Il y a beaucoup à dire sur la question en effet.
Je m'excuse par avance auprès des lecteurs de ce forum, mais l'intervention qui va suivre est à la fois longue et assez sévère pour ce qui concerne la thèse de Mlle Freyssinet.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la thèse et en particulier le passage mentionnant Toul et Nasium en tentant de départager les deux Cités.
Qu'on veuille bien me pardonner ce jugement, mais je trouve son travail sur ce point précis très peu scientifique et insuffisamment documenté.
L'hypothèse est construite non pas en fournissant des éléments pour étayer l'hypothèse de Toul en tant que capitale mais en cherchant à démonter l'hypothèse Nasium. Cela peut sembler légitime dans la mesure où, pour elle, la première hypothèse est la plus anciennement et la mieux établie.
Elle semble considérer en effet que le débat est tranché depuis "très récemment". Elle insiste même en mentionnant "des publications récentes dans lesquelles ont trouve cette idée
encore répandue". On sent bien dans le "encore" qu'il conviendrait de renvoyer ces malheureux à leurs chères études.
Pourtant, les auteurs mentionnés en note à cette occasion sont F Mourot et T Dechezleprêtre, archéologues l'un responsable des fouilles sur la ville gallo-romaine, l'autre sur l'Oppidum de Boviolles. Aucune de leurs recherches n'est mentionnée ensuite, de même que celles menées par M Vipard. Or le travail de ces archéologues depuis 1998 a remis à l'ordre du jour les interrogations sur le statut réel de Nasium pour les Leuques. L'ouvrage collectif "Nasium, ville des Leuques" (éd. CG 55 2004) effectue une recension complète des trouvailles sur le site depuis 4 siècles et confirme l'ampleur des collections exhumées à ce jour, d'où le renouveau des interrogations et la publication de ce post sur votre forum.
M Mourot a entrepris une cartographie géophysique complète du site, avec des moyens modernes et innovants, qui donnent une image précise du sous sol à des profondeurs de 50cm, 1m, 1m50 et 2m. Le procédé est décrit ici :
http://www.geocarta.net/ Or, cette cartographie ne cesse de révéler l'ampleur de la ville et l'abondance de bâtiments dont les traces sont conservées dans le sous sol. La présence d'un forum entourant la "basilique" de Nasium (voir plus haut) apparaît de plus en plus comme évidente, mais il reste maintenant à fouiller et dégager des indices matériels. Un complexe cultuel immense, dont j'ai déjà parlé, un amphithéâtre, des thermes, un quartier de riches villae etc...
Voici une idée de la vue générale de Nasium au premier siècle par A Colté et qui tient compte des dernières données géophysiques fournies par les archéologues :
Sur la colline à droite, l'oppidum de Boviolles. Au centre, Nasium avec au premier plan, le forum à gauche et le complexe cultuel à droite. Au fond, la ville basse et le quartier des thermes. L'extension de la ville à son apogée est équivalente à celle de Divodurum (Metz) à la même époque. Et Toul ? Aucune donnée disponible actuellement.
Pour revenir à la thèse de Freyssinet, elle déploie ensuite son énergie à balayer Ptolémée et Peutinger, qui restent malgré tout de précieuses sources de renseignement. Mais effectivement, il faut en manier la fiabilité avec discernement.
Elle évoque ensuite la fondation des deux villes, sans mentionner deux faits importants :
1- On ne sait
RIEN de celle de Toul.
2- Par contre, on sait depuis peu que certains temples de Nasium (Mazeroie, fouilles Claudine Gilquin), ont été élevés au changement de notre ère, grâce à l'étude stylistique des éléments architecturaux dégagés.
Autrement dit, Nasium, la Gallo-romaine, est sortie de terre très très peu de temps après la conquête. Au changement d'ère, le "déperchement" de l'oppidum de Boviolles vers le site de plaine était déjà en marche et sans doute bien avancé.
Mlle Freyssinet ne parle pas de ces études publiées en 2004. Est ce réellement un oubli ?
Reste la fameuse inscription de Valkenburg : "De Toul, des Leuques, à Albanus, médecin". 4 mots pour balayer un ensemble d'indices matériels qui devraient pourtant, au minimum, éveiller un doute. Or Mlle Freyssinet assure que cette inscription, à elle seule, met un terme à la question. Pardon, mais encore une fois, c'est trop court scientifiquement.
Elle ne tient pas compte d'une dernière étude, celle d'Yves Burnand, publiée dans l'ouvrage collectif : " Pouvoir et religion dans le monde romain" (Paris, PUPS, 2006)
L'étude s'intitule : "À propos du chef-lieu de la cité gallo-romaine des Leuques :nouveautés archéologiques et réexamen de quelques textes". Je ne saurais pas présenter Yves Burnand à ceux qui ne le connaissent pas, mais disons qu'il maîtrise plutôt bien l'histoire de la Lorraine. Le Que sais je ? sur les Gallo romains, par exemple, c'est lui.
Il s'est étonné, lui, de la quantité de trouvailles et découvertes faites à et sur Nasium ces dernières années et a réexaminé certains textes et les données épigraphiques.
Conclusion : " Nasium est peut-être le chef-lieu de la cité gallo-romaine des Leuques, à la fin du Ier siècle avant J.-c. et au début du Ier siècle après J.-C., avant que cette fonction ne soit occupée par Toul." Et dernièrement, le réexamen des données épigraphiques par le même auteur aurait permis de trouver plusieurs mentions de Nasium comme chef lieu de Cité des Leuques. Je dis aurait car je ne l'ai pas encore lue...
Bref, il y a de la place pour tout le monde n'est ce pas ? Il faut laisser du temps au temps et nous saurons bien un jour quel statut réel accorder à la ville de Nasium.
Personnellement, je trouve cette enquête tout à fait passionnante.