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Message Publié : 30 Sep 2008 23:56 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
Message(s) : 1659
Je lance ce sujet un peu tardivement pour tenir un engagement pris (envers La Saussaye ou Thersite ?) lors d’échanges sur un autre sujet. Je me fonde pour ce faire sur mes lectures entre autres de Mommsen, Munzer, Syme, Gelzer, ou encore Roman, liste non exhaustive.

Quand on aborde la question de la noblesse romaine, il faut avoir conscience d’au moins 2 biais.

D’une part les sources sont tout sauf scientifiques et objectives. D’autre part, par un romanocentrisme très compréhensible, les sources romaines ont tendance à inverser cause et effet en expliquant que certaines familles de l’aristocratie plébéienne/italienne sont devenues importantes et ont accédé au pouvoir parce qu’elles sont devenues romaines alors qu’en réalité elles sont devenues romaines parce qu’elles étaient si puissantes que Rome avait besoin d’elles et était prête pour ce faire à les associer au pouvoir.

J’évoquerai donc pèle-mèle plusieurs éléments.

D’abord le regard nouveau qu’on porte depuis quelques décennies sur les notions de patriciat et de plèbe.

Pour mieux cerner avec toute les nuances requises la notion de patriciat, il faut d’abord s’interroger sur le fait que dès le compromis licinio-sectien de 366, il y a des familles dites plébéiennes beaucoup plus puissantes et prestigieuses que certaines familles patriciennes déjà peu présentes dans les fastes. Quel rapport entre un Fabius ou un Valerius d’un côté et un Sergius, un Geganius ou un Cloelius de l’autre ? A peu près le même que le rapport entre les familles royales d’Angleterre, d’Espagne ou du Japon et un descendant du roi Zorg de Croatie.

Il faut sortir des grilles de lecture ethniques (vrais autochtones contre immigrés) ou sociologiques (descendants d’éleveurs contre descendants de cultivateurs) qui ont été tentées à une époque désormais lointaine.

Il est aujourd’hui établi que le patriciat n’a pas toujours été fermé et que sa constitution a donc résulté d’un processus pragmatique bien plus que d’une logique systémique. La fermeture du patriciat semble dater du milieu du 5ème siècle.

Ainsi, par exemple, au moment où chute la monarchie des Tarquins, le clan sabin des Claudii émigre pour s’installer à Rome, son chef est reconnu comme patricien, et devient consul à peine 10 ou 15 ans après.
Et pourtant, on trouve très tôt une branche plébéienne des Claudii, celle des Claudii Marcelli qui accèderont au consulat dès le compromis licinio-sextien et deviendront une des plus grandes familles de la noblesse. Ces Claudii Marcelli ne semblent pas avoir été de simples homonymes d’Appius Claudius, le père de la gens Claudia. Ils devaient bel et bien appartenir au même clan.
Autrement dit, il est fort probable que quand tout le clan des Claudii a rejoint Rome, seule la branche aînée de la famille, celle d’Appius Claudius, se soit vu reconnaître la pleine citoyenneté d’alors et intégrer dans le patriciat, alors que des branches collatérales se voyaient attribuer des droits restreints, avec le statut plébéien.

Si la branche aînée des Claudii a pu accéder au patriciat, c’est d’abord parce qu’elle était très puissante et ensuite parce que Rome était faible, assaillie de toutes parts par les anciens alliés latins fidèles aux Tarquins et par les rois/condottieres étrusques et campaniens. Les Claudii ont été un renfort particulièrement utile pour la Rome républicaine lors de ses débuts très fragiles et chaotiques.

Au final, qu’était le patriciat ? L’ensemble assez disparate de ceux qui se sont vu définitivement reconnaître, dans les premières décennies de la république, suffisamment d’ancienneté ou de puissance pour continuer d’appartenir à l’aristocratie dirigeante de la république romaine.
Car là aussi, il semble établi que dans les 1ères années de la république, le Sénat comptait des membres de familles non patriciennes qui accédaient aux magistratures. Ce qui est somme toute fort logique : quand on est assailli de toutes parts, on ne fait pas dans le détail et on a besoin de toutes les forces de la cité pour combattre l’ennemi extérieur.

Je n’entre pas plus dans les détails sur la notion de gentes patriciennes majeures et mineures, tant il est là aussi possible que les sources antiques et les analyses contemporaines aient pris pour une règle de fonctionnement ce qui était d’abord et avant tout contingent et fortuit : les Claudii, bien que d’origine étrangère, sont considérés comme faisant partie des gentes patriciennes majeures.


Et la noblesse plébéienne ? Qu’était-elle donc ?

S’il y a une erreur dans laquelle il ne faut pas tomber, c’est bien celle qui consisterait à imaginer que la noblesse plébéienne résulterait d’un processus de promotion sociale par l’artisanat et le commerce. Dans le monde antique, c’est d’abord et avant tout la terre qui est source de rente et qui permet une accumulation de capital dont une part du surplus peut être investie dans le commerce, l’artisanat ou le prêt à intérêt.
A Rome, ce ne sont pas les marchands qui deviennent aristocrates mais les aristocrates qui se livrent à titre accessoire à des activités financières et marchandes. N’oublions pas que le commerce est extrèmement risqué et que la terre est noble : les bénéfices du commerce sont chaque fois que possible réinvestis dans le seul véritable placement digne d’un noble, à savoir le foncier.

Qui sont les grandes familles de la noblesse plébéienne ?
Ce sont d’abord (chronologiquement comme quantitativement) les aristocraties dirigeantes des régions ou cités italiennes qui :
- soit se sont alliées avec Rome et que Rome souhaitait s’attacher étroitement en leur donnant la citoyenneté et en les faisant venir s’installer à Rome,
- soit ont été vaincues par Rome mais intégrées pour contrôler les territoires vaincus.
- Soit, à mi-chemin, des transfuges qui d’un certain point de vue ont trahi leur région ou leur cité pour se rallier à Rome et ont été payées de retour.

Pour résumer, quand Rome ne se sentait pas suffisamment forte ou parce qu’elle n’avait pas encore achevé de définir la notion de patriciat par opposition à Autrui, elle intégrait des familles étrangères dans le patriciat. Et c’est ainsi que de grandes familles comme les Claudii d’origine sabine ont pu être reconnues comme patriciennes et même d’honner leur nom à l’une des tribus rustiques, ou encore plus tôt que les Julii et les Servilii d’origine albaine être intégrées dans le patriciat lorsque les rois romains ont étendu leur domination sur le pays albain.

Quand Rome s’est sentie rassurée, elle n’a plus conféré à ses nouveaux alliés que des droits inférieurs à l’aristocratie « de souche » romaine (= le patriciat), et les plus grandes familles de l’aristocratie italienne ne se voyaient plus reconnaître que le statut plébéien.
C’est ainsi qu’une des plus puissantes et prestigieuses familles de l’aristocratie, les Marcii, dont il est très probables qu’ils appartenaient au même clan qu’Ancus Marcius, 4ème roi de Rome (voir aussi le lien assuré avec la légende de Coriolan), n’a malgré tout été que plébéienne.
Idem pour les Licinii, une des plus grandes familles de l’aristocratie romaine, d’origine étrusque, qui était pourtant apparentée aux plus grandes gentes patriciennes : les Cornelii, les Manlii et les Fabii !

Vue sous cet angle, la lutte entre le patriciat et la plèbe, c’est la lutte entre l’aristocratie patricienne qui jouit des pleins droits politiques (accès aux magistratures) et l’aristocratie qui ne jouit pas de la plénitude des droits politiques (mais qui peut utiliser la magistrature parallèle du tribunat de la plèbe).

Une fois le compromis trouvé, au milieu du 4ème siècle, les plus puissantes familles romaines vont continuer de faire en sorte de renforcer Rome et leur propre faction en faisant venir à Rome et conférer la citoyenneté à des clans aristocratiques étrangers : c’est par exemple le cas avec les Fulvii de Tusculum, avec les Otacilii de Bénévent, les Atilii de Campanie, …etc, qui exerceront plus de consulats que bien des familles patriciennes mineures.

Ce n’est qu’avec la 2ème guerre punique que ce processus va se fermer. Sortie grande vainqueure de cette guerre, Rome n’a plus besoin de renforts et ne souhaite pas partager les fruits des conquêtes avec de nouveaux citoyens. D’où le blocage progressif qui conduira un peu plus d’un siècle plus tard à la guerre sociale via laquelle les aristocraties italiennes alliées forceront Rome à leur conférer la citoyenneté.


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