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Message Publié : 15 Mai 2005 23:12 
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Thucydide
Thucydide
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Inscription : 13 Mai 2005 22:31
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Localisation : Montpellier (Hérault)
Il y a quelques années déjà, lors d'un bref passage en DEUG d'histoire à Jussieu, j'avais proposé un exposé sur le passage du paganisme au christianisme. Je peux peut-être vous le proposer ici.
Attention : comme au départ ce texte n'était destiné qu'à être lu à haute voix, je n'ai pas toujours utilisé les guillemets lorsque j'ai cité tel ou tel historien :? Cependant, je vais essayer de retrouver la bibliographie dans une de mes vielles disquettes...
J'espère que ce texte pourra vous être utile. J'aimerais surtout que vous me disiez ce que vous en pensez :wink:


"Louis CAMPOS. Exposé du Mercredi 13 Décembre 2000






LE PASSAGE DU PAGANISME AU CHRISTIANISME




Qu’est-ce que le grand public sait, en gros, sur le passage du paganisme au christianisme ? Peu de choses, à première vue : on pense généralement que le christianisme a vaincu et s’est répandu dans toute la société parce que c’était la religion du vrai Dieu et que son expansion, de fait, allait de soi. On nous apprend à l’école que le Christ a été persécuté et exécuté par les autorités romaines, et que par la suite de nombreux chrétiens ont fini dans l’arène et sont devenus des martyrs. En bref, dans l’esprit de la plupart des gens, les chrétiens de l’Antiquité ont été des victimes qui avaient le bon droit pour eux.
Mais qu’est-ce qui s’est réellement passé ? Peut-on vraiment douter que l’Eglise, ayant accédé au pouvoir, ne se soit pas créé une histoire idéale qui lui donnait raison ?
En fait, ce que je me suis dit en préparant cet exposé, c’est que quand on fait l’histoire on ne ment pas, mais on ne dit pas forcément toute la vérité. C’est comme si à telle ou telle époque on ne sélectionnait que les vérités qui légitiment le régime en place ou la doctrine du temps. Si ce n’était pas le cas, comment se fait-il donc que tout le monde connaisse les persécutions dont les Chrétiens ont été les victimes et que personne ne parle de celles que les Païens ont subies à leur tour?




PLAN :


1 - LES ORIGINES DU CHRISTIANISME
1 - La conquête de la Judée par les Romains et le judaïsme dans l’Empire romain
2 - D’où vient le christianisme ?
3 - Le développement du christianisme

2 - LE PAGANISME ET LA SOCIETE PAIENNE
1 - Description succincte de l’état d’esprit du paganisme gréco-romain
2 - La crise du paganisme
3 - Le syncrétisme

3 - L’EXPANSION DU CHRISTIANISME DANS LE MONDE ROMAIN
1 - Ce que les Païens reprochent aux Chrétiens
2 - La conversion de Constantin, l’édit de Milan et le concile de Nicée
3 - Les persécutions Chrétiennes à l’égard des Païens et la fin du paganisme

CONCLUSION










1 - LES ORIGINES DU CHRISTIANISME :

(En ce qui concerne cette première partie, j’ai pris la plupart de mes renseignements dans l’ouvrage de Catherine Salles intitulé L’Antiquité romaine des origines à la chute de l’Empire, édité chez Larousse histoire, ouvrage que j’ai souvent cité tel quel pour gagner du temps.)
En 63 av. J.C., les Romains, qui avaient déjà conquis presque tout le monde méditerranéen, s’emparent de Jérusalem. Ils installent en Judée un roi vassal, Hérode le Grand, roi aussi fastueux que cruel. A la mort d’Hérode en 4 av. J.C., son royaume est divisé par ses fils. Mais en 6 ap. J.C., la région passe sous le contrôle direct des Romains. En 66, à la suite d’une maladresse du procurateur romain alors en charge, les habitants de Jérusalem se révoltent contre lui. De fil en aiguille c’est finalement toute la Judée qui est soulevée par une guerre d’indépendance. Les légions romaines parviennent à reconquérir progressivement le pays, et en 70 Jérusalem est prise et rasée. Même le grand Temple de la ville, jamais reconstruit, n’en réchappe pas. Point important, nous allons le voir : la fin de la « guerre des Juifs » renforce la Diaspora, ou « dispersion », du peuple juif dans l’ensemble de la Méditerranée. En 130, l’empereur Hadrien fonde la ville d’Aelia Capitolina sur le site de Jérusalem, ce qui provoque, entre 132 et 135, la dernière insurrection des habitants de la Judée. L’écrasement de cette révolte par les Romains entraîne la Diaspora définitive du peuple de Judée, une dispersion qui va durer jusqu’au XXe siècle ! (Moses Hadas, La Rome impériale ; Time-Life) Car désormais les Juifs avaient le droit d’habiter toutes les régions de l’Empire romain, sauf la Judée !
Du point de vue religieux, les Juifs disposent d’un statut particulier dans l’Empire romain. En effet, Jules César, puis Auguste ont autorisé leur religion et, pour leur permettre de la pratiquer sans problème, leur ont accordé un certain nombre d ‘exemptions. Par exemple, les synagogues sont déclarées inviolables et les Juifs sont dispensés de se présenter au tribunal les jours de Sabbat (M. Hadas). De plus, il faut savoir que les Romains n’avaient absolument aucun mal à adopter les religions étrangères, en particulier orientales, et que quelques-uns d’entre eux, parmi lesquels beaucoup de femmes, se reconvertissent au Judaïsme (C. Aziza). Parmi ces nouveaux convertis on distingue ceux qui deviennent membres à part entière du peuple élu et qui observent toutes les règles de la Loi, et les sympathisants de la religion juive, qui refusent la circoncision et l’observance de toutes les règles. Tout ceci est très important puisqu’on a pu calculer que les Juifs représentaient entre 7 et 10 pour cent de la population de l’Empire romain et que c’est dans ce milieu que s’est développé le Christianisme. On pense que ce sont en particulier les sympathisants de la religion juive, qui étaient surtout rebutés par la circoncision, qui auraient été les mieux prédisposés à adopter et répandre la religion chrétienne dans l’Empire (C. Aziza).

D’où vient le Christianisme ? Au premier siècle, on constate la présence de plusieurs groupes à l’intérieur même du judaïsme : les Sadducéens représentent l’aristocratie juive, dans l’ensemble favorable à une collaboration avec les Romains. Les Pharisiens, ou « séparés », sont les défenseurs les plus véhéments de la religion dont ils veulent préserver la pureté, et pour cette raison sont hostiles aux Romains. Les Esséniens sont regroupés dans des sectes ascétiques organisées comme les futurs ordres monastiques et vivent à l’écart du monde dans des lieux isolés comme Qumrân, au bord de la mer Morte (c’est d’eux qu’on tient les célèbres manuscrits de la mer Morte). Il y a aussi les groupes baptistes, très appréciés par les classes les plus populaires, et qui proposent le salut par le baptême ou bain sacré symbolisant la purification. On reconnaît déjà, dispersés un peu partout, les ingrédients du christianisme à venir ! On peut ajouter à notre liste les Zélotes galiléens, qui ne correspondent pas à une tendance religieuse mais qui constituent des noyaux révolutionnaires nationalistes qui luttent par la violence contre les occupants romains. De plus, il existe au Ier siècle un courant messianique très fort alors dans le judaïsme : les Juifs attendent l’arrivée d’un « Messie », descendant du roi David, ayant reçu l’onction divine (c’est ce que signifie le mot « Messie ») et qui viendra les délivrer. Nous pouvons nous apercevoir ici que ce qui deviendra le christianisme n’est à la base qu’un groupe interne au judaïsme. Mais que faut-il faire pour être considéré comme un messie ? Comme le dit Claude Aziza (professeur d’histoire romaine à Paris III) dans ses cours, pour être considéré comme un messie il faut tout simplement aller sur la place publique, monter sur une chaise et crier à qui veut bien l’entendre que tout va mal mais que des temps nouveaux vont arriver ! Alors dans un tel contexte, comment peut-on expliquer que pour certaines personnes un certain Jésus, fils de Marie, ait pu être considéré tout particulièrement comme étant Le Messie ? Pour Claude Aziza, Jésus est tout simplement né au bon moment, c’est à dire à une époque où on avait besoin de lui. S’il était né un siècle plus tôt ou un siècle plus tard, il ne serait jamais devenu Le Messie !
Par ailleurs, pour en revenir aux manuscrits de la Mer Morte (datant du IIe siècle av. J.C.), ils montrent que les Esséniens révéraient bien un messie à venir. Aucun d’eux ne cite Jésus ; toutefois, le caractère d’un personnage essénien assez énigmatique, le Maître de Justice, évoque et préfigure celui de Jésus. Ces textes montrent aussi que les distances (pour ne pas dire l’aversion forcenée) que les Esséniens avaient prises à l’égard du clergé de Jérusalem correspondent à celles que Jésus exprime, selon les Evangiles, dans ses invectives à l’égard du même clergé. Ceci se comprend à la lumière du fait historique suivant : aux alentours de 160 av. J.C ., un grand prêtre particulièrement pieux et intransigeant, Yosé ben Yoéser, fut crucifié par le haut-clergé de Jérusalem qu’il défiait : ce personnage semble bien être le Maître de Justice mentionné à maintes reprises dans les manuscrits, figure dominante et pré-christique de la tradition essénienne. De plus, les manuscrits de la Mer Morte contiennent certains germes de l’enseignement de Jésus : avènement imminent de la fin des temps, dépouillement matériel de l’individu, indispensable à son salut, respect impérieux de la Loi mosaïque et nécessité pour le croyant d’exprimer sa foi, non par les rites, mais par les œuvres. L’un des points importants est la pratique du baptême « de rachat » spécifique des Esséniens avant la naissance du christianisme. Le fait que Jean le Baptiste (dont la description selon les Evangiles correspond de près à celle d’un Essénien) représente pour certains une preuve historique que Jésus fut admis au noviciat essénien (qui durait deux ans). De même, le conseil des Douze qui régissait la vie au monastère de Qumrân évoque également les douze apôtres dont Jésus s’était entouré. Néanmoins, le rejet par Jésus du rigorisme qui caractérisait les Esséniens aussi bien que les Pharisiens indique qu’il se serait par la suite détaché de la communauté essénienne. Cependant, on peut considérer que les manuscrits de la Mer Morte ne sont pas juifs au sens strict, mais judéo-chrétiens, et ce un siècle et demi au moins avant la naissance de Jésus (en l’an 7 avant notre ère) ! (Gérard Messadié ; Science et Vie N° 933, Juin 1995).

Le christianisme se présente d’abord comme un mouvement interne au judaïsme, dont la première manifestation a lieu à Jérusalem le jour de la fête juive de Pentecôte en 30 ou 33 apr. J.C. Le chef de ce groupe s’appelle Simon-Pierre. Avec ses compagnons, il dispense un enseignement fondé sur la personnalité d’un Juif nommé Jésus, originaire de la ville galiléenne de Nazareth et crucifié par les Romains lors de la fête de la Pâque précédente. Pour les Romains, Jésus est considéré comme un dangereux agitateur qu’ils assimilent à un zélote. Pour les Sadducéens et les Pharisiens, Jésus est un faux prophète provocateur, qui a pris ouvertement à contre-pied l’enseignement juif traditionnel en donnant de nouvelles interprétations de la Loi. Les premières communautés chrétiennes s’installent à Jérusalem. Leurs rites sont originaux mais non contraires aux coutumes juives. Vers 48-49, la communauté chrétienne de Judée obtient un accueil favorable du peuple, s’ouvre aux Juifs de la Diaspora, en particulier à ceux d’Antioche dont la langue courante est le grec. Entre 50 et 58, le christianisme reçoit une impulsion nouvelle grâce à l’action d’un homme entreprenant et énergique, Paul. Celui-ci entraîne ses compagnons dans une série de voyages missionnaires qui ont pour cadre l’Asie Mineure, la Grèce et enfin probablement l’Italie. De plus, Paul ouvre une voie décisive au christianisme en le rendant accessible aux non-Juifs, en faisant abandonner tout particulièrement la pratique de la circoncision, remplacée par le baptême. Après la prise de Jérusalem en 70, le judaïsme se reconstitue sous l’impulsion des Pharisiens. Ceux-ci prennent la décision de rejeter hors du judaïsme les Chrétiens, puisque ces derniers ne respectent plus les règles fondamentales de cette religion.
Catherine Salles considère trois étapes dans la constitution du christianisme primitif : les Chrétiens sont d’abord exclusivement des Juifs, puis en un second temps des Juifs et des non-Juifs, et en un troisième temps des non-Juifs uniquement. A la fin du Ier siècle, les Chrétiens sont détachés à la fois du judaïsme et du paganisme. Ils constituent, selon leur propre expression, un « troisième peuple ». Jusqu’à sa rupture avec le judaïsme, le christianisme bénéficie du statut de religion licite propre à celui-là, mais ensuite il perd cet avantage et devient pour les Romains une superstitio, c’est à dire une pratique interdite par les autorités. De plus, il devient insupportable pour l’Etat romain à partir du moment où les Chrétiens ne se recrutent plus uniquement parmi les Juifs, mais parmi tous les peuples de l’Empire, ce qui constitue un danger évident de noyautage de l’univers religieux romain. D’où la méfiance, puis les persécutions qui dureront un certain temps.



2 - LE PAGANISME ET LA SOCIETE PAIENNE :

Que signifie le mot « païen » ? En latin, paganus désigne un paysan. On a longtemps pensé que c’était dans ce sens que ce terme était utilisé par les Chrétiens pour désigner les tenants de la religion traditionnelle. Dans ce cas-là, l’appellation aurait été péjorative. Pourtant, et ce tout au moins jusqu’à l’interdiction définitive du paganisme par l’Empereur Théodose en 391, les paysans n’étaient pas les seuls à pratiquer la religion traditionnelle. Pierre Chuvin, dans son ouvrage intitulé Chronique des derniers païens (éd. Les Belles Lettres), pense avoir trouvé la signification exacte du terme paganus dans l’Antiquité tardive. Il donne l’exemple d’un père qui, dans l’épitaphe de sa fille, la loue d’avoir été « fidèle parmi les fidèles, pagana parmi les alieni ». Ce père voulait dire par là que sa fille était restée fidèle à ses origines dans un monde qui ne l’était pas resté forcément. Les pagani /païens sont donc tout simplement les « gens de l’endroit », en ville ou à la campagne, qui gardent leurs coutumes locales, alors que les alieni, « les gens d’ailleurs », sont de plus en plus chrétiens. Le terme « païen » n’est d’ailleurs utilisé qu’en latin, c’est-à-dire uniquement dans la partie occidentale de l’Empire romain. Dans la partie orientale, où l’on parle le grec, les fidèles de la religion traditionnelle sont appelés « les Hellènes », c’est-à-dire tout simplement « les Grecs ». Les Païens désignent leur croyance par le terme religio (« la religion »), provenant du verbe latin religare, « lier », la religion étant ce qui lie les hommes aux dieux. Malheureusement, « païen » est devenu, depuis la prise du pouvoir par les Chrétiens, un terme générique désignant tout ce qui n’est pas judéo-chrétien, d’où la difficulté à laquelle on est confronté lorsqu’on veut parler du paganisme gréco-romain. Quel terme utiliser ? La religion antique ? La religion traditionnelle ? Le paganisme ?
En quoi consiste la religion traditionnelle, dite « païenne » ? Sans entrer dans les détails du vaste panthéon gréco-romain, disons tout simplement que la plus grande erreur aujourd’hui serait de réduire le paganisme à la seule Mythologie. La religion antique est un vaste ensemble de traditions et de pratiques d’origines différentes qui, seules, lui donnent une raison de vivre. En effet, à travers toute l’Antiquité, le « paganisme » est une mosaïque de religions liées à l’ordre établi : être pieux, c’est « croire aux dieux de la cité » (P. Chuvin). De plus, il serait faux de penser que les Païens prennent les récits de la Mythologie au pied de la lettre. Bien au contraire, comme en témoignent les textes de l’empereur Julien ou de Saloustios (IVe siècle), ils privilégient la lecture allégorique qui, seule, donne un sens aux mythes. Saloustios, par exemple, dans son ouvrage intitulé Des Dieux et du monde, dit ceci : « […] puisque tous les êtres mettent leurs joies en qui leur ressemble et se détournent de qui leur est dissemblable, il fallait aussi que les enseignements relatifs aux Dieux ressemblassent à ceux-ci, afin qu’ils fussent dignes de leur essence et rendissent les Dieux favorables à ceux qui les dispensent ; c’est ce que l’emploi des mythes permettait seul d’obtenir ». En bref, les mythes sont la seule chose que les hommes peuvent comprendre en ce qui concerne les Dieux. De plus, les mythes servent aussi à crypter le message des Dieux : « […] les mythes disent à tous que les Dieux existent, mais ils ne disent leur nature et leur vertu qu’à ceux qui sont capables de les connaître »..
Par ailleurs, la religion antique n’est pas réductrice et a même les idées larges. Les Grecs et les Romains ne considèrent pas les dieux des autres peuples comme des dieux étrangers. Ils pensent sincèrement que les étrangers croient aux mêmes dieux que les leurs, mais qu’ils leur attribuent des noms différents. Ainsi, lorsque Hérodote, au Ve siècle av. J.C., rapporte que le roi des Lydiens acclame sa divinité principale, pour lui, Hérodote, ce n’est rien d’autre que Zeus lui-même que ce roi oriental acclame, tout en donnant le nom local en tant qu’épithète. Par ailleurs, les Romains adoptent facilement le culte des dieux étrangers. Ainsi, au Ier siècle, on voit proliférer en Europe les cultes égyptiens d’Isis et Osiris ou de Sérapis, puis, plus tard, le culte solaire du dieu perse Mithra. On a découvert, par exemple, dans un petit village situé dans l’Aude une statue d’Isis. Les Païens ne sont donc pas des gens bornés. La rapide progression, parmi le peuple, du christianisme, autre religion orientale, en est aussi une preuve.
Mais pourquoi des milliers de gens ont ainsi adopté des cultes étrangers comme si les leurs ne leur apportaient plus grand chose ? Tout simplement parce que dès la période de la Grèce postclassique, avant même, donc, l’instauration de l’Empire romain par Auguste (27 av. J.C.), la religion traditionnelle est en crise. Après la mort d’Alexandre le Grand, des centaines de sectes ont commencé à proliférer dans toutes les régions hellénisées. Les philosophes s’en sont mêlés à leur tour, tel Epicure, pour qui les Dieux n’existent pas. Il n’est d’ailleurs pas le seul à son époque (IIIe siècle av. J.C.) à penser cela. Par conséquent, l’athéisme se répand à Rome dans les derniers temps de la République et les premiers siècles de l’Empire (Ier s. av. J.C./ IIe s. ap. J.C.). On a retrouvé, par exemple, parmi les graffiti de Pompéi, l’inscription « Omnes nego Deos », « je nie tous les Dieux » (E. Famerie, A. Bodson, M. Dubuisson, Méthode de langue latine ; Nathan Université). On pourrait également citer Lucien de Samosate, cet auteur pamphlétaire du IIe siècle, qui se moquait de toutes les croyances et s’était même donné comme but de combattre les sectes de son temps. Cet athéisme se maintient plus ou moins dans les esprits, principalement chez les intellectuels, jusqu’à la grande crise économique qui frappe le IIIe siècle. Après une période faste et tranquille, cette crise du IIIe siècle entraîne la misère ainsi que de nombreuses épidémies, notamment la peste, sur la quasi-totalité de l’Empire romain. Or, dans les moments de crise, les croyances religieuses prolifèrent car les gens ont besoin de s’accrocher à quelque chose de solide (d’après René Martin, un autre professeur d’Histoire romaine à Paris III, aujourd’hui en retraite). Mais comme nous l’avons vu, à ce moment-là la religion traditionnelle est elle-même en crise depuis près de cinq siècles, ce qui pousse les gens à se tourner plutôt vers les religions orientales, comme le christianisme ou le culte de Mithra, plus actuelles, et qui promettent le salut de l’âme après la mort. Cependant, le paganisme traditionnel ne fléchit pas pour autant, comme on va le voir tout de suite.

Tout d’abord, le paganisme est en crise parce qu’il ne correspond plus à la société du temps.
Voici ce que j’en ai déduit personnellement : tous les peuples de la haute Antiquité, y compris les Grecs, les Latins et les Celtes n’ont, chacun, de gouvernement commun mais sont divisés en cités dont chacune est gouvernée par un roi ou par un seigneur. Ainsi, la Grèce antique ne forme pas une nation unie mais une multitude de petites cités-états indépendantes les unes des autres. Cependant, toutes se reconnaissent dans la même culture et parlent plus ou moins la même langue. Pourtant les clivages politiques sont bien là. Peut-être donc, chacun trouve-t-il normal qu’il en soit de même dans la religion et qu’il n’est pas contradictoire que plusieurs Dieux se partagent la charge de régir le monde. Puis, à partir d’Alexandre le Grand, les cités-états perdent leur indépendance face au royaume instauré par Alexandre. Puis c’est au tour de l’Empire romain d’étendre son pouvoir sur toute l’Europe, l’Afrique du nord et une partie de l’Asie. Toutes ces régions ne sont plus gouvernées que par un seul homme : l’empereur. On peut citer Epictète, qui dit : « Si l’intelligence nous est commune, la raison qui fait de nous des êtres qui raisonnent, nous est commune aussi. Si cela est, la loi aussi nous est également commune. Si cela est, nous sommes concitoyens. Si cela est, nous participons à une certaine administration commune. Si cela est, le monde entier est comme une cité ». La pluralité des pouvoirs devient donc une conception de plus en plus étrangère. Au bout du compte, il devient de plus en plus difficile à un habitant de cet immense empire de ne pas penser que le pouvoir céleste est lui aussi régit par un seul dieu, puisque tout le monde connu par les Européens d’alors n’est plus gouverné que par un seul homme.

C’est ainsi qu’apparaît dans le paganisme une conception proche du monothéisme, celle du syncrétisme. Tout comme les institutions de l’Etat, qui ne sont plus que les outils d’un seul homme, l’empereur, les idées religieuses du temps veulent que tous les Dieux ne soient que les diverses émanations d’un seul, le Dieu suprême, lointain et inapprochable. Cette notion n’est pas entièrement nouvelle, puisqu’elle est déjà présente chez Eschyle au Ve siècle av. J.C., mais ce n’est qu’à l’époque romaine qu’elle commence à s’imposer à toute la société. Le syncrétisme est surtout véhiculé par un certain Apollonius de Tyane à partir du Ier siècle. A la même époque, on retrouve cette conception chez le philosophe Epictète, que nous venons de citer : « Toutes les choses sont entrelacées les unes avec les autres ; leur enchaînement est saint, et presque aucune n’est étrangère à l’autre, car elles ont été ordonnées ensemble et contribuent ensemble à l’ordonnance du même monde. Il n’y a, en effet, qu’un seul Dieu répandu partout, qu’une seule substance, une seule loi, une seule raison commune à tous les êtres intelligents ; une aussi est la vérité, puisque la perfection pour les êtres de même nature et participants de la même raison, est une aussi ». Pourtant, ailleurs, Epictète reste polythéiste. Cette idée de syncrétisme se développe au fur et à mesure que se succèdent sur le trône romain les empereurs syriens et arabes, qui amènent avec eux les cultes orientaux du Soleil. Je vais suivre à présent Lucien Jerphagnon, qui dans son ouvrage Histoire de la Rome antique, les armes et les mots (éd. Tallandier), précise ce qui suit. C’est surtout à partir du règne d’Aurélien, au IIIe siècle, que le Dieu suprême est assimilé à Sol invictus, le Soleil-dieu qui ne connaît pas de déclin, puisqu’il repart pour une nouvelle course chaque 25 Décembre. Sol invictus englobe donc, de façon syncrétique tous les cultes solaires, et va connaître un prodigieux développement, récupéré pour la politique unitaire de l’Empire. Le culte solaire apparaît en effet comme le facteur d’unité religieuse et morale dont l’Empire a besoin. Car cette unité universelle à laquelle chaque habitant de l’Empire, qu’il soit romain de souche, syrien, illyrien, égyptien ou autre, peut reconnaître ses propres dieux : Apollon, Hélios, Mithra, Elagabal, etc. C’est le dieu solaire de toujours et de partout, dont l’astre qui est aux cieux est la manifestation sensible. En effet, ce qu’ils adorent ce n’est pas la simple matérialité du soleil empirique -Jerphagnon insiste sur le fait que les gens de ce temps ne sont pas plus stupides que nous- ; ce qu’ils adorent c’est le Soleil dans sa dimension métaphysique, une dimension représentée par une tradition vieille de plus de dix siècles et dont nous n’avons plus la moindre idée aujourd’hui ! Au Ve siècle encore, Macrobe confirme et argumente le syncrétisme dans son ouvrage intitulé Les Saturnales. Les titres des chapitres 17 à 23 du premier livre sont à eux seuls assez explicites. Les voici : « Toute la théologie se ramène au culte du Soleil. Les différents noms d’Apollon prouvent qu’il se confond avec le soleil ». « Le dieu appelé Liber (Dionysos/Bacchus) se confond aussi avec le Soleil ». « Que Mars aussi et Mercure sont la même divinité que le Soleil ». « Esculape, Hercule, Salus, ainsi que Sérapis ne sont d’autres dieux que le Soleil ». « Qu’Adonis, Attis, Osiris et Horus, ne sont d’autres dieux que le Soleil ». « Némésis, Pan, appelé aussi Inuus, et Saturne se confondent avec le Soleil ». « Jupiter lui-même et l’Adad des Assyriens se confondent avec le Soleil. D’ailleurs, le culte de tous les dieux se confond avec le culte du Soleil, comme le démontrent l’autorité des théologiens et celle d’Orphée ».
Ainsi , nous voyons que tout en continuant à croire en plusieurs dieux, les païens sont devenus des monothéistes presque parfaits ! C’est ce que l’on appelle l’ « hénothéisme ». Voici l’extrait d’une lettre que Maxime de Madaure écrit à saint Augustin, au IVe ou au début du Ve siècle, et qui explicite à elle seule la conception du monde que se font les païens de l’Antiquité tardive : « Qu’il n’existe qu’un Dieu unique et suprême, sans commencement et sans descendance, quel homme est assez grossier, assez stupide pour en douter ? C’est lui dont nous invoquons, sous des vocables divers, les énergies répandues dans le monde, car nous ignorons son nom véritable, et en adressant nos supplications séparément à ses divers membres, nous entendons l’honorer tout entier. […] Grâce à l’intermédiaire des dieux subalternes, ce Père commun et d’eux-mêmes et de tous les mortels est honoré de mille manières par les humains, qui restent ainsi d’accord dans leur désaccord » (cité par Marcel Le Glay dans La Religion romaine, Armand Colin).
Qu’est-ce qui distingue encore à cette époque le paganisme et le christianisme ? Plus grand chose, en fait, mis à part que les païens pensent que l’on ne peut accéder au Dieu suprême qu’à travers les divinités subalternes alors que pour les chrétiens toutes ces divinités ne sont que des démons qu’il faut dénigrer. Et aussi le fait que pour les chrétiens Dieu a envoyé un fils sur terre pour délivrer les hommes de leurs pêchés, alors que les païens insistent sur le fait que le Dieu suprême ne peut avoir de descendance. Malgré ces quelques contradictions, on peut s’apercevoir que les deux religions sont devenues en fait assez proches l’une de l’autre et que, dès lors, le passage du paganisme au christianisme est extrêmement facilité, puisque les deux croyances ont de plus en plus la même vision de la divinité et du monde. C’est ainsi que durant le règne des empereurs chrétiens (après Constantin, Julien excepté) les chefs de l’Eglise vont assimiler les croyances, les pratiques et les fêtes païennes pour favoriser la conversion de ceux qui hésitent encore à embrasser la nouvelle foi. En effet, il n’est pas si facile de reconvertir tout un peuple attaché aux cultes païens et aux valeurs ancestrales. Le christianisme doit donc s’adapter en intégrant dans son culte les éléments païens. Ainsi, les fêtes quotidiennes qui étaient vouées à chaque dieu sont remplacées par les fêtes des Saints. René Martin écrit dans son ouvrage intitulé Approche de la littérature latine tardive et protomédiévale (coll. 128 ; Nathan université) : « Les cérémonies et les processions fastueuses, calquées sur celles du paganisme, se multiplient. Le Culte des Saints et des martyrs se substitue à celui des dieux et déesses. La Vierge Marie joue le rôle d’Isis ou de Cybèle, et Saint Michel terrassant le dragon celui d’Apollon vainqueur de Python. Il n’est pas jusqu’à la plus grande fête païenne, l’anniversaire de la naissance du Soleil, fixée le 25 décembre, qui ne soit récupérée pour devenir le « dies natalis » (d’où « Noël ») de Jésus-Christ ». Cette pratique d’adaptation est ancienne car, nous l’avons vu, saint Paul avait déjà remplacé la circoncision par le baptême de façon à ce que le christianisme soit plus facilement consenti par les Païens désirant se convertir.
Le Christianisme est donc une religion hybride, une sorte de mélange entre le judaïsme originel et le paganisme romain. Il a donc assimilé en son sein les deux croyances, juive et païenne. Quelle est la question que nous pouvons nous poser ? S’il y a eu assimilation, le dieu chrétien est-il le dieu de l’Ancien Testament ou le dieu syncrétique des Païens ? Si les Juifs croient en un dieu unique, peut-on dire que le christianisme est une religion réellement monothéiste ? Pour répondre à cette question, nous pouvons nous pencher sur la prière d’un sénateur païen, Firmicus Maternus, qui dans la préface du cinquième livre de la Mathésis (un ouvrage sur l’astrologie écrit autour de 336) invoque le Dieu suprême, inaccessible et inconnaissable, en ces termes : « […] Toi, père et mère ensemble de toutes choses, toi qui, par une seule et même alliance, es pour toi tout à la fois père et fils, nous tendons vers toi nos mains suppliantes, nous t’adorons par l’hommage craintif de nos prières solennelles […] » (cité par M. Le Glay). Ainsi ce païen, en tant qu’hénothéiste, croit que Dieu peut être « tout à la fois père et fils ». Or on peut remarquer que le dieu chrétien, tout en étant unique, est composé de trois personnes : le Père, le Fils et le saint Esprit. Cette idée ne vient pas du judaïsme ! Ainsi le Dieu du christianisme, bien qu’ayant été assimilé au Dieu d’Israël, serait en fait le Dieu syncrétique du paganisme romain, dont la conception n’a jamais abouti à un monothéisme parfait ! Le christianisme, donc, et tout particulièrement le catholicisme, assurerait de fait la survie du paganisme et de la conception païenne de Dieu. Et si on voulait aller plus loin, on pourrait même dire que le christianisme n’est autre chose que le paganisme lui-même sous sa forme la plus évoluée ! La plus évoluée, parce que le passage de l’hénothéisme au monothéisme va dans la logique de l’évolution qui a mené le polythéisme à l’hénothéisme, comme nous l’avons vu. De plus, comme les Chrétiens sont de farouches prosélytes (nous allons le voir dans la troisième partie), le christianisme apparaît comme étant le seul aboutissement possible du paganisme romain en crise. Remarque : plus tard, à la Renaissance, les Protestants vont rapprocher le christianisme au judaïsme en le dépouillant de presque toute pratique et de toute conception païenne ; en laissant de côté, par exemple le culte des saints, qui rappelle bien évidemment le système pluriel des dieux antiques. De plus, chez les Protestants le Fils n’est pas tout à fait l’égal du Père.
En suite, pour plus de précisions, on peut rappeler que le sénateur Firmicus Maternus, que nous avons cité en dernier lieu, est molesté par les premières lois anti-païennes proclamées par les fils et successeurs de Constantin (en 341). Dix ans après la Mathésis, il se rétracte, fait mine de se convertir au christianisme et écrit un ouvrage intitulé L’Erreur des religions païennes (De Errore profanarum religionum), un livre aussi virulent qu’insincère. Car comme le précise Robert Turcan dans la préface de sa traduction du De Errore, Firmicus Maternus fait partie de ceux qui « deviennent terroristes parce qu’ils sont terrorisés ».



3 - L’EXPANSION DU CHRISTIANISME DANS LE MONDE ROMAIN :

Nous avons vu que les Romains acceptaient volontiers les religions étrangères. Pourquoi donc ont-ils persécuté le christianisme? Les Chrétiens ont deux défauts : premièrement ils considèrent les Dieux du paganisme comme des forces démoniaques les détournant de la vraie croyance, et par conséquent, refusent de leur pratiquer les sacrifices prévus par les coutumes ancestrales. L’Ancien Testament interdit en effet de sacrifier aux idoles. Mais ce refus les met en marge de toute une société antique qui ne se reconnaît qu’à travers la pratique religieuse. Les Chrétiens sont alors perçus comme des gens solitaires, renfermés sur eux-même et excluant les autres. Leur politique est tout de suite vue comme étant une subversion. Et c’est pour cette raison qu’en 64, lors de la première persécution, ils sont convaincus de « haine pour le genre humain » (Tacite, Annales, XV, 44). En 112, Pline, gouverneur de Bithynie, écrit à l’empereur Trajan pour lui faire part de son ignorance concernant ce qu’on reproche aux Chrétiens et de quelle façon on doit les punir, et précise qu’il n’a trouvé chez eux qu’ « une superstition absurde et extravagante, accompagnée d’une parfaite innocence de mœurs » (Louis Rougier, dans Celse contre les Païens ; Copernic). Le deuxième défaut des Chrétiens est lié au fait qu’ils se recrutent parmi tous les peuples, proposant ainsi une certaine unité qui va à l’encontre de celle que veut établir l’Etat romain.
Le christianisme est donc à cette époque-là une secte (du latin secta, de sequi, suivre), dans le sens où ses disciples forment un ensemble de personnes professant une même doctrine qui les exclue de la société. Pourtant, ils ne forment qu’une secte religieuse parmi toutes celles qui véhiculent dans le vaste Empire romain. Pourquoi d’ailleurs sont-elles si nombreuses ? Comme le souligne Lucien Jerphagnon, les formes religieuses représentent la seule opposition politique au pouvoir central. En effet, l’Empire étant gouverné par un seul homme, une opposition politique est inconcevable sauf si elle est uniquement religieuse, la croyance légitimant alors toute opinion. Dans l’Empire, tous les mouvements religieux, donc politiques, sont tolérés, sauf quand ils se révèlent être trop dangereux pour l’Etat et l’ordre. Les chrétiens, en refusant de sacrifier aux dieux païens, attirent sur eux les haines et sont victimes de persécutions.
Grâce à l’évangélisation des missionnaires chrétiens, les communautés de la nouvelle religion se multiplient dans l’ensemble de l’Empire romain. Le IIIe siècle sera celui des persécutions, et même des seules persécutions générales que le christianisme ait connues, lors de la grande crise qui ébranle l’Empire romain : en 250, l’Empire est menacé aux frontières par les envahisseurs barbares. L’empereur Dèce publie un édit ordonnant à tous les citoyens de sacrifier aux dieux de l’Empire et de présenter aux autorités un certificat attestant qu’ils ont participé aux cultes publics (car comme le rappelle R. Martin, les athées sont devenus rares en ce IIIe siècle !). En cette époque de crise, les autorités pensent, cette fois-ci, que les chrétiens font preuve d’impiété à l’égard des dieux traditionnels qu’ils refusent d’adorer, ce qui peut entraîner la vengeance divine contre l’ensemble de l’Empire. Mais au total, il y a eu très peu de persécutions (P. Chuvin). Elles n’ont en tous cas jamais été systématiques (R. Martin), surtout que certains empereurs de cette période, tels Philippe l’Arabe, sont favorables aux Chrétiens.

Le premier empereur romain à se convertir au christianisme est Constantin, mort en 337. L’embarras c’est que l’histoire du règne de Constantin pose un problème de sources (selon Paul Lemerle dans Histoire de Byzance ; Que sais-je ? ; P.U.F.). Et c’est là que nous entrons dans le vif du sujet de ce TD, à savoir quelle est la part du vrai et du faux dans l’histoire. Le document le plus important en ce qui concerne Constantin et le christianisme est une Vie de Constantin publiée sous le nom de l’écrivain chrétien Eusèbe de Césarée (qui vécut environ de 265 à 340). Mais Eusèbe fait intervenir, dans son récit plus de merveilleux qu’il n’était nécessaire ! Sans compter que cette Vie, telle qu’elle nous est parvenue, comporte de très vastes parties qui sont certainement d’une époque plus tardive ! Que contient ce document ? Paul Lemerle prend un exemple : celui de la vision fameuse qui aurait précédé la bataille contre Maxence (l’un de ses rivaux) au pont Milvius (en 312). Le récit traditionnel, celui que l’Eglise a officialisé, veut qu’une croix lumineuse soit apparue dans le ciel, accompagnée des mots « par ce signe tu vaincras », et que Constantin ait alors donné l’ordre à ses soldats de reproduire ce signe sur leurs boucliers. Ce récit est bien présent dans la Vie, mais ne se trouve dans aucun autre texte contemporain de Constantin, et fait plus grave, est ignoré par les Pères de l’Eglise jusqu’à saint Augustin compris. Tout ce qui concernerait cette vision est donc apocryphe. Si on se base sur les textes contemporains, les panégyriques officiels, les documents archéologiques et même les autres écrits ecclésiastiques, on s’aperçoit que Constantin a bien eut une vision, en 310, mais que cette vision était païenne ! Nous la connaissons par un panégyrique prononcé devant Constantin à Trèves en 310 : dans un sanctuaire gaulois, Apollon est apparu à Constantin, accompagné de la Victoire, l’un et l’autre lui présentant des couronnes de laurier où était inscrit le signe trente (trois fois X), présage d’un règne d’une durée exceptionnelle (P. Chuvin). Ce serait en fait des X et non des croix que Constantin aurait fait graver sur les boucliers de ses soldats. Certains, comme Lucien Jerphagnon, parlent d’un X traversé d’un I, qui aurait été interprété comme un X traversé d’un P, les deux premières lettres grecques de CHRISTOS, le Christ. Paul Lemerle ajoute que Constantin était un adepte du culte solaire et que s’il n ‘était pas déjà un adepte fervent, il le devint et le resta longtemps, comme nous le témoignent les monnaies, en particulier celles qui montrent sur la même pièce les effigies accolées de Constantin et du dieu solaire. Selon Lucien Jerphagnon, Constantin, qui n’avait pas beaucoup de culture ni de préoccupations métaphysiques, était engagé à cent pour cent dans les croyances de son siècle, un siècle où déclinaient inévitablement les vieilles divinités du panthéon romain. C’est la grande époque de Mithra et du christianisme, deux religions de plus en plus répandues dans l’Empire romain. Or, pour cet esprit qui n’avait que peu de temps à consacrer à la réflexion, les fidèles du Christ et ceux de Sol invictus possédaient en commun bien des intuitions. Au fond, ce dieu suprême assisté du Soleil-roi, et ce dieu Père assisté de son fils Jésus-Christ ne se distinguaient pas au premier coup d’œil. Les Chrétiens eux-même ne se gênaient pas pour représenter le Christ sous les traits d’Apollon-Hélios conduisant son char. Et la liturgie des Chrétiens chantait elle aussi Christus « lumière du monde », « soleil de justice », « soleil qui ne connaît pas de déclin », etc. De même, Jésus et les douze apôtres rappelaient le Soleil accompagné des douze mois de l’année (R. Martin). Surtout, il fallait croire que cette religion avait quelque chose d’attirant, puisqu’en dépit des dangers naguère encourus (à l’époque des persécutions), la plupart des fidèles avait maintenu intacte, dans les supplices et dans la mort, l’espérance en une vie éternelle. De plus, le christianisme était bien la seule force, à l’époque, capable d’unir des gens aussi différents comme les paysans, les fonctionnaires, les prolétaires, les gens aisés, les esclaves, les soldats, etc. Car nous l’avons vu, la religion traditionnelle était fatiguée ! Constantin aura-t-il superposé les différentes images, identifié à ce Christ la divinité unique à laquelle se référait le syncrétisme de l’époque ? C’est ici qu’on voit clairement la confusion qui était faite de plus en plus souvent entre le paganisme et le christianisme, les deux religions tendant à s’assimiler, comme nous l’avons vu tout à l’heure. Pour Jerphagnon, la conversion de Constantin au christianisme fut sans doute aussi sincère que confuse !
Quoi qu’il en soit, en 313 Constantin et Licinius, son collègue pour l’Orient, rédigent l’édit de Milan, un texte qui autorise officiellement , entre autres, le culte chrétien. En voici quelques extraits : « Nous avons résolu d’accorder aux Chrétiens et à tous les autres la liberté de pratiquer la religion qu’ils préfèrent, afin que la divinité, qui réside dans le ciel, soit propice et favorable aussi bien à nous qu’à tous ceux qui vivent sous notre domination. Il nous a paru que c’était un système très bon et très raisonnable de ne refuser à aucun de nos sujets, qu’il soit chrétien ou qu’il appartienne à un autre culte, le droit de suivre la religion qui lui convient le mieux […] Nous laissons aux Chrétiens la liberté la plus complète, la plus absolue de pratiquer leur culte ; et, puisque nous l’accordons aux Chrétiens, […] les autres doivent posséder le même droit. Il est digne du siècle où nous vivons, il convient à la tranquillité dont jouit l’Empire, que la liberté soit complète pour tous nos sujets d’adorer le dieu qu’ils ont choisi, et qu’aucun culte ne soit privé des honneurs qui lui sont dus » (cité par P. Chuvin).
A partir de là, le monde romain se couvre d’églises, et au sein de la communauté chrétienne grandissante, se développe une activité théologique intense. Mais voilà que divers groupes se forment au sein même du christianisme. Ainsi les Gnostiques qui, au lieu de voir dans le Nouveau Testament le prolongement et l’accomplissement de l’Ancien, ils les opposent l’un à l’autre, et affirment que le « Dieu de colère » de l’Ancien Testament n’a rien à voir avec le « Dieu d’amour » du Nouveau ; le premier est selon eux le créateur du monde visible (le « Démiurge »), mais ce monde est mauvais, comme est mauvaise la matière qui le constitue, et le Salut, pour l’homme, ne peut venir que d’un refus radical du monde et de tout ce qui est charnel, notamment la procréation (René Martin). Il y a aussi l’Arianisme, une doctrine née peut-être dès le IIIe siècle en Syrie, développée en tous cas au IVe par Arius, prêtre d’Alexandrie. Cette doctrine n’admet pas que les trois personnes de la Trinité soient égales : elle soutient que si le Père, ou Dieu, est bien éternel et non engendré, le Fils est créature du Père ; elle nie donc la consubstantialité, et par conséquent, la divinité du Christ (Paul Lemerle). Les Donatistes, quand à eux, semblent n’être, d’après Bertrand Lançon (Constantin, Que sais-je ?; P.U.F.), qu’un particularisme africain, fait de fidélité aux traditions de rigueur de l’Eglise africaine, naguère incarnées par Tertullien et Cyprien. Il y a aussi les Sibylistes, les Simoniens, les Héléniens, les Marcelliniens, les Carpocratiens, les Marcionistes, etc. Autant de sectes chrétiennes qui chacune prétend détenir la vérité et déclare l’autre « hétérodoxe » ! (L. Rougier). A cela on peut ajouter le Manichéisme, sorte de synthèse entre le Zoroastrisme et le Christianisme, qui s’est développé en Perse au IIIe siècle. Les Manichéens opposent radicalement le Bien (le monde spirituel) et le Mal (le monde matériel). Les croyants eux-même sont divisés en deux groupes : les Parfaits, ceux qui sont censés suivre la règle très stricte qu’est la leur, et les Auditeurs, ceux qui n’en sont pas encore tout à fait capables (cours de Claude Aziza). Saint Augustin lui-même a été Auditeur pendant neuf ans avant de se reconvertir au christianisme. Nous ne connaissons de ces différents groupes chrétiens que les commentaires qu ‘en ont fait les auteurs « orthodoxes ». Autrement dit, tous les écrits chrétiens considérés comme n’étant pas conformes par les autres groupes chrétiens ont été brûlés sur les places publiques (R. MacMullen). Et c’est aussi ce que fera l’Eglise catholique une fois arrivée au pouvoir. Malheureusement, les conflits entre Chrétiens, et principalement entre les Ariens et les tenants de la Trinité, ensanglantent très souvent les villes. C’est en fait tout l’Empire romain qui est bouleversé par ces conflits ! Les massacres ont même lieu dans les églises (L. Jerphagnon). Constantin lui-même fait intervenir l’armée en 321 pour tenter d’écraser les Donatistes (B. Lançon). Mais pour en finir une bonne fois pour toutes avec cette lutte fratricide, Constantin décide de réunir à Nicée, en 325, un concile en vue de mettre d’accord les différents groupes chrétiens sur un dogme précis qui resterait à jamais indiscutable. Après plusieurs mois, les évêques se mettent d’accord sur un texte que tous, sauf deux, signent : c’est le « symbole de Nicée », où il est notamment déclaré que le Fils est consubstantiel au Père. Formulant pour la première fois avec précision le dogme de la Trinité, le concile jète les bases doctrinales de ce qui va devenir le catholicisme. L’évêque Arius refusant d’accepter ce dogme, l’empereur le contraint à s’exiler. Mais Constantin n’agit pas par conviction personnelle : son but est seulement de maintenir la paix et l’ordre dans l’Eglise chrétienne. En effet, au moment de sa mort, c’est des mains d’un prêtre arien et non catholique que Constantin décide de se faire baptiser ! (P. Lemerle).

Même après la conversion de Constantin, l’empereur est toujours pontife suprême, et le culte impérial lui-même reste pratiqué. Dès 313 néanmoins, on note que les Jeux séculaires sont oubliés et que peu à peu sont négligées toutes les grandes célébrations païennes. Jusqu’en [341] la tolérance est généralement observée. Constantin n’intervient guère que pour épurer le paganisme en interdisant les sacrifices nocturnes, les pratiques de sorcellerie et de magie, les rites d’haruspice privée, bref tout ce qui relève de la superstitio plus que de la religion. Une première grave atteinte lui est cependant portée en 331, quand est dressé un inventaire des biens des temples, suivi de certaines confiscations et de la rafle de leurs trésors. Cette première forme de persécution s’explique partiellement par les difficultés financières du temps. En 356 une nouvelle étape est franchie avec l’interdiction par Constance de tous les sacrifices, diurnes aussi bien que nocturnes, la fermeture des temples isolés et la prohibition sous peine de mort de toutes pratiques de magie et de divination (André Chastagnol, Le Bas-empire ; Armand Colin). Mais voici qu’en 360 monte sur le trône un amoureux de Lutèce -on lui doit une description de la ville dans laquelle il dit que l’on peut boire l’eau de la Seine !-, Julien, que l’Eglise appellera plus tard « l’Apostat ». Elevé dans le christianisme, cet homme mystique se tourne dès l’adolescence vers les dieux de ses ancêtres. Une fois au pouvoir, il pense aussitôt restaurer les cultes païens que ses prédécesseurs chrétiens avaient si brutalement supprimés. Le premier acte administratif de Julien est un édit de tolérance, promulgué en 361, restituant à chacun de pratiquer, et au sein même du christianisme, le culte de son choix. Ainsi, non seulement les adorateurs des anciens dieux retrouvent la possibilité de suivre les exercices de leurs culte, mais encore les Chrétiens ne peuvent plus faire l’objet de poursuites en raison de leurs préférences, soit pour le dogme de Nicée, soit pour l’arianisme. L’empereur s’offre même le luxe de rappeler d’exil les évêques que leurs coreligionnaires de l’autre obédience y avaient envoyés ! C’est donc dans la tolérance que commence le règne. Les difficultés viennent lorsque les Chrétiens, qui s’étaient trop facilement emparés des trésors des cultes païens et des édifices, se sont vus obligés de tout restituer. Ensuite, en 362, Julien interdit aux professeurs chrétiens les fonctions d’enseignement. En effet, tout l’enseignement de l’époque est basé sur le paganisme ; or Julien se fonde sur le principe qu’on ne saurait honnêtement expliquer des textes mythologiques auxquels on ne croit pas (L. Jerphagnon). Il tente aussi d’instaurer une institution religieuse païenne à l’instar de l’Eglise, pour mieux s’affirmer contre ceux qu’il appelle les « Galiléens », mais il meurt en 363 dans la guerre contre les Perses. Ses successeurs seront tous chrétiens. C’est à partir de 376 et, semble-t-il, de la visite que Gratien rend au pape Damase dans le courant de l’été que sont prises les mesures législatives contre la religion païenne ; elles marquent la séparation définitive du paganisme et de l’Etat. En 379, Gratien abandonne la charge de pontife suprême en rejetant le manteau, son emblème (pour P. Chuvin, cet événement se situe en 383) : l’empereur était en effet le chef des cultes païens. Or Gratien décide de supprimer les pensions versées par le trésor impérial aux prêtres païens et refuse de remplir les postes vacants dans les collèges sacerdotaux. Et lorsqu’une députation de sénateurs vient lui demander de revenir sur ces mesures et lui rappeler qu’il est officiellement le chef des cultes d’Etat, il refuse de la recevoir et abandonne avec ostentation le titre de « grand pontife », pontifex maximus (P. Chuvin). Et à dater de 382, une série de décrets pris à l’instigation de saint Ambroise, évêque de Milan, consacrent clairement la fin du paganisme comme religion de l’Etat romain : l’autel de la Victoire, son symbole au Sénat, est arraché de la Curie, tandis que les Vestales et tous les sacerdoces perdent leurs immunités. En 389, on supprime les vacances aux jours de fêtes païennes. Finalement, le 24 février 391, une loi de Théodose interdit à toute personne d’entrer dans un temple, d’adorer les statues des dieux et de célébrer des sacrifices, « sous peine de mort » (P. Chuvin). La religion païenne est morte par décret. La décision de Théodose est considérable, puisqu’une fois les cultes traditionnels interdits et les temples fermés, les Egyptiens perdent l’usage de leurs hiéroglyphes, et par conséquent, oublient leurs mythes et leur histoire. En bref, ce décret sonne le glas des grandes civilisations de la haute Antiquité (y compris la Grèce et la Rome antiques) ! En 392, Théodose interdit même les Jeux olympiques, non seulement parce que les jeux sportifs sont étroitement liés aux fêtes païennes, mais aussi parce que le corps, et par conséquent le culte du corps, est dénigré par le christianisme. A cette époque l’Eglise est déjà très puissante, et en voici la preuve : en 388, l’évêque Ambroise de Milan inflige à l’empereur une humiliation sans précédent. Des Chrétiens de Mésopotamie, excités par des moines, incendient une synagogue. Théodose réagit d’abord comme il convient, en obligeant l’évêque local à reconstruire le temple juif. En apprenant cela, l’évêque se précipite en chaire et somme l’empereur, sous peine d’excommunication, de rapporter la mesure et d’absoudre les émeutiers. Théodose commet la sottise de céder ! De plus, pour une histoire de pénitence, la nuit de Noël 391 voit l’empereur Théodose se prosterner aux pieds de l’évêque, qui le dira « tout plein de la crainte de Dieu » ! Comme le souligne Jerphagnon, l’Empire avait changé de nature ! Peu à peu, l’appareil extérieur du paganisme va désormais disparaître. Les temples abandonnés tombent en ruines. D’autres sont systématiquement détruits à partir surtout de la législation de 399 ; le Sérapéum d’Alexandrie dès 391, le temple de Caelestis à Carthage en 399. D’autres sont transformés en églises. Statues et stèles sont abattues ou martelées. Après 395 il n’est plus fait mention des sacerdoces. En 435, un décret renouvelant l’interdiction des sacrifices dans les temples païens ajoute : « Si l’un de ceux-ci subsiste encore » (André Chastagnol).
Pourquoi un changement aussi radical ? Nous connaissons la vision intransigeante de l’Eglise, qui pense que les dieux du paganisme sont des démons. C’est la raison pour laquelle le droit d’exercer son culte ne lui suffit pas ; une fois au pouvoir elle veut à tous prix faire disparaître l’ancienne religion (et même toutes les autres religions !) de la surface du globe. C’est que, écrit René Martin, le christianisme n’est pas une religion comme les autres : il ignore la tolérance qui caractérisait tous les cultes païens. Aux yeux des polythéistes, toutes les religions sont « vraies », et tous les dieux méritaient d’être vénérés. On pouvait, certes, avoir une préférence pour telle ou telle divinité, pour tel ou tel culte, mais cela n’empêchaît pas de reconnaître les autres : le fidèle d’Isis ne voyait aucun inconvénient à ce que son voisin fût dévôt de Cybèle, et tous deux s’accordaient à vénérer Jupiter capitolin, protecteur de Rome, sans négliger de rendre un culte à l’empereur. Les divinités, comme les religions, coexistaient pacifiquement. Mais cette coexistence pacifique est inacceptable pour les Chrétiens, car leur religion est à leurs yeux la seule vraie. Et c’est ainsi que les Chrétiens commencent à persécuter les Païens, mais aussi les Juifs, les Manichéens, les Mithriastes et les Chrétiens considérés comme « hérétiques » (P. Chuvin). Des persécutions, que Ramsay MacMullen qualifie de « génocide ». Voici, pour commencer, l’extrait d’une loi proclamée en Orient par Justinien, au VIe siècle : « Tous ceux qui n’ont pas encore reçu le baptême doivent se signaler, qu’ils résident dans la capitale ou dans les provinces, et se rendre aux très saintes églises, avec leurs femmes, leurs enfants et toute leur maison, et s’y faire instruire dans la vraie foi des chrétiens. Et une fois ainsi instruits et ayant rejeté sincèrement leur erreur antérieure, qu’ils soient jugés dignes du baptême salvateur. S’ils désobéissent, qu’ils sachent qu’ils seront exclus de l’Etat et qu’il ne leur sera plus permis de rien posséder, bien meuble ou immeuble ; dépouillés de tout, ils seront laissés dans l’indigence, sans préjudice des châtiments appropriés dont on les frappera » (cité par P. Chuvin). En effet, les Païens restent malgré tout très nombreux ! Comme le rappelle, par exemple, Ramsay MacMullen (dans Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècles ; Les Belles lettres), « Saint Augustin n’a pas vécu dans une chrétienté ». Et les chiffres assurés par les auteurs chrétiens de l’époque (50 pour cent de la population) sont absurdes. Conséquences de ces persécutions : en Egypte, on envoie des troupes détruire les temples les plus reculés encore en activité. Dans le centre de l’Empire, en Anatolie, un grand nombre d’envoyés, s’étant rendus en tous lieux, essayent de forcer ceux qu’ils rencontrent d’abandonner leurs croyances ancestrales. Et comme cela paraît sacrilège aux paysans, tous décident de s’opposer à ceux qui l’ordonnent. Aussi beaucoup sont mis à mort par les soldats et beaucoup se tuent eux-mêmes, estimant accomplir une action très pieuse. En 415 à Alexandrie, la philosophe païenne Hypatie est lynchée, mise en pièces dans une église, puis brûlée, tout cela par une foule de fanatiques menée par le patriarche Cyrille. Au VIe siècle, Tibère II ordonne au commandant militaire d’une ville phénicienne dans laquelle les Chrétiens ne constituent qu’une petite communauté misérable, d’entrer dans la ville et d’appendre aux non-chrétiens les bonnes manières vis-à-vis de leurs voisins. Le commandant, qui s’était déjà illustré par sa sauvagerie envers les Juifs, s’y emploie volontiers et capture beaucoup d’entre eux et les punit comme leur impudence le méritait ; il les humilie, les fait crucifier et mettre à mort ! (R. MacMullen), etc., etc. Bref, ce n’est qu’à coups d’interdictions et de campagnes militaires que les Chrétiens parviennent à faire disparaître le paganisme ! (P. Chuvin).
Par ailleurs, on dit souvent que le christianisme triomphant a amélioré et adouci la société. Pas vraiment, en fait. S’il est vrai qu’au tout début la nouvelle religion a parfois encouragé la désertion pour objection de conscience, une fois arrivée au pouvoir, elle organise un concile qui prononce l’excommunication des déserteurs (en 315) (R. Martin). De plus, alors qu’on pense que des notions humanitaires comme la charité sont propres au christianisme, on s’aperçoit que du temps des Païens les temples apportaient déjà un secours aux pauvres et fournissaient un refuge contre les ennemis (R. MacMullen). De ce côté-là la nouvelle religion n’a rien apporté de nouveau. On pense aussi, bien souvent, que le christianisme a amélioré la vie des esclaves et des femmes, ce dont s’insurge Ramsay MacMullen : Césaire d’Arles n’a fait que limiter le châtiment d’un esclave à 39 coups par jour. De plus, le pape Léon le Grand fait interdire les prêtres-esclaves à cause de l’infamie pure et simple de ces candidats qui risquaient de « souiller » la charge ecclésiastique. En ce qui concerne les femmes, on s’aperçoit que les cultes traditionnels leur offraient un large éventail d’activités, d’expérience et de positions d’autorité ; ce qui n’était pas du tout le cas dans l’Eglise, où il leur était interdit de participer au culte collectif des saints morts au martyre, de s’approcher de l’autel, d’enseigner ou de prêcher. MacMullen compare également l’éthique d’un juge païen qui condamne pour meurtre l’assassin d’une prostituée avec celle d’un fonctionnaire de l’Eglise qui, à la même époque, propose de décapiter les femmes adultères. En ce qui concerne la culture, c’est pire : saint Augustin considère que toute science profane, ne servant pas à glorifier Dieu, est inutile, superflue et vaine. Dans ses Confessions, il précise en s’adressant à Dieu : « Quand même il ignorerait la révolution de la Grande Ourse, [le fidèle] serait insensé de mettre en doute qu’il vaille mieux que celui qui sait mesurer le ciel, compter les étoiles, peser les éléments, mais qui vous néglige […] ». En 529, Justinien ordonne la fermeture de l’Université d’Athènes, dernier refuge du paganisme. Une fois l’enseignement n’étant plus dispensé que par l’Eglise, les sciences sont abandonnées et seules sont étudiées les Saintes Ecritures. En peu de temps, la culture dépérit. C’est que l’enseignement antique était basé sur le paganisme. Il fallait donc le faire disparaître ! Il en est de même en ce qui concerne la musique : seuls quelques fragments de partitions antiques nous sont parvenus (car il s’agissait de la « musique du Diable » !). Nous sommes alors en présence d’une véritable décadence, due vraisemblablement à une grande crise que traverse toute la société. Et si les classiques latins nous sont parvenus c’est uniquement parce qu’à l’époque de Charlemagne (IXe siècle) leur connaissance a été jugée nécessaire pour réapprendre correctement le latin. Quant aux textes des philosophes grecs, ils n’ont été préservés que grâce aux intellectuels arabes, moins bornés que leurs confrères occidentaux.





CONCLUSION :

Comme on l’a vu, l’Eglise privilégie depuis des siècles sa propre version des faits : pas un mot n’est dit sur les persécutions que les Chrétiens, une fois au pouvoir, ont fait subir aux Païens en vu de les faire disparaître. On a ainsi l’impression que tous se sont volontairement convertis au christianisme parce que cette religion était celle du vrai Dieu. Mais c’est en fait à coups d’interdictions, d’édits contraignants et de campagnes militaires que le christianisme s’est imposé partout dans l’Empire romain ! Le pire c’est qu’aujourd’hui encore l’Histoire garde le silence sur cette affaire. De plus, l’Eglise s’est faite la championne des valeurs morales alors qu’elle n’a fait que participer à l’évolution des mœurs, car ces valeurs étaient déjà présentes dans le paganisme du temps (P. Chuvin), ainsi que dans le mithriacisme (la religion de Mithra). De même que la violence des jeux du cirque était déjà dénoncée par des païens et ce dès le Ier siècle (ex. : Sénèque). Tout ceci montre que quand on fait l’histoire on ne ment pas forcément, mais on ne dit pas toute la vérité ! Et c’est cela que je remets en cause dans cet exposé.
De la même manière, on pense souvent, à tort, que la France est devenue chrétienne lors du baptême de Clovis, au VIe siècle. Evidemment, cela est faux, car la Gaule était déjà en partie christianisée et ce dès l’Empire romain. De plus, ici les temples et les cultes païens n’ont pas plus résisté qu’ailleurs à l’édit proclamé par Théodose en 391. Mais certains ont sans doute trouvé un avantage à faire du fondateur de ce qui allait devenir la Monarchie française l’instaurateur officiel de la chrétienté dans ce pays. En fait, Clovis s’est converti alors qu’il partait en guerre contre les Alamans. Et peut-on douter que pour gagner la bataille il n’ait pas eu besoin du soutiens des Gallo-romains ? Or il devait les savoir très attachés au christianisme, la seule autorité qui leur restait de Rome ! Clovis se convertit, reçut probablement le soutient du peuple, et gagna la bataille. Quoi qu’il en soit, il paraît évident que ce ne sont pas les Gallo-romains qui ce sont christianisés avec Clovis, mais que ce sont plutôt les Francs qui se sont « gallo-romanisés » !
Par ailleurs, peut-on dire que le paganisme a complètement disparu ? Nous avons vu qu’il survit, sous une forme différente, au sein même du catholicisme. Mais il survit également en dehors de la religion. Ainsi, l’astrologie, qui était une pratique propre aux religions antiques, n’a-t-elle pas subsisté aux interdictions de l’Eglise ? Et ceux qui lisent régulièrement leur horoscope, ne croient-ils pas qu’il existe des forces dans l’Univers, appelées Mars, Mercure, Vénus, Jupiter ou Saturne, qui agissent sur notre vie quotidienne ? Ceci est à méditer…
En outre, on a longtemps accablé les Romains pour avoir persécuté les Chrétiens. Mais quand on sait que les Chrétiens représentaient à cette époque un réel danger pour l’Etat et l’ordre, on peut tout simplement se dire que les Romains n’ont fait que se défendre contre des agitateurs qui ne souhaitaient pas seulement que leur culte soit autorisé, mais qui voulaient prendre le pouvoir et l’exercer sans partage. Un grave dessein qu’ils ont d’ailleurs réussi à concrétiser en moins de quatre siècles !
De plus, ce danger qu’ils représentaient pour l’Etat est confirmé par le fait qu’ils aient réussi à sauver leur religion face aux Barbares, sans pour autant avoir sauvé l’Empire (l’Etat romain s’écroule en Occident en 476). Sur ce sujet, il est étonnant de lire une critique que leur adressait au IIe siècle un païen nommé Celse et qui s’était proposé d’écrire un ouvrage contre les Chrétiens, intitulé Le Discours vrai. Il écrit : Il n’est pas tolérable de vous entendre dire : « Si les empereurs qui règnent aujourd’hui, après s’être laissés persuadés par nous, couraient à leurs pertes, nous séduirions encore leurs vainqueurs. Si ceux-ci tombaient de la même manière, nous nous ferions encore écouter de leurs successeurs, jusqu’à ce que tous ceux qui nous auraient crus fussent exterminés de pareille façon par les ennemis ». - Sans doute, c’est ce qui ne manquerait pas d’arriver, à moins qu’un pouvoir plus éclairé et plus prévoyant ne vous détruise tous de fond en comble avant que de périr lui-même par vous (Louis Rougier, Celse contre les Chrétiens ; Copernic). Celse avait vu juste ! Et si son ouvrage nous est parvenu c’est uniquement parce qu’un Chrétien du nom d’Origène l’avait repris en le faisant accompagner de sa propre critique.
Pour terminer la conclusion, je vous laisse méditer sur un texte émouvant écrit par un auteur égyptien, et qui fait très bien percevoir ce que ressentaient les derniers païens de l’Empire romain : « Un temps viendra où il semblera que les Egyptiens ont en vain honoré leurs dieux, dans la piété de leur cœur, par un culte assidu […] Les Dieux, quittant la terre, regagneront le ciel ; ils abandonneront l’Egypte […] Alors cette terre très sainte, patrie des sanctuaires et des temples, sera toute couverte de sépulcres et de morts. O Egypte, Egypte, il ne restera de tes cultes que des fables et tes enfants, plus tard, n’y croiront même pas… » (Prophétie de Thot-Hermès, dans Discours parfait ; cité par P. Chuvin).








Corrigé et augmenté pour le mercredi 20 décembre 2000."


Dernière édition par Mithra le 16 Mai 2005 0:12, édité 1 fois.

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Message Publié : 15 Mai 2005 23:26 
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Et voici la bibliographie ! :wink:


AZIZA Claude (cours de) Université de Paris III, Licence en Lettres Modernes 1998
BURROWS Millar, Les manuscrits de la Mer Morte, Robert Laffont, 1955
CHASTAGNOL André, Les Bas-empire ; Armand Colin ; Paris, 1969, Nouvelle édition 1991
CHUVIN Pierre, Chronique des derniers païens ; Les Belles Lettres.
Dictionnaire Larousse ;1976.
EPICTETE, Le Manuel ; in Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même ; Garnier-Flammarion ; 1992 (1964).
FAMERIE E., BODSON A., DUBUISSON M., Méthode de langue latine pour grands commençants et étudiants ; Nathan université ; 1995 (1989).
GAYRAUD Joël, in Lucien de Samosate, Sectes à vendre ; Mille et une nuits ; 1997.
HADAD Moses, La Rome impériale ; Time-Life.
HERODOTE, L’Enquête, tome I ; Folio.
JERPHAGNON Lucien, Histoire de la Rome antique, les armes et les mots ; Taillandier, Paris, 1987
LANçON Bertrand, Constantin ; Que sais-je ? n° 3443 ; P.U.F. ; Paris, 1998
LE GLAY Marcel, La Religion romaine ; Armand Colin ; Paris, 1971, (1997)
LEMERLE Paul, Histoire de Byzance ; Que sais-je ? n° 107 ; P.U.F. ; 1975
MACMULLEN Ramsay, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle ; Les Belles Lettres.
MACROBE, Les Saturnales ; Les Belles Lettres, Paris, 1997
MARTIN René (cours de), Université de Paris III, Licence en Lettres Modernes 1998
MARTIN René, Approche de la littérature latine tardive et protomédiévale ; Collection 128.
ROUGIER Louis, Celse contre les Chrétiens ; Copernic ; Paris, 1977
SAINT-AUGUSTIN, Les Confessions ; GF Flammarion, Paris, 1964

SALLES Catheine, L’Antiquité romaine des origines à la chute de l’Empire ; Larousse histoire ; 1993
SALOUSTIOS, Des Dieux et du monde ; Les Belles Lettres.
TACITE, Annales ; GF Flammarion, Paris, 1965
VIDAL Maurice (sous la direction de), L’Epopée des Jeux olympiques, 1896-1992 ; Messidor ; 1992.


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Message Publié : 16 Mai 2005 12:33 
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Mmm... Comme je m'en doutais un peu, la bibliographie que j'avais enregistrée à l'époque sur ma disquette n'était pas encore exhaustive !
Voici quelques autres ouvrages utilisés pour cet exposé concernant le passage du paganisme au christianisme :

TURCAN Robert, in Firmicus Maternus, L'Erreur des religions païennes ; Les Belles Lettres.
DE SEDE Gérard, Les Mystères de Rennes-le-château ; coll. L'aventure mystérieuse, éd. J'ai lu (en ce qui concerne la statuette d'Isis retrouvée à Aix-les-bains).
MESSADIE Gérard; Science et Vie N° 933, Juin 1995 (à propos de l'article sur les manuscrits de la Mer Morte).

Rectification :
HADAS (et non HADAD !) Moses, La Rome impériale ; Time-Life.

Voilà ! J'espère maintenant que tout y est !

:wink:


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Message Publié : 16 Mai 2005 15:57 
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Merci INFINIMENT, cher Mithra, pour cet exposé magistral, qui éclaire la naissance du Christianisme ...

Puis-je connaître votre opinion sur la religion fondée en Commagène au cours du premier siècle avant notre Ère, et qui se voulait un syncrétisme de toutes les religions existantes, essentiellement hébraîque et Mithraïsme. La Commagène à l'époque d'Actium avait été confirmée à la tête d'une Fédération religieuse regroupant la plupart des États asiatiques ...

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Message Publié : 17 Mai 2005 1:33 
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Merci Herodote ! :wink:

En ce qui concerne la religion fondée en Commagène j'avoue ma complète ignorance sur le sujet ! Cependant ça m'intéresse : je vais faire quelques recherches. Auriez-vous certains liens ou des ouvrages à me conseiller ?


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Message Publié : 17 Mai 2005 12:19 
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Petit flash-back !

Dans mon exposé j'ai parlé de la mort de Julien, le dernier empereur païen, lors de sa guerre contre les Perses en 363. Or, depuis, j'ai trouvé sur le net, dans l'excellent site belge Empereurs romains -qui à mon avis est le plus complet sur le sujet -, l'information suivante : Julien aurait certes péri dans cette guerre, mais sous les coups d'un soldat romain, chrétien et fanatique, agissant à la solde du patriarche Athanase !

Pour les infos précises, voici le lien :
http://www.empereurs-romains.net/emp61.htm

A vous de vous en faire une idée...

:wink:


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Message Publié : 17 Mai 2005 19:45 
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Grégoire de Tours
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Merci Mithra, pour ce lien, délectable !

Pour en revenir au sujet de ce fil, y a-t-il une position officielle de l'Église Catholique sur son Histoire et celle des premiers martyrs ?

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Message Publié : 18 Mai 2005 0:02 
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Thucydide
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Hérodote a écrit :
y a-t-il une position officielle de l'Église Catholique sur son Histoire et celle des premiers martyrs ?


Mmm... Là en vérité je ne sais quoi répondre ! En fait je ne suis catholique que de baptême ! :mrgreen:
Peut-être que d'autres personnes ici sur ce forum seront plus aptes à répondre à cette question... :?:

:wink:


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Message Publié : 20 Mai 2005 10:22 
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Grégoire de Tours
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Zunkir, pardon pour cette longue absence.
C'est a verifier mais je crois bien que Tite-Live mentionne un rituel d'evocatio accompli par Camille devant Veies.
Pour le reste, l'existence de ce rituel est mentionnee dans des ouvrages grand-public, tel que le "Rome" de Jean-Noel Robert ou "l'Homme Romain". Je ne suis toujours pas specialiste, aussi mes sources ne vont-elles pas tres loin :)


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Message Publié : 08 Juil 2005 0:15 
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Grégoire de Tours
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Mithra a écrit :
Petit flash-back !

Dans mon exposé j'ai parlé de la mort de Julien, le dernier empereur païen, lors de sa guerre contre les Perses en 363. Or, depuis, j'ai trouvé sur le net, dans l'excellent site belge Empereurs romains -qui à mon avis est le plus complet sur le sujet -, l'information suivante : Julien aurait certes péri dans cette guerre, mais sous les coups d'un soldat romain, chrétien et fanatique, agissant à la solde du patriarche Athanase !

Pour les infos précises, voici le lien :
http://www.empereurs-romains.net/emp61.htm

A vous de vous en faire une idée...

:wink:


Il existe plusieurs théories sur la mort de Julien en Perse, en plus de l'hypothèse du soldat chrétien, qui repose principalement sur la mauvaise réputation de Julien auprès des chrétiens.

Ammien donne un récit détaillé de la mort de l'empereur, accusant implicitement des cavaliers perses en déroute (Amm, XXV, III, 6-23).

Théodoret avoue ne pas connaître la vérité, mais émet l’hypothèse d’un être invisible, un des nomades qui étaient appelés Ishmaelites ou encore d’un homme de troupe ne pouvant plus endurer les souffrances de la famine (Theodoret, H.E., III, 25, 6. Sozomène, H.E., VI, 13, dit plus ou moins la même chose) .

Philostorgius rapporte qu'il fut tué de la lance d'un sarrasin allié des Perses (Philostorgius, H.E., VII, 15) .

Libanius quant à lui, s'il ne connaît pas le nom de l'assassin est en revanche convaincu que ce n'est pas l'œuvre de l'ennemi car aucun n'a été récompensé pour avoir tué l'Empereur, il pense qu'il fut victime d'une conspiration dans ses propres rangs (Libanius, Or., XVIII, 274, Je ne connais pas son nom, mais que le meurtrier n'est pas parmi l'ennemi est clairement prouvé par le fait qu'aucun des ennemis n'a reçu de récompense pour l'avoir tué).

Il est vrai que, mis à part les troupes gauloises, la plupart de ses soldats, en particulier les chrétiens, ne l'appréciaient guère.

_________________
Victi, vincimus.


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Message Publié : 10 Juil 2005 18:47 
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Thucydide
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Pour revenir sur l'evocation, un exemple en est fourni durant la deuxième guerre punique. Les dieux carthaginois (et phéniciens) Baal, Astarté etc... sont vivement priés d'abandonner les Puniques et de venir à Rome où on dispose de temples pour cette nouvelle religion.

_________________
L'union fait la force


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Message Publié : 12 Juil 2005 20:28 
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Polybe
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Cher Mithra,
Merci infiniment pour cet exposé. Une idée (sans doute reçue) veut que la déperdition de la culture antique a été causée en grande partie par les invasions barbares et la désorganisation qui a suivi. En vous lisant, on peut se demander si les Chrétiens ne sont pas finalement la cause principale de cet appauvrissement culturel. A t-on des éléments qui permettent de privilégier ce point de vue ?


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Message Publié : 12 Sep 2005 22:31 
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Thucydide
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Inscription : 13 Mai 2005 22:31
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Localisation : Montpellier (Hérault)
Badd a écrit :
Cher Mithra,
Merci infiniment pour cet exposé. Une idée (sans doute reçue) veut que la déperdition de la culture antique a été causée en grande partie par les invasions barbares et la désorganisation qui a suivi. En vous lisant, on peut se demander si les Chrétiens ne sont pas finalement la cause principale de cet appauvrissement culturel. A t-on des éléments qui permettent de privilégier ce point de vue ?


Cher Badd,

Il est assez difficile de répondre à une telle question lorsqu'on n'est pas spécialiste. Mais d'après certains bouquins pour étudiants que j'ai lu, comme l'Approche de la littérature latine tardive et proto-médiévale de René Martin (coll. 128), il va sans dire que l'auteur écrit implicitement que l'apauvrissement culturel est dû à la prise du pouvoir absolu par les chrétiens. Par exemple, les écoles n'appartenaient plus qu'à l'Eglise et l'écriture n'était plus maintenue que dans les couvents. D'où, premièrement, l'impossibilité d'apprendre à lire et à écrire à l'extérieur du cercle des "initiés", et deuxièmement, impossibilité, de même, d'apprendre le latin en dehors des Ecritures "Saintes". Cette impression d'appauvrissement culturel et intellectuel peut être confirmée à la lecture (presque hallucinante !) de l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours !

Cependant, lorsque j'ai suivi les cours de linguistique de Michel Banniard, ce professeur partait de l'idée que la romanisation de l'Europe fut parachevée grâce aux prédicateurs de l'Eglise. En bref, linguistiquement parlant, l'Eglise aurrait joué un rôle important dans le maintient du latin face aux langues germaniques durant et après les Invasions Barbares.

A nous tous ici de faire la synthèse...

:wink:


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Message Publié : 25 Sep 2005 18:59 
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Grégoire de Tours
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Inscription : 23 Avr 2005 10:54
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Merci, Mithra, pour cet exposé.
Le sujet m'interesse beaucoup, et j'ai moi aussi plusieurs questions.

D'abord, il me semble que votre exposé met en lumière un fait assez etonnant : Rome rase Jerusalem, force les juifs a l'exil -on sait ce que l'exil represente, ce n'est pas une peine légère- et pourtant, accepte la religion juive et lui donne même un statut particulier, civil, en permettant aux juifs, dites-vous, d'amenager leurs devoirs civiques et leurs devoirs religieux -c'est bien le sens de "se présenter au tribunal" ?. J'ai été très étonné de lire cela, je ne connaissais absolument pas ce détail, et ca me semble tres surprenant. Pourquoi Rome donne-t-elle ce droit aux Juifs qu'à ma connaissance, elle refusera a toute autre religion ? Car l'histoire montre qu'une religion ne s'est intégrée a Rome que tant qu'elle se limitait a une sphère "spirituelle", et n'empiétait pas sur la sphère/religion civile et publique. Est-ce que je me trompe ?
Une autre manière de poser la question est de demander : Pourquoi Rome accorde-t-elle aux Juifs ce qu'elle déniera aux Chretiens ?

Ensuite, je me pose des questions sur votre interprétation des dieux étrangers par les romains. L'hypothèse qu'ils étaient persuadés que les dieux étrangers étaient les mêmes sous des noms différents me pose problème, justement dans le cadre de l'evocatio par exemple, qui semble bien considérer des "entités" spécifiques.
De même, votre hypothèse marche-t-elle aussi avec un dieu comme Baal ?

Enfin, j'aimerais bien connaitre, même rapidement, les différentes thèses sur la "fatigue" de la religion traditionnelle.

Et, ah oui, auriez-vous svp une reference exacte pour la citation d'Epictete ? :oops:


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Message Publié : 28 Sep 2005 19:59 
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Fustel de Coulanges
Fustel de Coulanges

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Citer :
Une autre manière de poser la question est de demander : Pourquoi Rome accorde-t-elle aux Juifs ce qu'elle déniera aux Chretiens ?
Apparemment parce que pendant plusieurs décennies, les chrétiens n'ont été perçus que comme une secte dissidente à l'intérieur de la communauté juive homologuée par Rome. La distinction entre juifs, judéo-chrétiens puis chrétiens tout court s'est effectuée progressivement. Les Romains ne désiraient peut-être pas multiplier les statuts privilégiés (d'autant plus qu'à la différence des juifs, les chrétiens faisaient montre de prosélytisme spectaculaire qui faisait tache d'huile, l'accueil dans la communauté chrétienne étant plus facile que l'admission dans la communauté juive)?


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