Caesar Scipio a écrit :
Et pourtant, si vous lisez la guerre des Gaules, le seul moment où César parle de levées, c'est précisément dans le livre 7, soit en 52. Et il indique expressément qu'il a levé des troupes dans toute sa province.
Je comprends que vous émettiez l'hypothèse (je me suis aussi posé la question) qu'il ne s'agit que de la Cisalpine : c'est plutôt cohérent avec le fait que César essaie alors de s'occuper de la crise qui a lieu à Rome depuis l'assassinat de Clodius. Mais vous me donnerez acte qu'à tout le moins, l'indication de "toute" la province, par un César chez lequel jamais un mot n'est inutilement employé, indique bien, avec la provocation délibérée de celui qui assume, qu'il a aussi recruté au nord du Po.
D'après sa propre version des faits, César ne cherche pas à s'occuper de la crise qui a lieu à Rome mais il profite d'un sénatus-consulte lié à cette dernière pour procéder à une levée. Je développe dans mon mémoire plusieurs arguments pour faire correspondre cette levée de 52 à la formation de la VIe légion, qui se trouve dans des quartiers d'hiver en Gaule au début de l'année 51, tandis qu'aucune unité de ce numéro n'était présente dans l'armée de César avant 52. Vous avez raison : César affirme avoir levé des troupes "dans toute sa province". Je vous remercie d'avoir attiré mon attention sur ce passage auquel je ne m'étais pas spécialement intéressé jusque là, car il me donne visiblement tort pour ce qui est de l'enrôlement de Transpadans, mais il me confirme dans la conviction que César a toujours cherché à agir dans le cadre de la loi. En effet, d'après la façon dont il présente les choses, César paraît avoir profité d'une ambiguïté du sénatus-consulte pour faire également appel à des Transpadans, car le décret du Sénat le lui permettait en ordonnant d'enrôler en masse "toute la jeunesse d'Italie". Si César a pu se permettre à cet instant précis de lever des troupes "dans toute sa province" (donc aussi au nord du Pô), c'est parce qu'il estimait que la Cisalpine toute entière faisait partie de l'Italie. Cela ne permet pas d'affirmer qu'il a systématiquement outrepassé ses droits en intégrant des Transpadans dans ses légions tout au long de la guerre des Gaules : s'il s'est autorisé à le faire à cet instant précis, c'est uniquement parce qu'une maladresse du Sénat le lui a permis. Cela sous-entend que César ne l'aurait probablement pas fait sans ce sénatus-consulte, dont il cite probablement le texte exact pour justifier l'enrôlement de soldats "dans toute sa province". Ce souci d'agir dans le cadre des lois, quitte à profiter d'une mauvaise formulation, me paraît fondamental chez César.
La question de la légion de Transalpins évoquée par Suétone est encore différente. Les historiens l'associent généralement aux vingt-deux cohortes de Transalpins recrutées par César au début de l'année 52 afin de défendre la
Provincia des incursions menées par les alliés de Vercingétorix. C'est à mon sens une erreur car ces vingt-deux cohortes, regroupées sous le commandement de L. César, ont simplement servi à défendre la Transalpine et ne paraissent avoir joué aucun rôle dans la guerre des Gaules, leur nombre interdisant en outre de pouvoir les assimiler à une légion. En revanche, si on lit le détail des préparatifs de défense de la Transalpine, on peut remarquer que César s'est fait accompagner en territoire arverne des recrues de l'année (sans doute la VIe légion) et d'une partie des troupes levées en Transalpine, distincte des vingt-deux cohortes qui attirent souvent l'attention des historiens (Caes.,
BG, VII, 7). Ces soldats transalpins n'ont pas pris part aux premières campagnes de 52, ayant été laissés en territoire arverne sous les ordres de Décimus Brutus afin de faire diversion pour que César puisse rejoindre ses légions (Caes.,
BG, VII, 8). Ils ont probablement rejoint T. Labienus à Agedincum en même temps que les recrues de Cisalpine (Caes.,
BG, VII, 57), d'où l'idée qu'ils étaient présent à Alésia. D'autre part, plusieurs indices permettent de penser que des auxiliaires transalpins étaient présents à différentes étapes de la guerre civile, notamment lors de la campagne espagnole de 49 (Caes.,
BC, I, 39) et à Pharsale en 48 (App.,
BC, II, 70). Il est donc possible que des mercenaires transalpins aient effectivement accompagné César dans ses campagnes, ce qui leur aurait valu l'octroi de la citoyenneté une fois la paix rétablie. Selon moi, Suétone pourrait avoir commis une approximation en employant le mot "légion" pour désigner un corps de troupes qui n'en était pas véritablement une. Si vous voulez mon avis, la "Ve
Alaudae de César" est une pure invention de l'historiographie moderne : les origines de la légion impériale appelée Ve
Alaudae sont à chercher dans les événements postérieurs aux ides de mars, période à laquelle on a d'ailleurs commencé à associer des surnoms aux légions. Si vous le souhaitez, je pourrai vous communiquer une version numérique de mon mémoire fin juin, afin que vous puissiez vous faire votre opinion sur la question.
Pour en revenir aux 22 cohortes de 52 et à celles de 49, il peut être remarqué que les premières, composées de Transalpins, ne sont jamais prises en compte dans le nombre des légions de César lors de la période 52-49 et qu'il n'en est jamais question lors de la répartition des troupes dans leurs quartiers d'hiver. Ce n'est pas le cas des cohortes levées en Cisalpine en 49, qui sont comptées dans le nombre des légions : il y a de bonnes raisons de penser qu'elles font partie des quatre légions stationnées à Plaisance à partir d'octobre 50 et qu'elles sont comprises dans les onze unités que les sources attribuent à César au début du conflit.
Caesar Scipio a écrit :
Sur Novum Comum, certes c'était une colonie romaine mais ce n'était pas exclusivement une colonie romaine. Autrement dit, dans la même ville il devait y avoir des romains et des latins et on imagine aisément comment un proconsul bienveillant a pu généreusement laisser entrer les seconds dans le groupe des premiers. En outre, il n'est pas sûr que le citoyen de Novum Comum fouetté par Marcellus ait occupé la charge équivalent au consulat qui seule conférait le droit romain aux latins.
D'après Strabon, les 5500 colons établis dans cette ville par César lors de son consulat (dont 500 Grecs) ont tous reçu la citoyenneté romaine. Le notable maltraité par Marcellus faisait probablement partie des colons installés par César.
Je ne peux revenir en détail sur vos autres affirmations, mais je pense que le comportement légaliste de César transparaît plutôt bien dans les événements du début de l'année 52, si votre interprétation de ce passage est bonne. Pour ma part, elle me paraît pertinente. Pour ce qui est de la levée de non-citoyens comme légionnaires, je demande à voir... Faites vous allusions aux théories fumeuses émises par les historiens au sujet des "légions vernaculaires" ?