Caesar Scipio a écrit :
Ce que vos échanges me semblent mettre en évidence, c'est que l'enchaînement de très longues guerres civiles au début et à la fin du 4ème siècle, même s'il n'est pas le seul facteur, a néanmoins eu un rôle déterminant dans la désagrégation de l'empire romain, singulièrement en Occident. L'empire romain a semble-t-il puisé dans ses ressources humaines militaires au cours du 4ème siècle plus qu'il ne l'avait fait aux 1er, 2ème et 3ème siècles de notre ère, et s'en est trouvé dépourvu quand il a fallu faire face à une menace diffuse et mobile au 5ème siècle.
Mais ce facteur n'a pas été suffisant en ce que la divergence - j'entends par là la non-coopération - entre les deux parties de l'empire après l'assassinat de Stilicon qui était le dernier à porter une politique fondée sur l'unité d'un empire à plusieurs empereurs, a privé la moitié occidentale des ressources de la nettement plus riche moitié orientale.
Autant la répartition des tâches et la multiplicité des centres de décision avait du sens et était source d'efficacité, autant la fin de la mutualisation des ressources a provoqué une véritable deséconomie d'échelle. 1+1 faisait une somme supérieure à 2.
Ce sujet n'était pas consacré aux causes de la disparition de l'État romain (objet intelligible), plutôt au processus de cette disparition : par annexion et fragmentation, s'appuyant ou se confondant. Cela dit, il est inévitable qu'on en vienne aux causes. Effectivement, les nombreuses guerres civiles du IVe siècle ont beaucoup entamé la capacité de résistance de l'armée romaine. Elles expliquent aussi en partie l'incorporation croissante de recrues germaniques, même l'installation de peuples entiers comme fédérés. Cela ne fera qu'accélérer le processus d'invasion et décomposition.
Les guerres civiles du IVe siècle provoquent également la séparation croissante des parties occidentale (latine) et orientale (grecque) de l'empire romain, chacune menant son propre jeu au Ve siècle. Comme déjà signalé dans mon exposé initial, la décomposition avait déjà commencé avec les invasions du IIIe siècle : empires locaux (Gaules, Palmyre), puis système tétrarchique dégénérant assez rapidement.
L'empire d'Orient s'en tire finalement beaucoup mieux que l'Occident. On peut y voir diverses raisons : richesse globale beaucoup plus importante qu'en Occident (vous le signalez), finances plus saines, ligne de défense assez courte dans les Balkans, recrutement modéré des mercenaires germaniques...
Le problème est par ailleurs très complexe, bien au-delà des guerres civiles du IVe siècle. Celles-ci n'ont évidemment pas été profitables à l'armée romaine. Mais il existait aussi une crise du recrutement depuis longtemps, avec la démilitarisation croissante de la société romaine (sens large). L'armée ne peut après tout être dissociée de la société dans laquelle elle est immergée. C'est pourquoi il faut considérer l'empire romain globalement : démographie, économie, mentalités, système politique. Les invasions germaniques ont révélé par exemple des failles au sein même de l'empire romain. Il en est résulté une fragmentation croissante, favorisant les invasions (annexion), celles-ci accélérant la fragmentation, ainsi de suite... Je l'ai expliqué dans mon exposé initial.
Au bout du compte, une demi-douzaine d'États se partagent l'empire romain à la fin du Ve siècle. Le premier réflexe serait alors de considérer que l'empire d'Orient (byzantin) est le continuateur légitime de l'empire romain. Cela reviendrait à poursuivre l'histoire romaine de la fondation de Rome vers le VIIIe siècle avant notre ère jusqu'à la prise de Constantinople ou Trébizonde par les Turcs au XVe siècle ! Et on pourrait aussi considérer l'empire d'Occident de Charlemagne ou le Saint Empire Romain Germanique...
Vous comprenez que ce critère légitimiste ne doit pas être pris en compte par les historiens. Les royaumes germaniques peuvent tout aussi bien prétendre continuer l'État romain que l'empire d'Orient (byzantin), même souvent mieux. En effet, l'administration et le droit romains s'y maintiennent très bien, l'usage du latin également. D'une manière générale, Rome a beaucoup plus marqué de son empreinte l'Occident que l'Orient, où existaient déjà des civilisations très anciennes et où le processus d'urbanisation était beaucoup plus avancé. Quand on écrit l'histoire d'un État, elle est forcément globale : politique, économique, sociale, culturelle...
D'un autre côté, les historiens ne peuvent pas écrire simultanément l'histoire de tous ces royaumes germaniques et de l'empire d'Orient ! C'est pourquoi ils arrêtent très généralement à 476 l'histoire de l'État romain, bien que cette date n'ait guère de signification dans la perception des contemporains, ni d'un point de vue juridique.
Sur les problèmes de l'armée romaine aux IVe et Ve siècles, je signale l'ouvrage de Philippe Richardot : "La fin de l'armée romaine", éditions Economica. Sur les causes générales ayant provoqué la disparition de l'État romain, comme objet d'étude intelligible par les historiens, vous pouvez vous faire une première idée avec Wikipédia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cli ... d'Occident