Là où je ne vous suis pas, c'est quand vous indiquez que Constantin n'avait pas le choix parce que le christianisme aurait déjà été trop fort.
Au moment où Constantin est devenu empereur, au début du 4ème siècle, les chrétiens sont estimés à environ 10% de la population de l'empire romain.
Première précision importante, le christianisme s'est à l'origine développé dans la partie orientale et héllénophone de l'empire où il a connu son plus grand succès.
Autrement dit, si vous distinguez les parties orientale et occidentale de l'empire romain, il devait y avoir :
- 20 ou 25% de chrétiens en orient,
- et seulement 5% de chrétiens en occident.
Or comme Constantin est devenu empereur en occident (Gaule, Bretagne et Espagne en 306, puis conquête de l'Italie et de l'Afrique en 313), vous arriverez à la conclusion que ce n'est vraiment pas par intérêt politique ni à cause du poids incontournable des chrétiens qu'il a favorisé le christianisme.
Bien au contraire, il a pris le risque de mécontenter une majorité écrasante, notamment dans la population rurale et dans ses armées, qui pratiquaient d'autres cultes.
Je vous recommande la lecture du (toujours avec lui) passionnant livre de Paul Veyne :
Quand notre monde est devenu chrétien.
Veyne y montre bien que c'est la nature du christianisme, autrement plus complexe que les antiques religions païennes, nature élitiste donc, qui a pu séduire Constantin.
A ce stade, le fait que Constantin favorisait le christianisme aurait pu rester un caprice d'empereur, comme quand Caligula avait pu pratiquer le culte d'Isis, Elagabal le culte du soleil d'Emèse, ...etc. Ce qui a été décisif, c'est le fait que ce soient succédés plusieurs générations d'empereurs chrétiens (quand bien même un certain nombre d'entre eux étaient ariens).
Selon un mécanisme bien humain et très compréhensible, l'autorité, l'imperium, venant d'en haut, la masse des populations s'est mise progressivement à adopter la religion, surtout si ça pouvait favoriser leurs carrières, leurs affaires.
C'est pourquoi à mon sens (et surtout à celui d'auteurs comme Veyne et d'autres grands érudits
) le triomphe du christianisme n'avait rien d'inéluctable. Tout comme le triomphe de l'islam en Afrique du nord et au Moyen-Orient n'avait rien d'inéluctable. Les populations d'orient et d'Afrique du nord étaient massivement chrétiennes. Et ce n'est pas le caractère alors varié et contesté de tel ou tel point de dogme qui a fait que, par je ne sais quel atavisme invoqué par certains auteurs du 20ème siècle, que les populations de ces régions auraient naturellement tendu vers l'islam.
Bien au contraire, et comme pour le christianisme, c'est l'existence dans la durée d'un pouvoir politique chrétien dans un cas et musulman dans l'autre cas qui a progressivement conduit les populations à adopter la religion de leurs maîtres et à se faire "leur" christianisme ou "leur "islam".