dans la campagne, à Gaugamelès par exemple.
Le pendant d’Argyraspides est
Chalcaspides (« boucliers de bronze ») qui désigne alors par opposition aux premiers tous les autres phalangites, ou pezhetairoi si tu préfères, qui ont conservés le bouclier traditionnel, non argenté, donc cuivré.
Histoire de compliquer l’affaire, aux IIIe-IIe interviennent des «
leucaspides » (« Boucliers blancs »), cités par Plutarque sous Antigone et Tite-Live sous Persée. Ce serait une subdivision de la phalange, une partie des chalcaspides (Tite-Live XLIV.41), mais sans que la différence profonde soit bien claire. Ils ont en tout cas le même armement, la même tactique, et ne sont pas des Peltastes (les héritiers des Hypaspistes)… Par ailleurs, ils combattent au centre de la formation à Pydna, la place la moins noble, encadrés par les chalcaspides. De son côté, Cléomène, selon Plutarque (
Cléom.44) fait armer 2000 Hilotes pour les opposer aux leucaspides d’Antigone. Autrement dit, les deux seules mention à ma connaissance de ce corps n’est pas vraiment en son honneur, il semble d’une qualité moindre de celle du reste de la phalange. Je tenterai l’hypothèse d’un recrutement plus large ; il ne s’agirait plus de petite noblesse (les
pezhetairoi) mais d’hommes du commun, engagés pour compléter ou gonfler les effectifs macédoniens, des supplétifs en quelque sorte. Mais ce n’est qu’une proposition, sans grande valeur, qui ne me convainct pas moi-même…
Venons-en donc aux
Hypaspistes, les « portes-boucliers ». Le terme désigne sous Philippe et Alexandre la garde royale, l’armée professionnelle et permanente par opposition au reste des
pezhetairoi à recrutement local et saisonnier. Ils sont 3000 au début du règne d’Alexandre. Le mot est employé aussi par les Thraces : ainsi Longanos, le roi des Agrianes, est entouré d’une garde d’hypaspistes. Il s’agit donc d’une fonction, non d’un type spécifique d’armement.
Et là commence les difficultés. L’idée la plus courante veut absolument voir dans les Hypaspistes une troupe d’infanterie légère ou moyenne, à l’armement différent du reste de la phalange. Les tenants de cette idée s’appuient tout d’abord sur sa position dans la bataille : ils flanquent la phalange ; ensuite sur son emploi tactique très diversifié, bien plus que la phalange, en particulier pour les opérations en milieu difficile où la formation dense de la phalange n’est plus possible (montagne, assaut de villes, etc.) mais aussi dans les opérations où la vitesse doit l’emporter ; enfin sur le nom que porteront les héritiers des Hypaspistes sous les Diadoques : Peltastes (sous Antigonos ou Philippe V par exemple). Par ailleurs, on a voulu montré des différences d’armement dans les quelques descriptions qui nous sont parvenues, en particulier l’emploi d’une lance courte d’hoplite, non de la sarisse.
Autant le dire tout de suite, je ne suis absolument pas d’accord : pour moi, les Hypaspistes possèdent exactement le même armement que le reste de la phalange, la différence d’emploi tient uniquement à leur professionnalisme et à leur entraînement intensif instauré par Philippe et décri sous Alexandre et dans les traités de tactique.
Je développerai mon argumentation dans l’après midi ou ce soir, le travail m’appelle…