Pédro a écrit :
Je ne suis pas du tout d'accord avec les théories qui voient dans les Empire une décadence ou une chute irrémédiable ; il suffit de se tourner un peu vers l'Orient pour se rendre compte de la limite d'un tel modèle ; l'Empire Chinois, qui à travers les multiples crises et invasions continue sous une nouvelle forme à exister. Il en vas de même de l'Empire perse qui bien que conquis par l'Islam a conservé ses particularismes et à terme a survécu également. Le problème profond de Rome était peut être la multiplicité ethnique qui ne tenait que grâce à l'idéal de chacun ; Rome qui était bien plus qu'une simple ville, c'était un idée, un concept commun que chacun s'efforçait de copier et même de transcender. Une fois disparut, le territoire manquait certainement d'unité ce qui explique sans doute sa dilution.
Peut-être justement est-ce là un problème de définition d’un empire. Le propre de l’empire, par rapport notamment au royaume ou à la nation, serait d’être une domination (imperium) : ainsi quand on parle de l’empire américain pour exprimer sa toute puissance mondiale ou de l’empire athénien en Mer Egée au Ve siècle. Et en tant que tel, il ne pourrait durer.
Et les empires qui ont survécu seraient ceux qui auraient réussi à pousser l’intégration des territoires soumis jusqu’à créer une nation : Iran, Chine (même s’il reste bien sûr des minorités ethniques, mais ces minorités sont justement… minoritaires).
pierma a écrit :
Aucune dictature militaire ne dure 4 siècles.
Et pourquoi pas ? C’est un postulat, mais ça reste à démontrer.
Mais en fait, je suis d’accord avec vous : l’empire romain est bien plus qu’une dictature militaire. C’était une analogie avec le XX siècle délibérément anachronique, pour prendre la mesure de la différence entre le régime du principat et les monarchies européennes avec lesquelles nous sommes familières.
Il y a notamment une tentation dynastique, avec le principe de l’adoption mais aussi par la filiation naturelle (Vespasien et ses fils, Marc Aurèle et Commode, Septime Sévère et Caracalla) mais aucune dynastie n’arrive à s’imposer longtemps : car l’empereur, bien que divinisé à sa mort, reste dans l’esprit et dans la loi un magistrat, et que les magistrats républicains étaient choisi parmi les grandes familles (l’hérédité jouait donc un grand poids) mais étaient quand même élus par le peuple et approuvés par le Sénat. Le moment qui a pu paraître idéal aux Romains, et surtout aux sénateurs, est la dynastie antonine avec le mythe (en réalité jamais vraiment appliqué) de l’adoption du meilleur, conciliation de l’idée dynastique et de l’idée républicaine.
Au final, dans cet équilibre toujours instable, la légitimité suprême reste la victoire militaire. C’est pourquoi Claude a lancé la conquête de la Bretagne. Voir aussi les célébrations monumentales des victoires : arc de Titus, colonne Trajane. Trajan, par exemple, se fait décerner des titres en rapport avec ces victoires : Parthique, Dacique, etc.
pierma a écrit :
Vous décrivez bien l'armée romaine comme un Etat dans l'Etat. Peut-on dire que sur la fin de l'Empire elle était seule à faire et défaire les empereurs ?
Pas seulement à la fin. A chaque crise, c’est un général qui s’impose : en 69, Vespasien ; en 193, Septime Sévère. Voir aussi le rôle de la fraction d’élite de l’armée romaine : les Prétoriens (garde personnelle de l’empereur). Ce sont eux qui choisissent Claude en 41, ce sont eux qui mettent l’empire aux enchères en 192/193 (Septime Sévère les roulera dans la farine).
Et le moment où l’anarchie militaire est la plus forte, comme l’a rappelé Pedro et comme vous l’évoquez plus loin dans votre message, c’est la crise du IIIe siècle où les empereurs changent chaque année et qui ne se terminera que grâce aux réformes énergiques de Dioclétien avec l’instauration de la Tétrarchie.
A la fin de l’Empire, la combinaison du facteur militaire et du principe dynastique reste la même : Constantin est le fils du tétrarque Constance Chlore, Théodose place ses fils sur le trône (Arcadius et Honorius). Bref, l’armée n’est pas la seule à faire et défaire les empereurs (surtout que précisons : l’armée au singulier n’existe pas, il n’y a pas de chef d’Etat-major à Rome autre que l’empereur, ce sont toujours des armées précises qui portent leur chef au pouvoir contre un autre chef : les légions du Danube, celles du Rhin, etc). L’armée est la légitimité en cas de crise, et comme la situation est grave au Ve siècle, oui elle joue un grand rôle, mais ce n’est pas une nouveauté. Pedro l’a bien expliqué plus haut : quand l’empereur perd, on lui cherche un remplaçant, c’était pareil dès le début, mais à la fin la pression germanique est telle que l’empereur perd plus souvent.