Le topic est vieux, mais la réponse est toujours d'actualité.
Brutus et Cassius, les plus célèbres des assassins de César, ont bénéficié d'une immunité qui leur a permis d'obtenir le gouvernement de provinces de faible importance comme la Cyrénaïque et la Crète. Ils n'ont pas été mêlés aux premiers conflits et ont pu facilement mettre sur pied une armée en Orient, car l'essentiel des troupes appartenant à leurs adversaires se trouvaient en Occident. Peu après la mort de César, Décimus Brutus, l'un des conjurés, a obtenu la Gaule Cisalpine avec une armée comprenant deux légions. Sentant que les hostilités n'allaient pas tarder à recommencer, il a mené une campagne dans les Alpes afin de renforcer ses troupes et a levé une troisième légion dans sa province. Les Cisalpins étaient citoyens romains et pouvaient donc être enrôlés dans les légions.
Le Sénat disposait donc de trois légions en Cisalpine, ainsi que d'autres unités réparties dans diverses provinces (trois lui étaient fidèles en Afrique). Devant la menace constituée par Antoine et ses légions rapatriées de Macédoine, le Sénat s'est largement appuyé sur les troupes rassemblées par Octavien (futur Auguste) : deux légions de Macédoine qu'il s'est attiré par son argent ainsi que 3000 vétérans de César qui avaient été établis en Campanie. La guerre s'est déclarée suite au refus de Décimus Brutus de quitter la Cisalpine, alors qu'Antoine venait d'obtenir cette province en faisant appel au peuple. Lors du siège de Modène, le Sénat a chargé les deux nouveaux consuls de mener la guerre contre Antoine. Hirtius, accompagné d'Octavien et de ses troupes, ont été envoyés à la rencontre d'Antoine, tandis que Pansa est resté en arrière pour lever des troupes. Quatre légions ont alors été mobilisées contre Antoine et une cinquième est restée à Rome pour défendre la capitale.
En Occident, suite à la guerre de Modène, l'armée du Sénat a été complètement absorbée par les héritiers politiques de César, qu'il s'agisse des légions de Décimus Brutus, de Pansa, ou même des deux légions rapatriées d'Afrique. Mais le Sénat, ayant déclaré Antoine et Dolabella ennemis publics, s'est empressé d'attribuer les provinces les plus importantes à Brutus et Cassius (Macédoine et Illyrie pour l'un, Syrie pour l'autre) afin de réorganiser leurs forces en Orient.
Pour comprendre comment les Républicains ont réussi à rassembler une armée aussi importante, il faut revenir à des faits antérieurs qui sont très bien décrits par Appien dans le troisième livre des Guerres Civiles (paragraphes 77-79). César avait laissé une légion en Syrie, en prévision de la guerre contre les Parthes. Le commandement de cette unité avait été confié à Caecilius Bassus, qui se trouvait sous l'autorité de Sextus Iulius, un parent de César. Ce dernier, en raison de son comportement outrageant, a provoqué la colère des soldats, qui n'ont pas hésité à le mettre à mort. Craignant la réaction de César, Bassus et ses hommes ont levé une seconde légion sur place afin de se défendre si nécessaire. César a alors envoyé trois légions contre eux, mais ces troupes se sont révélées insuffisantes. Trois autres légions provenant de Bithynie sont arrivées pour leur prêter main forte. Or c'est justement au moment ou les deux légions révoltées étaient assiégées par les six autres que le Sénat a attribué de nouvelles provinces à Cassius et Brutus, proclamant en même temps que tous les gouverneurs de provinces et toutes les armées se trouvant à l'est de l'Adriatique devraient obéir aux ordres de ces derniers. Cassius, mettant fin au siège, en a profité pour intégrer les huits légions à son armée. De plus, il a réussi à prendre par surprise et à incorporer dans ses troupes quatre légions d'Egypte qui avaient été amenées en Palestine par un lieutenant de Dolabella (césarien), ce qui le plaçait à la tête d'un total de douze légions.
Brutus disposait quant à lui de cinq légions, dont trois se trouvaient en Illyrie lorsque le Sénat lui a confié la province. Les deux autres semblent avoir été formées à partir de soldats pompéiens restés en Orient après la défaite de Pharsale ainsi que de volontaires venus d'Italie. Cette armée lui a permis de soumettre facilement la seule légion dont disposait Caius Antonius (frère d'Antoine) en Macédoine. Brutus, qui avait alors six unités, a porté le nombre de ses légions à huit en recrutant deux légions de Macédoniens.
Bref, les unités dont disposaient les Républicains lors de la bataille de Philippes étaient en fait pour la plupart d'anciennes légions de César, recrutées entre 49 et 46 av. J.-C. et stationnées en Orient lors des ides de mars : c'est le cas de quinze légions sur les vingt alignées face à Antoine et Octave. L'une des cinq autres légions a été levée en Syrie, probablement parmi des citoyens établis dans la province, deux autres ont été reconstituées à partir des anciens soldats de Pompée qui se trouvaient encore en Grèce et les deux dernières ont été formées à partir de provinciaux.
Pour répondre à ta deuxième question, je dirais que la plupart des soldats recrutés pendant les guerres civiles (contrairement à ce qui peut être lu dans un certain nombre d'ouvrages) étaient des citoyens romains. Les sources mentionnent de nombreux recrutement dans les provinces, ce qui est une nouveauté puisque jusque là toutes les levées avaient été effectuées en Italie. Or deux cas ont laissé penser aux historiens que des légions avaient probablement été constituées à partir de non-citoyens : celui de la légion Vernacula, recrutée en Espagne par les lieutenants de Pompée en 49, et la "légion" des Alouettes, soi-disant levée en Transalpine par César lors de la guerre des Gaules. A partir de ces deux cas isolés, ils ont formulé tout un tas d'hypothèses au sujet du recrutement de non-citoyens dans les légions vers la fin de la République. En gros, chaque fois qu'une sources évoquait une légion levée dans une province, ils partaient du principe qu'elle était composée de non-citoyens (ou pérégrins).
Dans les années 1970, plusieurs chercheurs ont montré que la légion Vernacula était en fait la première légion romaine à avoir été levée parmi des citoyens romains établis dans une province. L'idée est largement admise depuis, mais de nombreux historiens continuent de penser que les généraux ont levé de nombreuses légions de non-citoyens vers la fin de la République, pour subitement revenir à des légions de citoyens avec l'Empire. Le seul cas sur lequel ils s'appuient pour émettre leurs hypothèses, c'est la "légion" des Alouettes, une mystérieuse légion composée de Gaulois dont César ne parle jamais dans ses Commentaires et qui n'est d'ailleurs évoquée comme telle dans aucune source avant Suétone (120 ap. J.-C.). D'ailleurs, le contexte de recrutement de cette "légion", celui de la guerre des Gaules, n'a pas grand chose à voir avec celui des guerres civiles. Bref, autant dire que les théories émises au sujet de l'enrôlement en masse de non-citoyens dans les légions ne reposent sur pas grand chose.
L'enrôlement de Macédoniens par Brutus est à ma connaissance l'un des seuls cas attestés par les sources de recours à des non-citoyens pour lever des légions. Cnéus Pompée (le fils) a peut-être usé du même procédé en Espagne en 45, mais ce n'est pas sûr. En revanche, Antoine a sans doute été forcé de ne pas être trop regardant quant à la citoyenneté de ses soldats lorsqu'il se trouvait en Orient, n'ayant plus accès à l'Italie pour lever de nouvelles légions. Bref, ce procédé a pu être utilisé en dernier recours, lorsque les généraux n'avaient plus le choix, mais son ampleur a sans doute été exagérée par les historiens.
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