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Message Publié : 23 Fév 2011 14:11 
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Thucydide
Thucydide
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Inscription : 03 Nov 2010 15:47
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Bon je remonte le sujet pour donner des nouvelles. J'ai fini le premier arc de ma campagne qui se déroulait grosso-modo quelques années après le début de la République jusqu'au sac de Rome. J'ai acheté le cahier de science et vie qui s'est révélé très instructif pour ce que je voulais faire.

A noter que mes joueurs ont quelques peu infléchi le cours de l'histoire :mrgreen: . Je me suis retrouvé avec un coup d'état pendant la sécession de la plèbe sur l'Aventin, avec un général romain prenant le pouvoir et déclarant une dictature exceptionnelle. Dans ma partie, il fit rentrer les plébéiens dans le Sénat et contribua à créer les Tribuns avant de rendre le pouvoir. Vers la fin de l'arc, c'est un marchand phénicien, manipulant un noble plébéien romain qui prit le pouvoir et déclara une dictature à cause des hordes barbares déferlant non loin de Rome. Las, personne ne put empêcher Brenus de prendre la Cité. A noter que mes joueurs se vengèrent par la suite en surprenant le chef barbare de nuit dans son campement et le massacrèrent.

C'est dur de jouer avec l'Histoire et de rester un tant soit peu cohérent. Maintenant cet arc terminé, il faut que je trouve un nouveau moment de l'histoire romaine intéressant. J'aurai aimé aborder les campagnes carthaginoises. Je sais qu'il y a eu plusieurs guerres entre les deux Cités. D'après vous, quel moment serait le plus intéressant à aborder d'un point de vue politique et rebondissement ? Formulé autrement, si vous étiez scénariste pour la série Rome et qu'on vous demandait de faire une saison sur les guerres carthaginoises, quelle période décideriez-vous de mettre en scène ? Laquelle est la plus palpitante, ... ?


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Message Publié : 23 Fév 2011 15:48 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Pour moi, il ne fait pas de doute que c'est la troisième guerre punique qui est la plus "palpitante" côté politique : elle lie troubles intérieurs et politique extérieure. Et puis on peut trouver le couple célèbre : Laelius et Scipion Emilien l'Africain

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Il n'y a pas de littérature sans liberté politique

Memoriam quoque ipsam cum voce perdidissemus, si tam in nostra potestate esset oblivisci quam tacere


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Message Publié : 12 Août 2012 21:18 
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Thucydide
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Inscription : 03 Nov 2010 15:47
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Bonjour, je relance ce topic, toujours dans le même but, celui du jeu de rôle historique. Ayant fini l'arc deux de ma campagne (qui se déroulait un peu et pendant la deuxième guerre punique), je souhaite maintenant avoir comme cadre de mon récit aux alentours du Ier siècle avant JC. Je ne sais pas encore si j'irai jusqu'à l’avènement d'Auguste. En lisant l'article sur wikipedia, j'ai essayé d'identifier les problèmes majeurs que traverse la société romaine et la république. Le but de l'exercice étant de trouver des axes thématiques à faire jouer pendant la campagne. Est-ce que la proposition suivante est un résumé pas trop éloignée de la vérité ? Est-ce que tous les thèmes majeurs de la chute de la République sont abordés (sinon, lesquels manquent-ils) ? Qu'est-ce qui est faux ?

* Les guerres menées par Rome :
_ permettent l'agrandissement du territoire romain, ce qui entraîne un "marché" plus vaste
_ dépeuplent le Sénat dû aux morts
_ augmentent drastiquement la proportion d'esclave à Rome
_ profitent aux riches familles, qui fondent de gigantesques domaines (latifundia)

* Économiquement :
_ les esclaves concurrencent les hommes libres qui bientôt s'en vont grossir la plèbe romaine
_ l'importation contribue à couler l'économie agricole de la ville
_ essor de la caste équestre (qui sont les "hommes d'affaire")

* Politiquement :
_ les réformes des Gracques en faveur de la plèbe échouent
_ réforme militaire admettant les prolétaires et les non-citoyens ; transformation de l'armée de conscription en une armée de métier (émergence des grands généraux)
_ extension de la citoyenneté romaine à l'Italie
_ opposition plèbe/noblesse
_ corruption généralisée et coup d'états fréquents

Concernant la distinction entre nobilitas et chevalier, la nobilitas englobe les anciens patriciens et les notables de Rome ? J'ai dû mal à définir les chevaliers. Ne pouvaient-ils pas être issus de familles patriciennes ? Qu'est-ce qui sépare ces deux groupes de la Rome antique ? Je sais que les chevaliers pouvaient manipuler les flux d'argent, alors que la nobilitas (a priori) non.


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Message Publié : 12 Août 2012 23:42 
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Hérodote
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Inscription : 20 Juil 2012 16:30
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Comme il est tard, je vais essayer de répondre vite mais sans écrire trop de bêtises ...
Pour la bibliographie concernant la crise de la République romaine, je ne peux que conseiller deux livres assez faciles d'accès:
-Jean Michel David, La République romaine, De la deuxième guerre punique à la bataille d’Actium en 218-31 av J.-C., Paris, Editions du Seuil, Nouvelle histoire de l’Antiquité n°7, 2000.
-Elizabeth Deniaux, Rome, de la Cité-Etat à l'Empire, Paris, Hachette, coll. Carré histoire, 2008.

Pour faire vire encore une fois, la nobilitas correspond au patriciat. Les chevaliers sont les plus riches des citoyens mais ils doivent à l'origine abandonner toute carrière politique pour appartenir à l'ordre équin ( en tout cas toute charge de magistrature). Il me semble, d'après mieux vieux souvenirs..., que cette situation change au Ier siècle et que les "hommes nouveaux" sont en partie issus des chevaliers ( Cicéron et Marius par exemple viennent de famille de rang équestre même s'ils ne sont pas issus de grandes familles patriciennes).

J'espère être claire ( et ne pas avoir trop honte demain quand je relirai cette explication probablement labyrinthique ...)

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" Former les hommes, ce n'est pas remplir un vase, c'est allumer un feu."
(Aristophane, poète du Ve siècle avant J.-C.)


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Message Publié : 13 Août 2012 3:44 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Votre progression est intéressante mais, comme vous l'avez dit, il ne s'agit que d'une sorte de survol de la période, celle-ci est donc forcément incomplète.

Par contre, je me permets de faire les remarques suivantes : les sujets politiques et sociaux (l'économie ne va pas subir de modifications majeures entre le IIème et le Ier siècle av. J.-C.) dont vous parlez concernent plutôt le IIème siècle av. J.-C. et non le Ier siècle. L'empire romain s'étend surtout entre le IIIème et le IIème siècle av. J.-C. ; on peut retenir deux vagues d'expansion pour le Ier siècle : celle en Orient (Sylla et Pompée par exemple) et celle en Occident (César en Gaules) ; la question africaine doit être traitée à part, tout comme, me semble-t-il, la question du leg du royaume de Pergame. Mais en définitive, les expansions territoriales romaines sont étroitement liées, comme toujours, aux intérêts de politiques intérieures. La rivalité entre les "factions", les grandes familles de l'aristocratie, va s'accroître sans arrêt : le Ier siècle voit l'éclatement des cadres institutionnels traditionnels et les guerres civiles ne font qu'animer la destruction de la République.

Concernant la question sociale, vous posez une opposition entre plèbe et aristocratie qui me semble anachronique et surtout trop influencée par la vision "populiste" que de nombreux auteurs de l'Antiquité ont relayé à une époque où le contrôle de la plèbe "légitimait" la position du Prince (on sort donc du cadre de la République). Les réformes agraires des Gracques ne sont pas motivées par une lutte en faveur de la plèbe mais plutôt entre deux bourgeoisies : l'une, toute puissante, installée à Rome mais contrôlant un territoire toujours plus vaste en Italie, l'autre, massivement non romaine (dans le sens où elle est souvent caractérisée par un sine suffragio), représentant la plupart des élites italiques (j'emploie le terme d'italique et non d'italien). En réalité, ces réformes et les luttes qui s'en suivent ne font qu'exacerber les tensions entre deux grandes tendances aristocrates, la plèbe reste une masse manipulée dont le poids est souvent surestimé. Gardez à l'esprit que la République romaine reste une oligarchie dont la diversité des élites ne fait que les confronter davantage : la République romaine n'a rien à voir avec la démocratie et la plèbe, de ce fait, n'est pas une force politique, elle n'est qu'un instrument.

La Guerre des Alliés souligne bien les conflits d'intérêts entre les deux bourgeoisies dont je parlais : le problème n'étant pas, fondamentalement, d'étendre la pleine citoyenneté romaine aux élites italiques ou même à l'ensemble du territoire italien, mais bien de conserver le contrôle des exploitations telles que les latifundia (dont vous évoquiez le rôle majeur). D'ailleurs, politiquement, la Guerre des Alliés ne va contribuer qu'à envenimer davantage les relations entre les grandes ligues familiales et engendre, entre autres, les guerres civiles. Qu'il s'agisse des Marianistes et des Syllaniens ou des Césariens et des Pompéiens, les rapports de force reposent tous sur des intérêts de l'aristocratie romaine.

Concernant la bibliographie sur le sujet, je vous propose également de vous appuyer sur des sources moins "traditionnelles" ou connues du grand public : Velleius Paterculus et Appien d'Alexandrie sont deux auteurs fondamentaux sur le sujet et très éloignés d'une vision subjective que pouvaient avoir un Cicéron ou un César. Diodore de Sicile et Plutarque sont également de bonnes références sur le sujet.

J'ajouterais quelques références fondamentales (il y en a beaucoup trop pour que la liste tienne ici lol ) en plus de celles que Livia Drusilla a mentionnées ; sur la "Guerre Sociale" :
- BADIAN E., « Tiberius Gracchus and the Beginning of Roman Revolution », ANRW I-1, Berlin ; New-York, 1972.
- BRUNT P. A., « Italian Aims at the Time of the Social War », Journal of Roman Studies 55, 1965 (repris dans The Fall of Roman Republic and Related Essays, 1988).
- Italian Manpower, 225 B.C. – A.D. 14, Oxford, 1971.
- GABBA E., « Le origini della guerra sociale e la vita politica romana dopo l’89 a. C. », Athenaeum 32, 1954 (repris dans Esercito e società nella tarda Repubblica romana, 1973).

Sur les rapports entre Romains et Italiens :
- BANDELLI G., Les « Bourgeoisies » municipales italiennes aux IIème et Ier siècles av. J.-C., Naples, 1983.
- BEARD M. & CRAWFORD M., Rome et l’Italie à la fin de la République (218-31 av. J.-C.), Toulouse, 1993.
- CELS-SAINT-HILAIRE J., La République des tribus. Du droit de vote et de ses enjeux aux débuts de la République Romaine (495-300 av. J.-C.), Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1995.
- DAVID J.-M., La Romanisation de l’Italie, Paris, Champs Flammarion, 1997.
- NICOLET C., Rome et la conquête du monde méditerranéen. I / Les structures de l’Italie romaine, PUF (Nouvelle Clio), 1979.
- SYME R., « Caesar, the Senate and Italy », PBSR XIV, 1938.
- La Révolution romaine, Paris, 1967.

Sur la magistrature romaine et ses évolutions :
- CAMPANILE E. & LETTA C., Studi sulle magistrature indigene e municipali in area italica, Pise, 1979.
- CEBEILLAC-GERVASONI M., « L’évergétisme des magistrats du Latium et de la Campanie des Gracques à Auguste à travers les témoignages épigraphiques », MEFRA n°102, 1990.
- HOLLARD V., Le Rituel du vote. Les assemblées du peuple romain, CNRS Editions, Paris, 2010.
- LURASCHI G., « Sulle leges de civitate (Iulia, Calpurnia, Plautia Papiria) », Studia e Documenta Historiae et Iuris 44, 1978.
- NICOLET C., L’Ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.). I / Définitions juridiques et structures sociales, Ecole française de Rome, Rome, 1966.
- Censeurs et Publicains. Economie et fiscalité dans la Rome antique, Fayard, Paris, 2000.
- SCUDERI R., « Significato politico delle magistrature nelle città italiche del I sec. a.C. », Athenaeum 67, 1989.
- THOMAS Y., « Origine » et « commune patrie ». Etude de droit public romain (89 av. J.-C.-21 ap. J.-C.), EFR, Rome, 1996.

Pour avoir une bonne vision globale de la situation, je recommande les chapitres de F. Hinard sur cette période dans HINARD F. (dir.), Histoire Romaine. I /Des origines à Auguste, Fayard, Paris, 2000.

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Message Publié : 13 Août 2012 12:53 
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Thucydide
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Inscription : 03 Nov 2010 15:47
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Merci pour ces réponses et pour cette bibliographie. Où est-ce que je peux trouver ce genre de livre ? Gibert pourrait faire l'affaire ?

Je me demandais si la série Rome était bien renseignée historiquement. On sent que les scénaristes prennent quelques distances pour servir l'intrigue à certains moments, en dehors de ça, est-ce que l'ambiance de la série se rapproche de l'ambiance de Rome à l'époque ? Je dis ça car je pense m'en inspirer ; elle tombe, en partie, dans la période qui m'intéresse.

J'ai bien lu les remarques que vous m'avez données. Les joutes entre les grandes familles romaines semblent être à la fois ce qui constitue un moteur et un frein à l'expansion de la ville. Arcadius quand vous dites que "le Ier siècle voit l'éclatement des cadres institutionnels traditionnels" pourriez-vous préciser un peu ? Est-ce parceque le Sénat a de moins-en-moins de pouvoir et parceque l'armée obéit de plus en plus à l'homme qu'elle soutient ?

Concernant l'opposition plèbe/aristocratie, vous me dites qu'elle est anachronique (et je vous crois) mais je ne comprends pas bien pourquoi. Vous me dites que le contrôle de la plèbe légitimait la position du Prince. J'ai l'impression de retrouver le même "thème" que lors des guerres sociales : les aristocrates cherchant à confisquer le pouvoir au détriment de la plèbe, tandis qu'un prince (ou un roi) cherche l'appui du peuple par les mesures qu'il tente de faire passer politiquement.
Les précisions concernant les Gracques sont très intéressantes et leurs actions apparaissent plus nuancées. Ca les rend plus humains par rapport à l'image de "défenseur de la plèbe" que je m'en faisais.


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Message Publié : 13 Août 2012 16:56 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Pour la biblio, on trouve énormément de références chez Gibert, d'autant plus que ce ne sont pas toujours des livres très chers (entre 25 et 30 euros pour la plupart quand ils sont d'occasion... :wink: ). Certains articles beaucoup plus précis et destinés à un public averti sont disponibles sur internet, via Persée par exemple. Je pense notamment à certains articles de C. Nicolet et de D. Briquel qui sont des références en la matière. Il vous suffit de tapper des mots clefs et de faire votre choix :
http://www.persee.fr/web/revues/home/

Je n'ai pas encore entièrement vu la série Rome mais j'en ai eu d'assez bons échos de la part d'amis qui l'ont déjà achevée. Pour ce que j'en ai vu et dans la limite de mes modestes connaissances, je dirais que le film est assez réaliste mais bien évidemment éloigné de la réalité : les costumes et décors sont assez proches de ce que devait être la Rome tardo-républicaine et les intrigues - même si elles sont parfois très romancées afin de nourrir un scénario "proche de nous", de ce qui nous parle - sont assez bien restituées. Le problème vient exclusivement du fait que, comme toute oeuvre de fiction, elle s'inscrit dans le cadre d'une création contemporaine et, de ce fait, reste influencée par la vision d'une époque, la nôtre en l'occurrence :mrgreen: Pour avoir une vision assez nette et récente de ce que pouvait être (je conserve toujours une part de doute, même si la vision me paraît être la bonne) la Rome tardo-républicaine, je vous recommande particulièrement les travaux de F. Coarelli qui participe régulièrement (et les dirige) aux fouilles sur le site de Rome. La Rome du Ier siècle av. J.-C. était particulièrement insalubre et ses ruelles (on ne trouve que très peu de rues larges, comme à Athènes et dans pratiquement toutes les grandes cités de l'époque) sont extrêmement étroites, mal famées et peu (voire pas) entretenues : il faut attendre les grands travaux entrepris par César mais concrétisés sous Auguste (avec Agrippa) pour que le visage de Rome commence à changer...

La question de l'éclatement des cadres instutionnels traditionnels a été largement traitée par les historiens - même de l'Antiquité ! - et recouvre plusieurs raisons, souvent liées d'ailleurs : vous avez parlé du problème de la fidélité de l'armée et vous avez entièrement raison dans la mesure où, surtout à partir des réformes de Marius, les armées ne sont plus ou presque plus des armées citoyennes mais "prolétaires" (le terme peut paraître excessif mais il n'a ici aucune connotation marxiste : il s'agit des proletarii, c'est-à-dire ceux de la plèbe résidant à Rome qui ne travaillent pas). La paye n'est plus prise en charge par le soldat mais par les réseaux de clientèle (on a même des exemples de services rendus au patron par la promesse de s'engager dans une armée) ; il n'y a donc plus une mais plusieurs armées "romaines" : en réalité, il faudrait plutôt parler des armées factionnelles puisqu'elles dépendent de plus en plus des grandes ligues familiales. Le Sénat a donc de ce fait un rôle minoré (mais pas pour autant minoritaire) dans la politique romaine. De plus, la professionnalisation des armées rend presque obsolète le traditionnel service militaire du citoyen (même si l'on constate néanmoins que cela n'empêche nullement les citoyens romains de l'exercer...) qui peut donc se consacrer aux activités plus économiques et politiques (du moins pour la catégorie des chevaliers). La question de l'évolution de l'armée romaine a été largement analysée, notamment par Y. Le Bohec et G. Brizzi dont je ne peux que vous recommander la lecture !

Le Ier siècle av. J.-C. qu'on appelle de plus en plus la période tardo-républicaine de Rome voit une nouvelle façon d'envisager la politique et surtout de la pratiquer ; les historiographes romains ne s'y tromperont d'ailleurs pas : lorsqu'Appien d'Alexandrie (quelques trois siècles après ces événements) mais également Velleius Paterculus (contemporain du principat de Tibère) relèvent qu'entre les tueries perpétrées pendant les tribunats des Gracques et le meurtre de M. Livius Drusus en -91, les pratiques politiques mettant en oeuvre l'assassinat et les grandes émeutes - évidemment accompagnées de massacres entre les habitants de Rome - se font monnaie courrante et transforment durablement, selon eux, les structures sociales, institutionnelles (puisque les règles changent, je pense notamment au respect de l'inviolabilité des tribuns de la plèbe ou à l'interdiction de pénétrer armé dans Rome, non pas que cela ait toujours été respecté lol mais parce que cela devenait un moyen comme un autre d'imposer sa politique) et même morales (la peur perpétuelle du pouvoir individuel - et, à mon humble avis, c'est surtout à partir de la fin du IIème siècle av. J.-C. que la fameuse "haine des rois" caractérisera l'esprit romain, mais cela n'engage que mon opinion... - et l'épouvantail des guerres civiles).

Concernant l'opposition plèbe/aristocratie, celle-ci me semble effectivement anachronique pour la période tardo-républicaine dans la mesure où la plèbe n'est pas une force politique mais une instrumentalisation puisque personne ne représente vraiment la plèbe. C'est un peu comme lorsque l'on parle naïvement des Fables de La Fontaine et qu'on le pose comme "prenant parti" pour le peuple : or, le peuple n'a, à cette époque, strictement aucune représentation politique, aucun parti ne peut donc être formé en sa faveur... Ce n'est véritablement qu'à partir de 1789 (et encore) que le peuple obtiendra un commencement de représentation et pourra donc, selon ses classes, avoir son parti. C'est pourquoi j'ai ensuite fait ma remarque sur la position du Prince : parler d'opposition plèbe/aristocratie à partir du Principat me paraît être beaucoup plus juste, historiquement, que d'en parler sous la République, et particulièrement à sa fin. Et encore, la sorte de légitimité que le Prince trouverait auprès du peuple est très discutable, du moins selon les différents empereurs. Le Prince paraît plus devoir "calmer" ou "endormir" la conscience populaire de Rome que de lui donner un véritable pourvoir ; pourvoir que la plèbe ne peut d'ailleurs avoir puisqu'elle n'est pas "représentée" : il ne faut pas oublier que lorsque l'empereur se dit princeps, il faut sous-entendre princeps senatus, le premier parmi les sénateurs, le plus glorieux, le premier à avoir le droit de parler, le meilleur de la cité mais également le premier responsable - et donc le bouc émissaire - de la concordia dans la cité.

En réalité, le Prince, dans l'idéologie du Principat instauré par Auguste, n'est pas là pour confisquer le pouvoir au peuple mais bien pour empêcher les grandes familles romaines de se déchirer entre elles : le peuple suit naturellement dans la mesure où cette sorte de frein politique évite des massacres inévitables lorsque les réseaux de clientèles s'affrontent... D'ailleurs, on le voit parfaitement à partir des Gracques (même si on en a déjà des traces dans des époques antérieures) : les Gracques représentent eux aussi les intérêts d'une grande famille romaine et leur action n'est pas là pour conforter une sorte de classe populaire bien vague et peu définie à cette époque mais plutôt pour défendre leurs réseaux de clientèles contre ceux d'autres familles. Les pouvoirs partagés déchirent entre elles les familles, c'est là le constat d'Auguste et du Sénat : il paraît donc désormais plus sage de concentrer le contrôle de ces pouvoirs dans une seule et même entitée, celle du Prince ; il n'est donc pas tout à fait le détenteur mais plutôt le représentant de ces pouvoirs.

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Message Publié : 13 Août 2012 17:15 
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Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Lucius Aemilius a écrit :
J'ai l'impression de retrouver le même "thème" que lors des guerres sociales


Attention toutefois aux expressions que vous employez à propos de l'histoire romaine : les guerres civiles n'ont rien à voir avec la "Guerre Sociale" ! On l'a appelée ainsi Bellum Sociorum - tardivement d'ailleurs, c'est la dernière en date ! - du fait qu'elle opposait Rome à ses "alliés" italiques, statut juridique qui caractérisait près de 70% de la péninsule italique au début du Ier siècle av. J.-C. : elle n'a donc pas grand chose à voir avec la société romaine qui, au contraire, partait plutôt sur un consensus, du moins jusqu'en -89. Pour éviter toute confusion due à l'aspect français du terme "social", je vous suggère d'adopter les autres dénominations qui sont d'ailleurs beaucoup plus attestées dans les sources antiques : parlez plutôt de la "Guerre italique" (Bellum Italici) ou de la "Guerre des Alliés" (expression que je choisis, en suivant la traduction de P. Goukovsky chez Appien : "ho summakikos kaloumenos polemos").

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Message Publié : 13 Août 2012 18:16 
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Thucydide
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Inscription : 03 Nov 2010 15:47
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Oui effectivement, je sous-entendais "guerres civiles", celles du début de la république avec la menace d'exil de la plèbe sur l'Aventin. Et avec votre explication, c'est sûr que ça n'y ressemble plus des masses. En fin de compte, il s'agit surtout de luttes d'influence entre les grandes familles de Rome pour conserver ou acquérir le pouvoir, pour défendre leur réseau. A la fin, Auguste en émergera.

Merci pour tous ces éclaircissements. Pour rebondir sur le paragraphe de la politique, j'ai été très surpris de voir la violence qui régissait la vie politique à ce moment-là. L'assassinat des Gracques mais aussi la conjuration de Catilina ou même la mort de César m'ont étonné. Pour faire un parallèle, je vois mal un de nos députés se faire assassiner sur les marches du parlement de nos jours.


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Message Publié : 13 Août 2012 22:31 
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Jean Froissart
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Inscription : 24 Mars 2010 16:23
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Aucun parallèle possible selon moi lol quoique...

En ce qui concerne les Gracques le terme d'assassinat est peu approprié, ce me semble : ils sont victimes de leur propre pari politique, c'est-à-dire jouer sur l'émeute populaire, comme une insurrection sans contestation du pouvoir en place. Tout ceci est très complexe et j'apprécie particulièrement les ouvrages de Roman sur le sujet. Je vous les recommande !

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Message Publié : 18 Juin 2016 17:12 
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Thucydide
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Inscription : 03 Nov 2010 15:47
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Je remonte à nouveau ce sujet pour poser quelques questions. Je suis toujours dans le cadre d'un jeu de rôle.

Est-ce que quelqu'un pourrait m'indiquer des ressources internet ou me dire dans les grandes lignes comment s'articulait la pègre, le crime durant l'époque charnière entre la république et l'empire (mettons de -100 ans à +10 par exemple) ? Pouvait-il y a avoir des esclaves "truands" ? Y avait-il des bandes organisées, des guerres de territoire (à la manière des gangs en Amérique) ? Surtout, est-ce que les chefs de bande avaient pignon sur rue ? Avaient-ils une couverture ? Dépendaient-ils d'un patron, d'une gens, étaient-ils eux mêmes des clients ?

J'ai installé google earth pour avoir accès à la reconstitution de la Rome antique. Pourtant cela ne marche pas (sous galerie, "Rome antique" n'apparaît pas). Savez-vous s'il faut télécharger cette carte ou si la dernière version ne supporte plus cette reconstitution ? Bien conscient de ne pas être sur un forum d'informatique, je tente tout de même ma chance si l'un d'entre vous utilise ce logiciel.


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Message Publié : 28 Juin 2016 22:15 
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Thucydide
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Up, une âme charitable ?


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Message Publié : 29 Juin 2016 12:39 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
Message(s) : 1659
Je pense qu'il est impossible de répondre à votre question. Il n'y a pas de sources sur la pègre.

Et d'ailleurs, la notion même de pègre me paraît anachronique compte tenu des structures sociales et politiques de Rome.

Anachronique parce qu'il n'y a pas d'Etat et que, d'une manière ou d'une autre, tout le monde s'insère dans des relations de clientèle avec des familles puissantes qui sont dans une position de pouvoir dans la république.

Il y avait du trafic tous azimuts. Ce qui comptait c'était d'être en capacité de ne pas voir son propre trafic qualifié de criminel, sinon cela finissait très très mal. En revanche, la pègre légale, noble, qui pratique l'extorsion de terres ou de fonds au détriment des petites gens ou des provinciaux, elle, n'est pas considéré comme la pègre. La seule pègre qui peut prospérer, c'est la pègre légale, qui exerce un pouvoir ou qui a le blanc seing de la république.

Le vertueux Brutus qui organise de l'extorsion de fonds en Cilicie, est-il ou non la pègre ? A-t-il recours à des hommes de main qu'on pourrait qualifier de pègre ?

Et Verres propréteur en Sicile ?

Et les sociétés de publicains qui ont pris à ferme les impôts/tributs de telle ou telle province et qui y envoient sévir leurs hommes de main pour extorquer les plus grandes sommes possible ?

La corruption, le trafic d'influence, l'extorsion de fonds, étaient consubstanciels à la société romaine en particulier et au monde antique en général. Et les seuls qui pouvaient le faire durablement étaient ceux qui bénéficiaient de la protection de puissants groupes de pouvoir. Sinon, cela s'appelle de la piraterie, de la criminalité, et ça finit très vite sur une croix, ou avec quelque autre traitement pas très raffiné qui dissuade pas mal de passer à l'acte.


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Message Publié : 30 Juin 2016 20:30 
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Thucydide
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Inscription : 03 Nov 2010 15:47
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Merci pour votre réponse. J'avais entendu cette version mais je voulais une confirmation.

Ca change mon regard sur le monde antique. On ne peut pas parler d'état de droit du coup ?
Je pensais qu'il existait une criminalité après avoir vu un des épisodes de Rome. Mais à y réfléchir, le protagoniste devient chef de bande mais sous le patronnât de Marc Antoine (si je me souviens bien), donc, s'inscrivant dans les relations de clientélisme. Et si on était victime d'un vol, ou de violence, à qui s'adressait-on ? Directement au patron ?


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Message Publié : 01 Juil 2016 7:17 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

Inscription : 17 Mars 2004 23:16
Message(s) : 1659
Je ne suis pas certain que vous m'ayez bien compris. Bien sûr il y avait aussi de la criminalité ne s'inscrivant pas dans les réseaux clientélaires, des bandes de voleurs, de kidnappeurs, en particulier dans les zones un peu excentrées, de montagne, ... etc.

Je rajoute qu'il n'y avait pas d'Etat, pas d'administration au sens où nous le concevons aujourd'hui. La cité, c'est la communauté vivante de ses citoyens respectant l'ordre social où les citoyens participent à la décision et à l'action en fonction de sa position sociale et de ses moyens. Il n'y a pas de police. La police, ce sont les hommes de main dont le magistrat en charge de telle partie de l'ordre public s'entoure.

L'idée d'un Etat de droit est complètement anachronique. C'est une notion développée à l'époque moderne.

Donc en effet, si on est victime d'un vol, soit on en prend son parti, soit on s'en charge soi-mêm en interogeant les voisins et relations et en essayant de récupérer de l'info, soit le cas échéant si on fait face à des difficultés, des blocages, ou si on découvre qu'il y a un os parce que le voleur est un gros méchant, soit on en prend son parti, soit on va voir le patron pour essayer de monter en gamme.


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