J’aimerai revenir sur un facteur qui est à mon avis primordial et globalement sous-estimé, signalé mais non développé par Arcadius un peu plus haut.
Le gros problème du siège de Rome en 216 n’est pas tant tactique (la difficulté de l’emporter en cas de siège, pour les raisons évoquée : la puissance des murailles romaines sans doute remises en état récemment lors de l’alerte gauloise quelques années auparavant ; la puissance numérique de l’armée romaine même après la défaite, et sa capacité exceptionnelle de mobilisation ; l’incapacité surprenante d’Hannibal à mener un siège efficacement ; juste après Cannes, au summum de sa gloire et de sa puissance, il se casse les dents sur les petites Nola ou Casilinum ! ; enfin l’absence d’une flotte capable de rivaliser, même un tout petit peu, avec la romaine).
Le problème d’Hannibal est stratégique : depuis 218, il tourne en rond dans l’Italie, contraint de vivre au jour le jour sur le pillage, d’où ses déplacements sempiternels, vitaux, et l’efficacité de la stratégie de Fabius : s’il se retrouve bloqué quelques jours, c’est la famine dans son armée de mercenaires. Or il est inenvisageable d’assiéger même une petite ville sans bénéficier d’un ravitaillement régulier et sûr, d’autant que Rome elle continue à être ravitaillée par mer et a eu largement le temps d’accumuler des réserves, dès le début de la guerre, comme par exemple les dons frumentaires d’alliés comme Hiéron de Syracuse, qui s’ajoutent aux livraisons italiennes et aux achats massifs dans toute la Méditerranée. Il lui faut au préalable se dénicher enfin une base arrière, et la victoire de Cannes lui offre cette opportunité, puisque pour la première fois les alliés de Rome envisagent sérieusement de se soulever. Mais les partisans d’Hannibal, ou pour mieux dire, les partisans de l’autonomie par rapport à Rome, ne sont en mesure de se soulever qu’en présence d’une armée punique capable de la soutenir immédiatement contre la garnison et les partisans de l’alliance romaine, en général les oligarques au pouvoir. Aucune cité ne s’est rallié spontanément à Hannibal ; à chaque fois il a fallu que ce dernier se présente aux portes pour que ses partisans puissent se manifester et lui livrent la ville, que ce soit dans le cas de grandes villes comme Capoue en 216 ou Tarente en 215, mais aussi du moindre patelin fortifié ; d’où l’agitation frénétique d’Hannibal dans les années qui suivent, en gros 216-212, où à Hannibal court d’un coin à l’autre à la moindre rumeur de trahison, qui se échouent d’ailleurs très régulièrement, parfois dramatiquement, tout ça pour se constituer un pré carré sur lequel s’appuyer. Ce n’est qu’à partir du moment où la situation va se stabiliser, qu’il bénéficiera d’une base arrière solide, en particulier la Campanie et l’arrière pays osque, mais aussi que les potentialités de ralliement iront s’amenuisant, en 211, qu’il se lance sans grande conviction vers Rome, pour les raison tactiques précédemment évoquées pour au moins leur faire croire qu’il est en mesure de les menacer. Mais a cette date Rome a repris l’initiative, et ce n’est plus guère qu’un coup de bluff de la part d’Hannibal, bluff auxquels ne répondent pas du tout le Sénat romain et son chef, le méthodique Fabius, et les 20 et quelques légions alors mobilisées.
A aucun moment, Hannibal n’a été en mesure matériellement d’assiéger Rome, et en 216 encore moins que plus tard, alors qu’il ne disposait ni de soutien local ni de la possibilité d’un ravitaillement punique par voie maritime, puisqu’il ne bénéficiait alors d’aucun port. Il faut attendre le ralliement de Capoue puis de Tarente pour que des convois viennent le soutenir. Et encore, de façon précaire puisque la surpuissante flotte romaine de Sicile menace chacune de ces tentatives, et que les ports eux-mêmes seront vite bloqués, en dépit de l’audace et de l’ingéniosité des marins puniques qui se glissent à travers le filet des flottilles romaines, avec une habilité remarquable.
J’ai plusieurs fois eu l’occasion d’évoquer les problèmes de ravitaillement d’Hannibal au cours de ses premières années italiennes, et ses conséquences sur sa stratégie d’ensemble, en particulier dans
ce message-ci.
Le sujet
La stratégie d'Hannibal en Italie pourrait intéresser Fabio.