La date à laquelle disparut l'État romain est très controversée. Bien que n'étant pas historien, je vais essayer de la préciser. La question est en effet intéressante d'un point de vue juridique.
Vous aurez peut-être remarqué que j'utilise le terme État et non Empire. En effet, Rome, fondée en –753 selon la date courante, fut d'abord une royauté, puis une république, avant de devenir un empire. Rome aurait très bien pu redevenir une royauté ou une république sans que l'État romain disparaisse pour autant. De même, la France n'a pas disparu lorsque la république fut proclamée. Ce n'était qu'un changement de régime politique.
Nous pouvons tout d'abord penser à 395, date à laquelle l'empire romain fut partagé entre les deux fils de l'empereur Théodose. L'aîné Arcadius reçut l'Orient, le cadet Honorius prenant l'Occident. Mais cette division avait été préparée par Théodose et s'effectua en tout légalité. Elle ne faisait que reproduire une pratique assez courante depuis l'instauration de la tétrarchie par Dioclétien, un siècle plus tôt.
Cette division n'était pas conçue comme définitive et devait seulement faciliter l'administration impériale, en allégeant la tâche de chaque co-empereur. De plus, Théodose avait demandé à Stilicon, généralissime des armées, d'être le tuteur des deux jeunes empereurs. Sur le plan juridique, l'empire était toujours unifié. Chaque empereur devait prendre ses décisions en accord avec l'autre (collège des empereurs).
Mais dans ces périodes de cohabitation, la concertation n'existait en fait que pour les sujets d'intérêt commun, ceux très importants pour l'avenir de l'empire. Pour le reste, chaque empereur faisait à peu près ce qui lui plaisait dans son pré carré !
De plus, les deux parties de l'empire divergeaient profondément. L'Orient était ainsi généralement plus prospère que l'Occident, et le grec y était aussi beaucoup plus courant que le latin.
Si la division administrative de l'empire en 395 perdurait trop longtemps, on pouvait donc penser qu'elle finirait par déboucher sur deux États séparés. Et cela même si l'unité de l'empire romain était maintenue juridiquement. Beaucoup plus tard, l'Union Soviétique évoluera ainsi vers la Communauté des États Indépendants.
De fait, l'empire romain commença à se déliter très vite. Après l'assassinat en 408 du généralissime Stilicon, tuteur des deux co-empereurs, l'Orient ne volera pas au secours de l'Occident massivement attaqué par les Barbares. L'unité n'était donc plus que symbolique. Mais on ne pouvait pas exclure un retour de solidarité...
Dans les situations de ce genre, il est très difficile d'établir la date précise à laquelle disparait un État. Si l'empire romain avait éclaté définitivement, deux États successeurs seraient probablement apparus juridiquement. Ce sera plus tard le cas de l'Autriche-Hongrie. L'Union Soviétique a pour sa part éclaté en quinze États !
Cette situation aurait marqué la fin de l'empire romain. En effet, ni l'Occident ni l'Orient n'auraient pu être considérés juridiquement comme les continuateurs de cet État. Ils auraient en effet pris leur indépendance simultanément. Aucun rapport à cet égard avec l'indépendance des États-Unis, État successeur, par rapport à la Grande-Bretagne. Celle-ci, État continuateur, n'a pas disparu pour autant.
S'agissant de l'empire romain, j'anticipe évidemment le droit international public. Ces questions d'État successeur ou continuateur se sont beaucoup posées au 20e siècle : respect des traités, règlement des dettes...
On ne peut de toute façon savoir si l'empire aurait évolué spontanément vers une séparation complète de ses deux parties constitutives, en fait ou même en droit. La période considéré est trop courte : quelques dizaines d'années seulement.
L'empire romain d'Occident est en effet très vite entré en déliquescence complète sous la pression des envahisseurs "barbares". Des pays entiers étaient bien sûr perdus : Bretagne (Angleterre), Ibérie (Espagne), Maghreb, une partie de la Gaule... Mais les conséquences se faisaient sentir dans l'État lui-même. En effet, les empereurs prenaient de plus en plus des Barbares à leur service, cela pour combattre d'autres Barbares. Certains sont par ailleurs des généraux de valeur et ne font pas de cadeaux aux ennemis de l'empire. À un contre quatre, le Vandale Stilicon inflige coup sur coup plusieurs défaites au Wisigoth Alaric, stoppant net l'invasion de l'Italie. Le Scythe Aetius boute de son côté hors de Gaule Attila, roi des Huns, par sa victoire aux champs Catalauniques. Mais la plupart ne pensaient qu'à leur intérêt personnel. L'armée n'était plus maintenant romaine que de nom, faisait et défaisait les empereurs comme elle voulait...
J'en viens maintenant à 476, date souvent retenue pour la fin de l'empire romain, tout au moins en Occident. À cette date, les deux parties de l'empire n'en forment encore qu'une juridiquement, bien que leurs liens se soient considérablement distendus. Depuis l'assassinat de Valentinien III en 455, les coups d'État barbares se multiplient. En une trentaine d'années, pas moins de neuf empereurs vont se succéder en Occident ! Durée de règne courante : quelques mois à 2 ans. Trois empereurs atteindront 4 à 5 ans avec un peu de chance. Notons aussi un inter-règne de deux ans (465-467), au cours duquel personne ne gouverne !
C'est en fait le régime des pronunciamentos à la sud-américaine ! Le principal faiseur d'empereurs est alors Ricimer, un Suève. Notons que les auteurs des putschs ne gouvernent pas directement, n'étant pas citoyens romains. Ils préfèrent installer des marionnettes à eux sur le trône !
En 473, c'est Glycerius qui est proclamé empereur par Gondebaud, un Burgonde. L'empereur romain d'Orient Zénon refuse de le reconnaitre et soutient contre lui Julius Nepos, gouverneur de la Dalmatie. Celui-ci passe l'Adriatique avec une flotte et prend Ravenne, capitale de facto depuis 402. Glycerius est ainsi forcé d'abdiquer en 474, mais Julius Nepos lui laisse la vie sauve. Glycerius recevra même l'évêché de Salone, en Dalmatie, histoire de mieux le surveiller !
Mais Julius Nepos ne règne qu'un an, renversé en 475 par le général Oreste, un Germain bien sûr ! Nepos rembarque alors précipitamment pour la Dalmatie, son fief.
Oreste préfère toutefois ne pas être intronisé empereur. Il n'était sans doute pas éligible au trône, comme ses prédécesseurs barbares. On peut aussi supposer qu'Oreste préférait garder le contrôle direct de l'armée, sage précaution en effet ! C'est donc son fils Flavius Romulus qui deviendra empereur sous le nom de Romulus Augustus. Ce dernier nom fait évidemment référence à Auguste, premier empereur de Rome cinq siècles plus tôt.
Mais Romulus Augustus sera plutôt connu sous le surnom Augustulus, petit Auguste. Né vers 461, il n'avait en effet que quinze ans à son accession au trône. L'équivalent francisé de Augustulus est bien sûr Augustule. Nous le connaissons donc comme l'empereur Romulus Augustule.
C'est alors la phase finale... Oreste refusant le statut de fédérés et des terres aux Skyres-Hérules, leur chef Odoacre entre en rébellion. C'est une guerre entre deux Germains, le premier à l'intérieur de l'empire, le second à l'extérieur. Odoacre finit par capturer Oreste à Pavie et le fait promptement exécuter. Puis il s'empare de Ravenne et force Romulus à abdiquer le 4 septembre 476. Vu sa petite bande de soudards, c'était un coup d'État : un de plus !
Premier problème : que faire de Romulus Augustule ? Odoacre décide finalement de lui laisser la vie sauve. Nous pouvons supposer qu'il eut quelques scrupules à faire périr un adolescent de quinze ans, fort beau aussi d'après ce que nous savons. Odoacre jugea aussi probablement que Romulus ne présentait aucun danger pour lui, n'étant après tout que le fils d'un Germain, donc mal intégré à la société romaine.
Odoacre accorda même à Romulus et à sa mère une villa en Campanie, avec une pension en sa qualité d'ancien empereur romain. Cette pension lui sera encore versée en 511 par le roi ostrogoth Théodoric, devenu entretemps maître de l'Italie. Romulus Augustule avait alors cinquante ans. On ignore quand il mourut.
Second problème maintenant : comment faire pour exercer effectivement le pouvoir ? Et surtout pour en profiter assez longtemps, ce qui n'était pas du tout évident ! Odoacre décida finalement de ne pas devenir lui-même empereur romain d'Occident. C'était déjà limite avec Romulus Augustule, fils du Germain Oreste. Mais celui-ci était quand même assez bien intégré à la société romaine, ce qui n'était pas le cas d'Odoacre, un chef skyre-hérule.
Autre solution : faire nommer empereur une marionnette quelconque, comme cela se faisait depuis longtemps. Facile : il y a tellement d'idiots pour ce genre de boulot, même s'il ne pouvait vraiment pas être garanti à vie... Odoacre y renonça pourtant. Il était vraiment trop étranger à la société romaine. De plus, cela aurait probablement mis en furie Zénon, empereur d'Orient. Il avait déjà très mal pris l'éviction de Nepos...
En se creusant bien la tête, Odoacre finit par trouver la solution idoine. Il renvoya en effet à Zénon les insignes impériaux, lui offrant ainsi la couronne d'Occident. Zénon hésita à accepter, sous prétexte que sa créature Julius Nepos n'avait pas abdiqué. Odoacre reconnut alors la souveraineté de Nepos, allant même jusqu'à frapper des pièces de monnaie à son effigie. Dans les faits, il ne lui permit même pas de revenir en Italie !
Julius Nepos n'était de toute façon pas plus légitime que la plupart des empereurs d'Occident à cette époque. Il n'avait bien sûr pas abdiqué, mais avait contraint son prédécesseur Glycerius à le faire. Dans cette période de déliquescence complète du pouvoir, la légitimité ne doit bien sûr pas être trop considérée, encore moins la légalité.
Zénon finit par reconnaitre en 479 Odoacre comme roi d'Italie, mais gouvernant en son nom. Devenir empereur d'Occident, même formellement, devait aussi le flatter. Inutile d'ajouter qu'Odoacre n'en fera bien sûr qu'à sa tête... Julius Nepos mourut pour sa part en 480, peut-être empoisonné par son ancien rival Glycerius, devenu entretemps évêque de Salone, en Dalmatie. Odoacre en profita immédiatement pour occuper la Dalmatie. Notons aussi une enclave romaine complètement isolée en Gaule, avec Syragius pour commandant. Elle sera liquidée par Clovis, roi des Francs, en 486. Nous entrons maintenant dans le Moyen Âge...
En 479, l'empire romain vient en tout cas de renforcer spectaculairement son unité. Plutôt que sa fin annoncée, c'est plutôt une renaissance ! Un seul empereur, Zénon, gouverne à présent : directement en Orient, indirectement en Occident (ce qu'il en reste) par l'intermédiaire d'Odoacre, roi d'Italie.
On comprend donc mieux que les Italiens n'aient pas vu grande différence. Personne ne s'intéressait à ces putschs perpétuels. Et puis, après tout, c'étaient les Germains qui gouvernaient depuis belle lurette par leurs marionnettes d'empereurs. Qu'ils gouvernent directement avait au moins le mérite de la franchise ! De plus, cet Odoacre était sous la suzeraineté au moins théorique de l'empereur romain d'Orient, devenu maintenant celui d'Occident. Les symboles comptent aussi ! Dans la mémoire collective, le sac de Rome par les Wisigoths d'Alaric (410) avait beaucoup plus frappé les esprits.
Par ailleurs, le titre de roi d'Italie pris par Odoacre ne choquait pas particulièrement les Italiens. Au pire, c'était la fin du régime impérial, bien que Zénon soit maintenant l'empereur nominal. Mais ce n'était pas la fin de l'État romain. Rome vivait de nouveau en royauté, comme à ses débuts. Trois de ses rois avaient été étrangers comme Odoacre, précisément d'origine étrusque. Notons par ailleurs que le Sénat romain avait envoyé une lettre à Zénon pour lui demander d'assumer la succession impériale : un geste significatif, bien qu'il ne soit pas entièrement libre.
Si nous prenons en compte l'opinion subjective des Italiens, confinant à l'indifférence, c'est donc un non-évènement. Et juridiquement, il en va aussi de même. L'empire n'a plus maintenant qu'un seul empereur nominal, Zénon, que ce soit en Orient ou en Occident. En supposant même que l'empire romain d'Occident n'existe plus, son homologue d'Orient assure la continuité de l'État romain depuis ses origines lointaines.
Pourquoi considère-t-on alors généralement cette date de 476 comme marquant la fin de la Rome antique ? Rome passait d'abord pour la première fois sous le contrôle d'un envahisseur étranger, même si celui-ci y avait mis quelques formes. Rome avait certes perdu son rôle de capitale au profit de Milan, puis Ravenne. Mais elle n'en restait pas moins la capitale historique et symbolique de l'empire d'Occident, la plus grande ville d'Italie aussi. Bien sûr, il y avait eu trois rois étrusques à Rome, mais ils ne s'étaient pas installés à la suite d'une invasion étrangère. Rome avait aussi été prise par les Gaulois en – 390 (sauf le Capitole), mise à sac par les Wisigoths d'Alaric en 410, pillée par Genséric et ses Vandales (nom bien choisi) en 455. Ces envahisseurs n'avaient fait toutefois que passer, étaient repartis aussi vite qu'ils étaient venus.
Quant à la suzeraineté de Zénon sur le roi d'Italie Odoacre, elle était purement symbolique. Tout le monde en convient ! Zénon n'était pas plus empereur d'Occident que le roi d'Espagne n'est actuellement roi de Jérusalem (titre officiel) ! Les historiens considèrent de toute façon beaucoup plus l'empire d'Occident comme continuateur de la Rome antique que son homologue d'Orient : présence de Rome, diffusion de la langue latine et du droit romain... Dans cette perspective, c'est l'empire d'Orient qui aurait fait progressivement sécession. En examinant toutefois les faits en eux-mêmes, l'Occident est plutôt à l'origine de ce processus sous la pression constante des Barbares.
Si l'empire romain d'Orient (byzantin) est le continuateur de la Rome antique, il faut admettre que l'État romain s'est achevé selon le choix aux dates suivantes : 1204 (prise de Constantinople par les Croisés), 1453 (par les Turcs) ou même 1461 (chute de Trébizonde). L'histoire initiée en –753 par la charrue de Romulus se serait donc achevée 2213 ans plus tard sur les bords de la mer Noire !
Cette fiction juridique est défendable, mais c'est bien une fiction. Pourquoi ne pas alors admettre que l'État carthaginois n'a pas disparu en –146, lorsque Rome a détruit Carthage ? Après tout, il n'a pas prononcé lui-même sa dissolution. Cela dit, aucun historien n'a jamais continué l'histoire de Carthage après –146, du moins comme État !
La date de 476 est finalement la meilleure que l'on puisse trouver pour marquer la fin de la Rome antique, même si les Italiens de l'époque n'ont pratiquement rien vu comme déjà dit. Que l'histoire initiée par la charrue de Romulus en –753 s'achève le 4 septembre 476 avec Romulus Augustule (le petit Auguste) est vraiment parfait sur le plan symbolique ! 1228 ans de vie, c'est déjà très honorable...
Les empereurs romains d'Orient n'en restaient pas moins formellement empereurs d'Occident, après que Zénon ait finalement accepté l'offre d'Odoacre. Mais celui-ci sera bientôt tué par Théodoric et ses Ostrogoths. Et l'empereur Justinien devra mener plus tard une guerre acharnée de vingt ans (535-555) pour exercer la souveraineté effective sur l'Italie. Cette guerre prendra même une tournure exterminatrice, les Ostrogoths étant au bout du compte complètement anéantis, leur dernier roi tué au pied du Vésuve. L'Italie en sortira dépeuplée. Rome, prise et reprise par les deux camps, sera même un moment abandonnée par ses habitants.
Une reconquête très provisoire ! Les Lombards arrivent juste après et reprennent sans coup férir la moitié de l'Italie. Puis ce seront ensuite les invasions arabes. L'empire romain d'Orient s'orientalisera et s'hellénisera encore davantage, son centre de gravité passera définitivement à l'est. Cet empire ne sera plus connu que sous le nom d'Empire byzantin, ayant définitivement rompu avec ses lointaines origines romaines.
Voilà, j'ai fait au mieux ! Mais comme je ne suis pas historien, j'ai peut-être commis des erreurs. Aussi, vos critiques sont bienvenues...
|