Pour répondre à vos questions, Nominoë, je vous rappellerai qu'à compter du 3ème siècle, Rome doit combattre sur 2 fronts : face aux perses sassanides et face aux germains. Et des désastres, Rome en a subi au 2ème siècle (la peste), ainsi qu'aux 3ème et 4ème siècles.
Je comprends que la distance historique rende plus difficile la mise en perspective, mais pour vous donner des éléments de comparaison, je ne crois pas qu'on puisse affirmer que la défaite française face à la Prusse en 1870 et son effondrement en juin 1940 soient l'aboutissement et la conséquence logiques de 2 siècles de déclin de la France pour qui tout aurait commencé à aller de travers à compter de la défaite de la Hougue en continuant par l'échec de la guerre de succession d'Espagne, la guerre de succession d'Autriche et la guerre de 7 ans.
Tout pays, aussi puissant soit-il, peut rencontrer son point de rupture si le hasard amène la conjonction de menaces. L'Histoire n'est ni univoque ni inéluctable.
Aussi formidable qu'ait été la détermination romaine pendant la 2ème guerre punique, quel aurait été le résultat si Rome avait du faire face à la fois à la présence d'Hannibal et à l'invasion des cimbres et des teutons ? Rome aurait probablement succombé. Et alors, aurions-nous débattu sur le déclin de la république romaine ?
L'armée romaine de l'empereur n'était pas tant une armée mercenaire qu'une armée professionnelle parce que mobilisée pour un service de longue durée (16 ans, 20 ans, ...etc). Jusqu'à la fin du 4ème siècle, la majorité de ces soldats sont des citoyens. A contrario, je rappelle que si on remonte à l'époque républicaine, jusqu'à la guerre sociale (91-88 av JC), la majorité des soldats mobilisés par Rome n'étaient pas citoyens romains (c'étaient des alliés italiens).
Enfin, s'agissant du lien entre citoyenneté, service militaire et participation active à la vie politique électorale, je comprends votre point de vue. Là aussi pourtant, il me semble qu'il faut le remettre dans la perspective antique pour se garder des anachronismes.
Un véritable système de suffrage universel ou très élargi aurait-il été adapté à un ensemble de 60 millions d'habitants étendu sur la moitié de l'Europe et tout le pourtour méditerranéen ?
Et surtout, un tel système était-il viable dans un tel contexte de pauvreté ? Car il ne faut pas oublier que, une toute petite minorité mise à part, le monde antique était pauvre, toujours au bord de la crise de subsistance, et que la question de la propriété et de la pauvreté était fondamentale.
Le système politique avait pour but de maintenir l'ordre social.
Rome n'avait surtout jamais connu le suffrage universel égal.
Ce n'est pas seulement faute de moyens de communication et de transport suffisamment rapides que Rome n'a pas conçu un système représentatif. C'est aussi parce que d'une certaine façon, ses élites ne le voulaient pas.
Le système politique romain, depuis les origines, avait tellement pour but de maintenir l'ordre social que le système de vote était censitaire.
Dans les comices centuriates, les chevaliers et la 1ère classe censitaire, qui représentaient une toute petite minorité du corps civique, formaient 98 des 193 centuries. On commençait à faire voter les centuries de la 1ère classe, et dès que 97 centuries avaient voté dans le même sens, on arrêtait le vote puisqu'une majorité absolue était réunie. Autant dire que dans la grande majorité des cas, tout était joué avec le vote des centuries de la 2ème classe.
Le système des comices tributes, certes plus ouvert, n'en était pas moins très peu représentatif lui aussi compte tenu des méthodes très particulières qu'on avait d'inscrire les citoyens dans les tribus : notamment les nouveaux citoyens cantonnés dans les 4 tribus urbaines. Ajoutez encore une fois que pour les citoyens des tribus rurales, se déplaçaient le plus souvent pour voter ceux qui en avaient le temps et les moyens (ou à qui un patron intéressé donnait le temps et les moyens).
Rappelons par ailleurs que faute de système représentatif, le peuple souverain, c'étaient ceux qui se déplaçaient à Rome dans le Comitium et qui arrivaient à voter. Au grand maximum 70000 personnes alors que le corps civique, sous l'empire, a fini par compter des millions d'hommes adultes.
Il me semble que c'est à la fois :
- parce que ce vote était très inégalitaire et donc très peu "représentatif,
- et parce qu'un suffrage large n'était pas souhaité (à cause du problème des richesses et de l'insuffisance cohérence de la communauté des citoyens romains) ni matériellement aisé à mettre en place,
que Rome a évolué plutôt vers un système monarchique que vers un système démocratique et que les assemblées électorales ont très vite été quasiment supprimées par le régime impérial.
Lecture conseillée, outre les classiques de type Nicolet ou Veyne, l'ouvrage de Norbert Rouland : Rome, démocratie impossible ?
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