Sujet tout simplement mais difficile de faire une réponse qui embrasse tous les points soulevés tant différents sujets ont été soulevés par les précédentes interventions.
Quelques ouvrages de référence, d'abord.
"Naissance de la noblesse" de Karl-Ferdinand Werner.
Ce livre fait justice du mythe des invasions barbares et des images d'Epinal montrant des guerriers avec casque à pointe emportant de force sur leur cheval de riches et belles jeunes femmes romaines tout de blanc vétues.
Et surtout, "l'histoire brisée" d'Aldo Schiavone.
La "chute de l'empire" de 476, ou plutôt la déposition du dernier empereur fantôche, c'est tout simplement le moment où ceux qui avaient le pouvoir en occident, à savoir les chefs romanisés des armées romaines pour l'essentiel constituées de fédérés barbares, ont décidé de tirer les conséquences d'un état de fait. A savoir qu'il n'y avait plus d'empire en occident et qu'il était plus commode de mettre fin à ce qui n'était plus qu'une fiction.
L'organisation du pouvoir impérial, ou plutôt ce qu'il en restait, a donc alors symboliquement disparu en occident. Mais comme l'un de vous a dit, le monde romain ne s'est pas volatilisé. La société était romaine. Les gens avaient toujours le sentiment d'être dans l'empire romain.
Les rois barbares, comme Clovis, j'étaient roi que de leurs tribus. Ils gouvernaient la population "romaine", à savoir 95% de la population, avec des titres et pouvoirs romains : patrice, ...etc.
Le fait que l'armée romaine était composée d'anciens barbares mal romanisés était certainement un facteur de fragilité parce que, si on peut être anachronique, on dirait qu'ils n'avaient pas, pour l'empire, l'attachement qu'ils avaient pour leur tribu.
Pour reprendre un écrivain comme Jean Dutourd, qui est certes très partisan mais sait aussi voir les faits, l'empire romain est tombé parce que c'était une société mais pas une nation.
Avant d'en venir aux causes, je veux quand même faire un sort à la prétendue respponsabilité du christinanisme dans la chute de l'empire.
D'abord, comme il a été relevé, tout le monde ne s'est pas retrouvé chrétien en 313, par décret de Constantin, ni même sous Théodose à la fin du 4ème siècle.
Ensuite, n'exagérons pas : tout le monde ne s'est pas retrouvé dans un monastère.
Surtout, la christianisastion de l'espace romain, surtout en occident, a été un processus multi-séculaire. Le christinanisme était une religion d'abord et surtout implantée en orient. Il a d'abord triomphé là-bas.
Les carolingiens et leurs successeurs ont eux été confrontés aux problèmes d'accaparation des biens par les églises et les monastères : pas les romains.
Surtout, le christianisme a été choisi par Constantin parce qu'il y a vu à juste titre, outre une force politique décisive, un facteur d'unification et de renouveau culturel pour l'empire. La meilleure preuve, c'est qu'il ne nous est finalement resté qu'une chose de l'empire romain, de l'espace romain, c'est le christianisme. Avant, l'empire unifiait l'Europe. Ensuite, la société romaine est devenue chrétienne et l'occident romain n'a plus eu qu'une caractéristique commune : le christianisme.
Mon avis sur les causes maintenant.
La militarisation du pouvoir ?
Mais depuis la 1ère guerre civile en 88 av JC, le pouvoir à Rome est militaire, la vie civique s'étiolant pour se voir de plus en plus éclipsée par la dimension militaire du pouvoir.
Depuis le conflit de Marius et Sylla, le pouvoir a été acquis par la force militaire et le fondement du pouvoir à Rome était l'armée.
D'où Pompée tenait-il sa force ? De ses campagnes militaires : vétérans, richesses et clientèles à la clé.
Pourquoi César a-t-il fait la guerre des Gaules ? Pour acquérir les mêmes arguments sonnants et trébuchants que Pompée.
Pourquoi Antoine et Auguste ? Parce que le 1er était le principal chef césarien en mars 44 et parce que le second était son héritier et a récupéré les fidélités des soldats de son père adoptif.
Pourquoi Vespasien ? Parce qu'il était le chef de la principale et de la plus aguerrie armée romaine : celle qui avait gagné la guerre de Judée.
Même les Antonins, malgré leur habile propagande tentant à travestir leur pouvoir en un retour à la république ancestrale, n'ont pas échappé à la règle. Pourquoi Trajan a-t-il été choisi comme héritier par Nerva dès 96 ? parce qu'il était le plus puissant des généraux romains.
La rupture dynastique de 68 ?
Mais c'est ignorer que Rome ne s'est jamais avouée comme une monarchie et que même la monarchie avouée a toujours refusé d'instituer le principe d'hérédité. Les julio-claudiens ont été ressentis par toutes les autres grandes familles de la vieille noblesse romaine comme des imposteurs parce que les autres ne pouvaient pas admettre la rupture de la parité entre aristocrates. N'oublions pas, en plus, en nous plaçant à la fin de la vie de César et au début du pouvoir d'Auguste, que les Julii n'étaient pas la plus prestigieuse des familles de la noblesse.
Le triomphe des Julii, c'est César. Mais avant que César, les Julii comptaient bien peu face aux Cornelii, aux Claudii, aux Metelli, aux Domitii. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'Auguste a épousé Livie : son père était un Claudius adopté par les Livii et ainsi il s'alliait avec une des plus grandes gentes patriciennes romaines lui qui n'était que le fils d'un plébéien sans grand passé si ce n'est d'être le petit-neveu de César.
Le pouvoir à Rome était militaire depuis longtemps. Le génie de César et Auguste, qui fait qu'on les a retenus comme les géants historiques qu'on connait, c'est d'avoir su trouver la clé qui permettait de donner corps au système de pouvoir impérial dont Rome avait besoin : en alliant pouvoir militaire et légitimité populaire.
La non-conquête de la Germanie et le testament d'Auguste ?
Certes, une frontière plus courte aurait été plus facilement défendable. Mais n'oublions pas les raisons du testament d'Auguste. Il a essayé sans succès de conquérirt la Germanie. Les plus grands généraux romains s'y sont non pas cassés les dents mais s'y sont acharnés sans résultats décisifs : Tibère, Drusus, Germanicus. Et il y aura d'autres tentatives sous les flaviens je crois.
La Germanie n'était pas la Gaule. Elle était peu peuplée, essentiellement couverte de forêts. Et qu'aurait-elle rapporté à l'empire en échange des immmenses dépenses engagées pour la conquérir ?
Jusrte avant le désastre de Varus, Rome avait porté sa domination jusqu'à l'Elbe. Et pourtant elle a fait ensuite un repli stratégique sur le Rhin.
Le problème de la germanie, c'est que même en anéantissant les tribus frontalières qui refusaient de se soumettre ou qui se soulevaient, Rome ne réglait pas définitivement le problème parce qu'il arrivait d'autres tribus d'orient ou du nord.
Constantin et son installation en orient ?
Mais quand il a inauguré Constantinople, Rome avait depuis près d'un siècle cessé d'être la capitale de fait de l'empire et les empereurs se trouvaient très souvent occupés en orient par les guerres.
Avant Constantinople, il y a eu Nicomédie.
Une 2ème capitale a été créée en orient parce que les empereurs avaient besoin de résider près des principaux théatres d'opérations militaires.
Et aussi parce que l'orient était devenu la partie la plus riche de l'empire.
Les causes de la chute de l'empire d'occident sont avant tout structurelles.
Je retiens quelques dates dans le désordre.
212 et l'édit de Caracalla.
En donnant la citoyenneté à tous les hommes libres de l'empire, Caracalla a fortement aggravé le problème de recrutement de l'armée romaine. L'armée avait toujours été un moyen de promotion sociale. Des non-citoyens s'y engageaient parce que c'était pour eux un moyen d'acquérir la citoyenneté et un statut juridique privilégié.
A compter du moment où il n'y avait plus de besoin de passer par la case armée pour devenir citoyen, l'armée n'attirait plus. Et ce phénomène a puissament contribué à la barbarisation de l'armée, même si l'armée romaine a toujours eu recours à des auxiliaires non-romains, y compris à l'âge d'or de la république.
Mais quand on n'a plus rien à gagner à une carrière militaire, on n'en voit plus que les inconvénients, et notamment le peu de confort ainsi que le risque de mourir prématurément. On préfère laisser aux provinciaux d'abord puis aux barbares ensuite le soin de défendre l'empire.
33-30 et la logique de conquête de pouvoir d'Auguste.
En effet, Auguste a effectué un virage à 180° par rapport à la politique de son grand tonton. Pour s'imposer contre Antoine, il a joué le "nationalisme" italien et la défense des valeurs traditionnelles, L'Italie contre un mythique orient barbare prêt à fondre sur la malheureuse et fragile Italie avec l'immonde Cléopatre et son soi-disant pitoyable amant (qui a en réalité fait une seul bourde : celle de laisser l'Italie à Octave au lieu de s'assurer qu'elle reste neutralisée, en partie commune, comme il était prévu).
Or en agissant ainsi, Auguste a considérablement ralenti, peut-être de manière décisive et fatale, la politique de fusion et d'intégration qui était celle de César.
Peut-être aussi n'a-t-il pas compris ou pas voulu reprendre ce que plusieurs historiens considèrent comme un dessein possible de César : tout en prenant compte des différences culturelles fondamentales entre occident latin (et appelé à être complètement latinisé dans l'orbite romaine) et orient grec, mettre en place uns structure de pouvoir qui aurait favorisé les rapprochements à long terme comme avec la double-monarchie égyptienne qui aurait pu l'inspirer.
Autre cause de la chute de l'empire : ses guerres incessantes avec les parthes puis les sassanides, avec des empereurs toujours obnubilés par la figure d'Alexandre.
Le résultat, c'est que Rome a du faire face au double problème des perses et des germains et s'y est épuisée. Même un empire aux immenses ressources comme Rome ne pouvait faire face durablement à de telles charges militaires. Il aurait fallu un bon accord de statu quo avec les perses pour faire face en Europe.
Autre élément factuel et peut-être être l'ultime chance ratée de l'empire : la succession catastrophique de Théodose 1er avec les cours de ses 2 fils qui ne songeaient qu'à se tirer dans les pattes au lieu de se soutenir mutuellement.
Foncièrement, par delà tous les accidents historiques, il y a 2 raisons fondamentales à la chute de Rome : la société, l'économie et la politique.
Le système romain que nous admirons, qui avait atteint un niveau de raffinement, de développement et de technique qu'il faudra environ un millénaire pour retrouver, était incroyablement inégalitaire.
Il ne profitait qu'au monde urbain et même à une élite de riches. Qui avait intérêt au maintien du pouvoir impérial ? Ceux qui en retiraient des bénéfices, c'est à dire une minorité, non négligeable certes mais une minorité trop faible quand même.
La démographie était en crise depuis le milieu de 2ème siècle : cela a beaucoup joué. L'empire était finalement relativement peu peuplé au regard de son étendue géographique. Il manquait de bras, aussi bien pour cultiver que pour combattre, au point qu'il a fallu aggraver le statut des hommes pour les lier héréditairement à leur profession : à la terre ou à l'armée.
Enfin l'économie. Ou plutôt l'absence de souci économique.
Il n'y avait pas de pensée économique dans l'antiquité. L'empire romain était un système prédateur qui se nourrissait de conquêtes, d'esclaves et de tributs pris parmi les vaincus.
Pas d'accumulation, pas de réinvestissement dans une logique de croissance : les surplus étaient pour l'essentiel dilapidé dans l'évergétisme qui nous a donné des constructions magnifiques (quoique se ressemblant toutes) mais improductives.
L'empire ayant cessé d'avancer, il a fini par griller toutes les richesses accumulées et a manqué de carburant et de dynamique, le tout aggravé par la crise démographique.
Sur l'économie, je schématise beaucoup mais lisez donc Aldo Schiavone.
Politiquement, enfin, Rome n'a jamais su se doter du système impérial stable qui aurait évité les innombrables guerres civiles et sécessions régionales conduites par des généraux romains.
La faute à qui ? Au grand Auguste lui-même qui, contrairement à son immense grand tonton, a choisi l'ambigüité et le non-dit institutionnel pour garantir la durée de son pouvoir.
César était peut-être un homme trop pressé qui a brusqué non pas ses concitoyens mais les sénateurs prétendant eux aussi au pouvoir. Auguste lui s'est avéré trop prudent et l'ambiguité qui a été le prix de son acceptation résignée par le parti sénatorial a peut-être fait perdre un temps précieux et empêché de doter Rome des institutions nécessaires.