Nous sommes actuellement le 26 Avr 2024 15:20

Le fuseau horaire est UTC+1 heure




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 1 message ] 
Auteur Message
 Sujet du message : César, dictateur malgré lui
Message Publié : 14 Avr 2007 22:22 
Hors-ligne
Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
Message(s) : 1659
En partie provocation, en partie aboutissement d'une réflexion et en partie enfin réponse à l'ouvrage de Luciano Canfora (César, le dictateur démocrate), ce titre, César dictateur malgré lui pourrait être l'intitulé d'un chapitre d'un ouvrage qui me démange.

Les classiques, une interprétation biaisée ou intentionnée des sources, ou tout simplement les déformations des ennemis politiques de César comme de ses admirateurs, en ont fait un personnage qui visait la monarchie dès qu'il s'est lancé dans la vie politique romaine.

Une telle vision, évidemment séduisante et utile, ne correspond pourtant en rien à la réalité. Ce que j'affirme là est à la fois une question de bon sens, le résultat d'une analyse objective et des informations nous venant des sources écrites de l'époque.

Sur le plan du bon sens, personne, absolument personne, ne pouvait projeter de dominer définitivement la vie politique romaine. Les aristocrates les plus prestigieux et les plus riches, étaient en butte à l'hostilité et à l'envie de leurs pairs. Le système électoral censitaire et inégal les empêchait de maîtriser le résultat des élections.
Bien peu atteignaient le consulat. Même parmi les plus anciennes familles de l'aristocratie, de nombreux rejetons devaient se contenter de la préture.
Le plus grand rève que pouvait ambitionner un aristocrate romain, c'était d'atteindre le consulat et d'exercer ensuite un proconsulat fructueux qui lui permettrait de mener des campagnes victorieuses contre des peuples barbares. A son retour, il aurait pu, après avoir accru l'empire romain, célébrer un triomphe et jouir du plus haut prestige dans la cité romaine.

Telle était l'ambition de César comme de tout homme politique romain.

Cela n'empêchait pas au moins certains hommes politiques romains d'avoir de réels projets politiques à long terme, d'avoir une vision de la façon dont devait évoluer la politique romaine, en joignant la poursuite de ses intérêts à celle de l'intérêt général de Rome.

Pour ne pas avoir à retracer l'ensemble de la carrière de César, je résumerais les choses de la manière suivante.

César a naturellement modifié ses ambitions, ses orientations et ses moyens d'action en fonction des circonstances. Mais plus que son ambition qui, comme pour n'importe qui, s'adaptait au gré des circonstances, c'est l'action de ses adversaires qui a, selon moi, été le principal déterminant de l'évolution politique de César.

Pendant l'année 60, c'est l'opposition bornée et stupide des différentes branches de la faction optimate qui a conduit César a former avec Pompée et Crassus le second triumvirat afin d'éviter que son consulat de 59 (et la suite proconsulaire qu'il espérait) ne soit pas réduit à l'impuissance.

Pendant les années 52 à 50, ce sont ces mêmes optimates qui ont tout fait pour séparer Pompée de César et pour utiliser Pompée de façon à isoler et liquider César.
Je rappelle des faits absolument déterminants qui sont occultés de manière étonnante par un trop grand nombre d'historiens.

Avant que n'éclate la guerre civile en 49, César ne visait nullement à écraser ses rivaux et à devenir le tyran/roi/monarque/dictateur de l'empire romain.
Il n'en avait pas les moyens. La classe politique romaine était hostile à toute domination et la plupart des alliés de César (comme ceux de Pompée d'ailleurs) n'étaient ses alliés que dans la mesure où avancer dans son sillage était susceptible de servir leurs intérêts.
Personne n'était en mesure de dominer seul la scène politique romaine. Pas César. Ni même Pompée.
Il fallait des alliances pour dominer la scène politique. Et toute alliance suscitait la conjonction des oppositions pour déverrouiller la scène politique.

Ce que voulait César, au terme de ses 8 années de campagnes dans les Gaules, c'était revenir à Rome et exercer un rôle politique conforme à la dignité que lui avaient valu ses immenses victoires.

Rappelons les justifications sorties de la bouche même de César. a aucun moment il n'invoque je ne sais quelle nécessité pour l'empire d'avoir un régime monarchique. César n'a pas déclenché la guerre civile pour réformer la république.
Quand il se justifie devant ses troupes, il invoque 2 arguments : la défense de sa dignité et la défense des droits des tribuns (Antoine et Cassius) bafoués par les consuls optimates.
Le 1er argument est tout personnel et est sa principale et plus profonde motivation.
Le 2ème argument est la justification de circonstance qui lui permet d'accuser ses ennemis d'avoir violé les lois et d'en appeler à cette fraction du peuple assemblé que constitue son armée.

César voulait revenir exercer la 1ère place dans la cité romaine, à égalité avec Pompée. Il estimait en effet que la conquête des Gaules, qui avait pendant des siècles suscité les plus graves dangers pour l'Italie, valait bien la conquête de l'orient par Pompée. Par cette conquête, il pensait devoir exercer la même autorité sur la république romaine que Pompée. Et il espérait bien que cette autorité pourrait être exercée conjointement, dans le cadre d'une alliance renouvelée, car telle avait été sa politique depuis 60 au moins : s'entendre avec Pompée afin que rien dans l'Etat ne se réalisat sans ou contre leur accord commun.

Le problème de César, ce n'était pas d'avoir des ennemis optimates. Avec l'alliance de Pompée et Crassus, il avait parfaitement réussi à neutraliser ses ennemis. Le problème de César, c'était, en plus de ses ennemis optimates, le fait qu'à compter de 52 Pompée n'entendait nullement permettre à César d'être son égal et était prêt à s'allier avec les optimates pour soumettre César.

Les auteurs antiques ont eu la lucidité de reconnaître que "César ne pouvait admettre de supérieur et Pompée ne pouvait souffrir un égal."

Lors des négociations très tendues de l'année 50, César était prêt à faire des concessions absolument considérables qui attestent qu'il voulait pouvoir reprendre une place à peu près conforme à sa dignité sur la scène politique romaine.
Une loi proposée par les 10 tribuns de l'année 52 lui avait reconnu le droit de se présenter in absentia au consulat. Se présenter in absentia était pour lui une protection contre le harcèlement judiciaire par lequel ses ennemis annonçaient haut et fort vouloir le liquider.
Mais voilà, un simple citoyen se présentant in absentia a malgré tout peu de chances de contrecarrer les menées de ses ennemis si ceux-ci disposent de forces militaires dans et autour de Rome pour l'empêcher d'être élu. Or depuis 52, telle était la situation de Pompée qui avait des troupes autour de Rome et qui, allié aux optimates, contrôlait la vie politique romaine.

César estimait donc devoir conserver un imperium et des troupes jusqu'à son entrée en charge pour un second consulat.
Mais il s'est montré prêt à des concessions considérables qui l'auraient placé dans une position ne lui permettant absolument pas de devenir le dictateur/tyran de Rome.

Alors qu'il gouvernait la Gaule cisalpine, l'Illyricum et la Gaule transalpine (y compris sa partie chevelue conquise entre 58 et 51) et disposait de 11 légions particulièrement aguerries, il s'est déclaré prêt à ne conserver que la cisalpine avec 2 légions, jusqu'à l'inauguration de son 2ème consulat. Puis, sur la médiation de Cicéron, il s'est même déclaré prêt à ne conserver que l'Illyricum avec 1 seule légion.

Ce sont les optimates et Pompée qui ont refusé ces conpromis successifs. Comme ils ne laissaient aucun doute à César sur le fait que la seule voie qui lui était laissée était la liquidation politico-judiciaire, c'est à eux qu'incombe la responsabilité d'avoir poussé César, faute de toute autre solution, à tenter le tout pour le tout. Perdu pour perdu, et puisque ses ennemis ne lui laissaient pas d'autre choix, il lui fallait soit disparaître, soit tenter de rétablir militairement une situation bloquée sur le plan politique.

C'est l'obstination de ses ennemis et rivaux à le perdre qui a poussé César vers une position exceptionnelle.

Et c'est cette obstination de ses ennemis à persister dans cette opposition absolue à César qui va le porter à une position de pouvoir toujours plus élevée.
Si, comme César le souhaitait, ses ennemis avaient accepté en 49 que les 2 camps rendent les armes après la conquête foudroyante de l'Italie par l'armée césarienne, les choses auraient évolué de manière radicalement différente.
Si, juste après Pharsale, comme le souhaitaient Cicéron, Brutus ou Cassius, les optimates et les pompéiens avaient accepté le sort des armes et avaient fait leur paix avec César, celui-ci n'aurait pas vu sa position institutionnelle devenir si exorbitante.

C'est le fait que les optimates ont persisté dans le conflit et aient forcé César à aller les combattre en Afrique puis en Espagne, le conduisant de fait à reconquérir la totalité de l'empire romain, qui a créé les conditions et la nécessité d'une dictature hors normes.

Pourquoi ?

Parce que l'opposition des optimates à l'encontre de César avait atteint un tel degré qu'elle avait montré qu'il n'y avait plus de compromis possible sur la scène politique romaine. Il fallait donc qu'un homme concentre des pouvoirs hors normes pour éviter que la république et son empire ne sombrent de manière récurrente dans les guerres civiles.

Voilà comment un homme qui voulait être le 1er dans la république à égalité avec son ancien gendre et allié Pompée a été forcé de faire la guerre à ceux qui refusaient de lui permettre de rentrer à Rome pour être consul une 2ème fois, pour triompher sur les Gaules, et pour exercer vraisemblablement un 2ème proconsulat.
Voilà comment celui qui voulait exercer ce qu'il estimait être son droit de poursuivre une carrière identique à celle de Pompée a été forcé à demander l'aide de ses soldats et à devenir le dictateur à vie de la république romaine et de son empire.


Haut
 Profil  
Répondre en citant  
Afficher les messages publiés depuis :  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 1 message ] 

Le fuseau horaire est UTC+1 heure


Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 76 invité(s)


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Recherche de :
Aller vers :  





Propulsé par phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction et support en françaisHébergement phpBB