Pour ce qui concerne Lucullus, la question est plus complexe que vous ne la présentez.
Et tout d'abord, il faut commencer par planter le décor.
Dans la seconde moitié des années 70, Rome est engagée :
- dans la guerre contre Sertorius en Espagne,
- dans la grande révolte servile de Spartacus,
- dans une guerre contre les tribus thraces qui conduira le frère de Lucullus jusqu'au Danube,
- dans la guerre contre les pirates (imperium confié à Marcus Antonius Creticus, le père du futur triumvir)
- et dans la guerre contre Mithridate.
Ca fait beaucoup. C'est même énorme. Je ne crois pas qu'on rencontre beaucoup d'autres époques, dans l'histoire de Rome, où la république ait été engagée simultanément dans des autant de conflits d'envergure majeure.
Même Rome n'avait pas des moyens illimités.
Ajoutons que pendant que Lucullus prenait en charge les provinces d'Asie et de Cilicie la Bythinie avait été confiée à un autre proconsul, Aurelius Cotta, qui avait lui aussi des troupes mais qui s'était rapidement fait infliger une raclée par l'armée pontique. Il a ensuite attendu prudemment que Lucullus vienne lui sauver la mise.
Précisons en outre que les territoires où se sont déroulées ces guerres, l'Anatolie, sont aussi vastes que les Gaules. Avec des Etats structurés et puissants : Pont mais aussi Arménie.
Pour résumer, la soumission de ces régions était tout sauf une promenade de santé. Lucullus a du remporter des victoires tout à fait exceptionnelles et, au bout de près de 7 ans de campagne, il n'était pas venu à bout de ses adversaires (l'alliance Pont-Arménie). En 67, Mithridate était capable de faire un retour offensif victorieux et de reprendre aux romains le contrôle de la province du Pont dont Lucullus venait de proclamer l'instauration.
C'est seulement à compter de 69 que Rome a commencé à rogner les prérogatives de Lucullus. Et cela tenait en partie aux jeux classiques des rivalités et jalousies aristocratiques (aucun grand aristocrate romain n'aime voir un de ses pairs exercer trop longtemps un grand commandement et en tirer des richesses et une gloire incommensurables), mais pour partie aussi aux fautes de Lucullus.
Les fautes commises par Lucullus, c'est notamment le fait qu'il s'était fait des ennemis pendant son consulat, notamment le tribun Cornelius, qui a commencé à se venger précisément à compter de 69, mais c'est aussi sa maladresse envers ses soldats.
Lucullus avait un comportement trop distant, trop sévère et trop plein de morgue vis-à-vis de ses soldats. Il s'est mongré incapable de gagner leur affection et leur fidélité comme Marius, Sylla, Pompée et César ont su le faire. Résultat, ses soldats finiront par refuser de le suivre et prêteront une oreille sensible à toutes les critiques et récriminations contre Lucullus. C'est probablement ce facteur-là qui a le plus puissamment contribué à ce que les institutions le Sénat retire son commandement à Lucullus.
Et enfin, mentionnons le fait que Lucullus a été victime de ses propres communiqués de victoire dythirambiques (Tigranocerte en 69 et Artaxarta en 68) et que, puisqu'il expliquait que Mithridate et Tigrane étaient terrassés, eh bien le Sénat a pu le prendre au mot et saisir le prétexte pour considérer que la mission confiée à Lucullus était achevée et qu'il était temps de lui désigner un successeur.
Quant à Pompée, il n'avait, comme vous explique Aspasie mineure, pas besoin de conquérir toute l'Asie. Si vous prenez le verbe "to conquer" en anglais, il a des sens plus variés que celui qu'on lui donne en français, et en particulier il signifie "vaincre/soumettre".
Ce qui comptait pour Pompée, c'était de soumettre des territoires à l'empire des romains, pas nécessairement d'en faire des provinces qui soient directement administrées par un gouverneur romain. La Palestine gouvernée par des rois clients ou par des tétrarques clients était à peu près aussi soumise à Rome que la province de Syrie.
Et souvent en orient, c'est le degré d'urbanisation/héllénisation qui a été le critère sur la base duquel Rome a décidé de transformer en province consulaire ou prétorienne un territoire soumis ou au contraire d'en confier le gouvernement à des rois clients.
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